Asperge moi de térébenthine

asparagi

Nous sommes en pleine saison des asperges. Je les aime beaucoup. Aussi, bien que deux articles lui aient été consacrés lors des derniers jours (le 4 et le 5 mai), je ne résiste pas au plaisir de vous relater quelques anecdotes savoureuses à son sujet.

Grimod de La Reynière, parle de ses propriétés aphrodisiaques : « Ce légume ne convient qu’aux riches parce qu’il n’est pas substantiel et légèrement aphrodisiaque. C’est un manger délicat ».

Si dans les guides de savoir vivre, il est permis de la manger à la main, on lit dans le « Manuel de civilité pour les petites filles », paru dans les années 1930 : « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire ».

Le fameux pot de chambre

Marcel Proust, dans « A la recherche du temps perdu », parle à plusieurs reprises de l’asperge. Il souligne notamment le parfum que prennent les urines après un plat d’asperges :

« Mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,-encore souillé pourtant du sol de leur plant,-par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »

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Le marquis de Cussy, préfet du palais de l’empereur Napoléon 1er, avait invité sa jeune maîtresse à une partie de campagne. Elle s’excusa en disant qu’elle devait se rendre à une fête familiale. Gourmand, le marquis alla aux Halles en vue de faire un bon déjeuner. Il vit deux bottes d’asperges, les seules arrivées du jour asperges-achatdans la capitale. Il voulut les acheter, mais il fut devancé par quelqu’un. Décidément, ce n’était pas son jour…
Le soir, sa maîtresse était de retour. Elle raconta avec moult détail sa journée. Au moment de l’étreinte, la jeune femme se soulagea d’un besoin naturel. C’est alors que le marquis s’énerva :
Julie ! Julie ! Tu me trompes !
– Mais enfin Louis, comment pouvez-vous penser cela ?
– Où as-tu déjeuné ?
– Chez ma mère… je vous l’ai dit.
– Ne me mens pas ! Tu as mangé chez l’ambassadeur d’Espagne.
– Mais…
– Oh, arrête, je sais que dans tout Paris, il n’y avait que deux bottes d’asperges. Et c’est son maître d’hôtel qui les a achetées devant moi ce matin. Or, le parfum de tes urines indique avec certitude que tu as mangé des asperges il y a peu de temps.

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Que ce soit Marcel ou Julie, ils auraient dû lire le « Nouveau Dictionnaire de Médecine » qu’avait publié au début du XIX° siècle, le Docteur Béclard, qui fut membre de l’Académie Royale de Paris. Il écrit :
« L’asperge communique à l’urine une mauvaise odeur qu’on change en celle de la violette par l’addition de quelques gouttes de térébenthine.« 

Donc Marcel, vous eussiez connu le truc, point d’odeurs désagréables dans votre chambre. Quant à vous, Julie, vous eussiez pu jouer des castagnettes  et croquer l’asperge espagnole sans risque de vous faire pincer…..

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Finissons (temporairement ?) notre balade au pays de l’asperge avec Charles Ephrussi. C’est un riche collectionneur d’art qui fréquente les ateliers de Degas, Manet, Monet, Renoir… et leur achète régulièrement des toiles.

En 1880, il commande à Manet un tableau représentant une botte d’asperges. Ephrussi est si content du tableau qu’au lieu de verser les 800 francs convenus, il envoie 1.000 francs à l’artiste. Ce dernier, en remerciement, lui adresse un second tableau, représentant une seule asperge. Manet lui aurait dit que pour ce prix là, il devait manquer une asperge dans la botte.

apserge-manet2-1880
Les deux tableaux de Manet (1880)

En attendant, régalez vous de blanche, de verte et de violette…

Votre Mona se perge

Le déjeuner de Sousceyrac

sousceyracUn grand merci à mon patron, de m’avoir forcée à lire ce roman. J’ai adoré :
Durant leurs vacances, Jean et Philippe, amis d’enfance, arrivent à Sousceyrac (Lot). C’est de là que la famille de Philippe est originaire. Ayant perdu ses parents, il souhaite voir où vit une veille tante spoliée par sa famille. Jean qui commence à avoir faim craint que la halte au seul restaurant du village ne lui assure pas un bon repas.
Ayant appris que sa tante est décédée riche à millions, Philippe, cachant son identité, reste sur place et enquête…

Le roman « policier » de Pierre Benoît est plein d’humour. L’écriture est belle et riche. Les rebonds vous garderont en haleine et il est bien difficile de s’arrêter. Comme mon patron, je l’ai lu d’un trait. Et puis, il y a ce déjeuner rabelaisien dont je vous livre le menu[1] :

« Philippe et Jean s’installèrent près de la fenêtre, devant la table où leurs couverts étaient mis.
– Qu’allez-vous nous donner, chère Madame? demanda Jean.
– Du poulet, puisque vous en désirez, Messieurs, répondit Mme Prunet. Mais comme il n’est pas tout à fait à point, j’ai pensé vous faire goûter d’abord autre chose.
Il s’agissait d’un foie de canard et d’un saladier d’écrevisses, qu’elle disposa devant eux.
– Ce n’est pas très varié, comme hors-d’œuvre, poursuivit-elle. Si vous désirez des sardines à l’huile, je peux envoyer la petite en chercher une boite à l’épicerie, qui n’est pas loin.
– Pour Dieu, gardez-vous en, ma chère dame. C’est très bien ainsi, s’écria Jean.
Tandis que Mme Prunet se retirait, il donna un coup de coude à Philippe.
– Eh ! mais, dis donc, les choses n’ont pas l’air de trop mal s’arranger.
– Pourquoi veux-tu nécessairement être tombé dans Un guet-apens ? répliqua Philippe avec aplomb.
Il y avait seulement dix minutes, il n’était point aussi rassuré. Ce fut ce que Jean faillit lui répondre. Mais il sentit que Philippe était encore vexé de sa mésaventure de tout à l’heure, et il fut assez magnanime pour ne pas insister.
– Voyons ces écrevisses. Elles ne sont pas très grosses, mais le court-bouillon qui les baigne m’a l’air d’avoir été composé selon les véritables règles de l’art. Echalote, thym, laurier. Parfait ! Rien ne manque.
– Quant au foie gras, dit Philippe, il est tout simplement merveilleux. Je te conseille de le comparer avec les purées qu’on nous sert à Paris.
– Décidément, dit Jean, tu as eu une riche idée en nous faisant passer par Sousceyrac.
En tout cas, que mes éloges ne t’empêchent pas de nous verser à boire.
Il y avait sur la table deux sortes de vins, l’un blanc, l’autre rouge. Jean goûta à l’un et à l’autre. Le blanc était léger, avec un arrière goût de résine qui n’était pas désagréable. Quant au rouge, il était un peu épais, un peu violacé, mais si plein d’honnêteté et de fraîcheur !
– Maintenant, le poulet peut être brûlé, j’ai moins peur. Avec ce vin, ce foie gras, ces écrevisses, nous verrons toujours venir. Allons, redonne-nous à boire, et quitte cette mine de catastrophe.
Il rit. Philippe consentit à sourire. Le saladier, énorme pourtant, était déjà à moitié vide. Du foie, il ne restait qu’une mince tranche, que Jean s’adjugea. Quant aux bouteilles, elles ne risquaient plus, en se renversant, de causer à la nappe le moindre dommage.
– Excellente entrée en matière, Madame, dit Jean à l’hôtesse. Sans mentir, si le plat de résistance est de la même lignée que les hors-d’œuvre … Mais, qu’est-ce que vous nous apportez-là ?
– Des truites du pays, monsieur, répondit elle avec son air perpétuel de s’excuser. Mon petit neveu les a pêchées cette nuit. Je les avais promises à quelqu’un des environs. Mais tant pis! J’aime autant que vous en profitiez.
– Inspiration du ciel, ma bonne dame. Regarde-moi ça, Philippe. Sont-elles gracieuses, les mignonnes! Qu’en penses-tu ?
Philippe haussa les épaules.
– Je te l’avais bien dit, fit-il, quand Mme Prunet eut regagné sa cuisine. Pourquoi n’aurions-nous pas été admirablement ici !
– Ouais! dit Jean. Enfin ne rouvrons pas les vieilles querelles. Repasse-moi le plat. Hé! Là ; hé! là, laisse-m’en.
Le vin blanc, qui me paraissait un peu faible sur les écrevisses, s’harmonise fort bien avec les truites, dit Philippe.
Verre en main, ils se regardèrent en souriant, légèrement renversés contre le dossier de leurs chaises.
– Sommes-nous donc déjà parvenus à l’âge où les plaisirs de la table constituent le meilleur de la vie ? murmura Jean.
– Il n’y a, hélas pas de doute, dit Philippe. Cette vie, notre vie, elle se présente dès maintenant sous l’aspect d’une ligne de chemin de fer bien droite, bien sage, une ligne à travers la Beauce. Je ne vois guère d’événements susceptibles d’y apporter de l’imprévu. Parmi la douzaine de députés ou de sénateurs que nous connaissons, il en est peut-être qui deviendront ministres, nous prendront comme chefs de cabinet. A part cela …
– Eh bien, que veux-tu? C’est mieux ainsi. Résignons-nous.
Au dehors, un peu de brise était née, une brise qui n’était pas encore le vent d’hiver, mais qui le faisait pressentir. Elle ondulait avec douceur dans les vastes frondaisons rousses du foirail.
Mme Prunet entra, nantie d’un plat de cèpes farcis. Les deux amis lui firent une ovation.roast-chicken
– A boire, à boire! cria Jean.
– Tu voudras bien constater, dit Philippe solennellement, que les champignons que voici n’ont aucun rapport avec les misérables morceaux de pneumatiques huileux qu’on débite partout sous le nom de cèpes à la bordelaise. Tu es rassuré, j’espère, à présent?
– Si je le suis ! C’est-à-dire que je suis au comble de l’amertume de n’avoir découvert Sousceyrac que le dernier jour de mes vacances, à la veille de notre séparation. Ça m’embête bien de le quitter, mon petit Philippe, tu sais.
– Reste avec moi. Les braves gens de Vierzon chez qui je vais seront ravis. Je leur ai si souvent parlé de toi.
– Tu n’es pas fou? Et le ministère ?
– Deux jours, trois jours, de plus, qu’est-ce que c’est que cela ? Personne n’en mourra.
– Impossible, te dis-je. Mon bureau n’est pas comme le tien. On y travaille. J’ai la liste des bourses de médecine et de pharmacie à revoir. Ces sacrés doyens nous envoient toujours leurs propositions in extremis. Et les bourses des instituts électrotechniques Et le nouveau décret sur les équivalences Non,vois-tu, après-demain, sans faute, je dois être rue de Grenelle. Aujourd’hui, c’est mon chant du cygne.
– En fait de cygne, regarde. Voilà qui me fait l’effet d’un assez joli canard en salmis.
Jean leva les bras au ciel.
– Imbécile. Imbécile ou ivrogne. Il est indigne d’être originaire d’un tel pays. Il prend pour un salmis de canard un civet de lièvre. Et quel civet!  Mes compliments, madame. C’est onctueux, c’est noir, c’est magnifique. Nous vous avons sottement défiée. Vous avez relevé le défi. Croyez que nous ne vous en gardons nulle rancune. Mais sapristi, il fallait prévenir.  C’est que je commence à être à bout de souffle. Allons-y, pourtant. Sainte Vierge, je n’ai jamais rien mangé de pareil !
– Vous êtes trop indulgent, monsieur, dit Mme Prunet. Moi, je ne suis pas très satisfaite de ce lièvre. Il avait perdu beaucoup de sang. Le paillet sera, je crois, mieux réussi.
– Le poulet ?
– Ne m’avez-vous pas réclamé du poulet ? Excusez-moi, il ne faut pas que je le perde de vue. Un coup de feu est si vite attrapé.
– Cette brave dame a juré notre mort, dit Philippe, dont le parti pris de ne s’étonner de rien commençait à faiblir. »

Votre Mona famée


[1] Page 39 à 45 – Le Déjeuner de Sousceyrac chez Albin Michel 1931

Pierre Benoit

pierre-benoistPeu de gens s’intéressent encore à l’œuvre de Pierre Benoit (1886 – 1962). Et pourtant, il publia plus de 40 romans, souvent d’aventures qui connurent un immense succès. Grand prix de l’Académie Française en 1919 pour « l’Atlantide » il avait déjà connu le triomphe avec « Kœnigsmark « en 1918. Il enchaîne les succès avec notamment « Mademoiselle de La Ferté en 1923,  La Châtelaine du Liban l’année suivante…. et  Le Déjeuner de Sousceyrac en 1931 « ce qui lui vaut une élection comme membre de l’Académie Française.

En ces temps-là, l’entrée à l’Académie était saluée par un banquet. Celui du romancier Pierre Benoit, le 27 juillet 1931 dans la cité lotoise de Saint-Céré, fut mémorable à plus d’un titre. L’écrivain réussit la prouesse de réunir dans la patrie de la truffe et du canard gras sept cents convives parmi lesquels nombre de personnalités du monde littéraire parisien ainsi qu’une brochette de ministres. Au terme de ce festin bien arrosé, l’heureux élu, quelque peu enivré, demanda à une serveuse accorte de se dévêtir. La dame s’exécuta sans sourciller et intégralement.

314259492_e681ad63fa_oEst-ce cet effeuillage de la belle, ou la douche « ciblée » au champagne qui lui fut administrée par l’écrivain et l’un de ses amis, Anatole de Monzie, par ailleurs ministre de l’Éducation nationale, qui choqua au Quai Conti ? Visiblement trop pétillant, l’événement faillit en tous les cas coûter son fauteuil d’immortel à Pierre Benoit : il fut tenu de différer sa réception sous la coupole d’une bonne année… De cet auteur trop peu lu, on a pu dire qu’il écrivait avec le même appétit qu’il goûtait aux plaisirs de l’existence. Et Dieu sait qu’il était connu pour ses frasques : ainsi en 1922, il organisa une course de tortues au Palais Royal. Pour fuir sa femme et ses maîtresses, il mit sur pied un faux enlèvement. Pour se faire oublier, il devint grand reporter pour nombre de journaux et ramena de ses périples nombre de héros pour ses romans.

En 1992, la collection Bouquins a sorti le premier tome de ses œuvres. Depuis le second, pourtant programmé, n’est jamais sorti.
Dommage !!

J’ai proposé à Mona de s’intéresser au « Déjeuner de Sousceyrac » que j’ai lu avec grand plaisir et  d’une seule traîte. Visiblement touchée par le texte, elle dévore le livre … même au bureau. Elle m’a promis de vous en dire quelques mots. Patience, Mona  prépare son texte pour demain.

Parfum révolutionnaire

Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun
Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun

Jean-Louis Fargeon, descendant d’une lignée de parfumeurs fut le parfumeur attitré de la Reine Marie-Antoinette. Durant la révolution, il fut arrêté et jugé. Il fut un des rares, en pleine terreur, à sauver sa tête. C’était le 9 thermidor (jour de l’arrestation de Robespierre). Dans sa geôle, la veille de sa parution devant le tribunal révolutionnaire, il écrit un joli texte pour préparer sa défense. J’en ai extrait ces lignes :

« On m’accuse d’avoir servi les ci-devant nobles. J’ai fabriqué des parfums à leur usage, mais ils possédaient les goûts et les moyens qui faisaient d’eux ma clientèle naturelle. J’ai souffert de leur légèreté et de leur négligence à payer leurs dettes, qui m’ont conduit à la banqueroute. J’ai eu le plus grand mal à rétablir mes affaires. ..

Je suis un homme de science, adepte du progrès comme le fut mon père. Mes expériences, connaissances et inventions ont porté sur l’art subtil du parfum. … J’ai cherché et trouvé dans la nature ce qui pouvait, dans mes compositions, susciter les mouvements de l’âme et ressusciter des souvenirs enfouis. Qu’exige-t-on aujourd’hui de mon art ? Devais-je, pour prouver mon patriotisme, composer un parfum à partir de l’odeur du sang qui flotte autour de la guillotine?

Ah, que je cesse enfin de respirer la fétide senteur de ma cellule qui m’emprisonne plus étroitement encore que ses barreaux ! Tandis que je me morfonds dans cette misère, il arrive que, soudain, le doux parfum des jours enfuis me transporte dans les jardins et les salons d’un monde où fleurissait, rose parmi les lys, feu la reine de France. Oui, je l’avoue, je suis fier d’avoir su exalter en elle la femme, sans avoir été pour autant un esclave de la souveraine.

Quand surgit ce parfum du passé ma vie tout entière s’ordonne comme j’ordonnais mes compositions odorantes.

L’accord se plaque d’abord sur le mode majeur, avant de laisser échapper les notes de tête qui jaillissent, folles, vives, impatientes comme la Jeunesse. Les notes de cœur palpitent ensuite, douces, accomplies et vibrantes comme la pleine réalisation d’une personnalité Enfin, lourdes, persistantes et tenaces, résonnent les notes de fond, présentes dès la première envolée. Tel fut mon art et telle fut ma vie. Je saurai demain si elle doit m’être ôtée.»

C’est beau !
Je vous « adior »
Votre Mona

Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette
de Elisabeth de Feydeau – Editions Perrin 2005

Une Gourmandise

gourmandiseAvec « L’Elégance du Hérisson », Muriel Barbery est devenue une star de l’édition. Je ne vous parlerai de ce livre pas car je ne l’ai pas lu. Mais des aficionados m’ont laissé entendre que ce n’était pas plus mal : des personnages rencontrés dans « Une Gourmandise » se retrouvent chez le Hérisson.

Une Gourmandise est un premier roman récompensé par le Prix du Meilleur Livre de Littérature Gourmande. De quoi vous mettre l’eau à la bouche. Et bien, je n’ai pas été séduite par ce critique culinaire renommé qui, sur son lit de mort, recherche « la saveur ». De courts chapitres qui laissent la parole au critique bien entendu et à ses proches. Souvent les témoignages de ces derniers apportent peu.

Un petit livre qui se lit vite dans le train ou, mieux, sur la plage pour la beauté de son vocabulaire.
Mais comme nombre de restaurants, il ne vous laissera pas longtemps de souvenir de sa table…  des matières.

Mona qui « lisa » ce livre

Une gourmandise de Muriel Barbery chez Folio

Veni, Vidi… vomis

Suétone (1er siècle après JC)  a écrit « La Vie des Douze Césars« , à savoir la vie des empereurs romains de Jules César à Domitien. Voici le portrait de l’un d’entre eux , Vitellius qui règna du 2 janvier 69 au 22 décembre de la même année  :

Vitellius
Vitellius

« Ses vices principaux étaient la gourmandise et la cruauté; il prenait toujours trois repas, quelquefois quatre, car il distinguait le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner, l’orgie, et son estomac suffisait sans peine à tous, grâce à son habitude de se faire vomir. Il s’invitait tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, dans la même journée, et ses hôtes dépensèrent des fortunes pour un seul de ces festins. Le plus fameux de tous fut le banquet de bienvenue que son frère lui offrit : on y servit, dit-on, deux mille poissons des plus recherchés et sept mille oiseaux. Lui-même surpassa encore cette somptuosité en inaugurant un plat qu’il se plaisait à nommer, à cause de ses dimensions extraordinaires, le bouclier de Minerve, protectrice de la Ville. Il fit mêler dans ce plat des foies de scares, des cervelles de faisans et de paons, des langues de flamants, des laitances de murènes, que ses capitaines de navire et ses trirèmes étaient allés lui chercher jusque dans le pays des Parthes et jusqu’au détroit de Gadès. Non seulement sa gloutonnerie était sans bornes, mais elle ne connaissait point d’ heure ni de répugnance, car même durant un sacrifice ou en voyage, il ne put jamais se retenir de manger aussitôt, sur place, devant l’autel, les entrailles et les pains de froment, qu’il arrachait presque du feu, et dans les cabarets, le long de la route, les mets encore fumants ou les restes de la veille et les victuailles déjà entamées. « 

porteurs7311xvAlexandre Dumas m’a fait découvrir un empereur -de 218 à 222- du nom de Héliogabale (ou Elagabal) qui fut plus connu pour ses frasques que pour son pouvoir qu’il laissa, d’ailleurs, à sa mère. Lui passait  son temps en « amusements de tous genres ». Ainsi, il rentra un jour dans Rome porté par quatre femmes entièrement nues. Il engagea un historiographe uniquement pour décrire ses repas. Il faut dire, qu’à l’unisson des grands de cette époque décadente, il dépensait des fortunes. Monsieur aimait beaucoup les pâtés originaux : pâté de langues de paons, de langues de rossignols et de perroquets. Ayant entendu parler d’un oiseau unique en Lydie (région occidentale de l’Asie Mineure, actuellement en Turquie ), il offrit une petite fortune à qui lui ramènerait le spécimen pour le goûter. Extravagant jusqu’au bout, il donnait uniquement des paons ou des perdrix à ses chiens et ses fauves. Il ne buvait jamais deux fois dans le même vase bien qu’ils fussent tous en or ou en argent.
Lassé, le peuple envahit son palais ; et c’est dans les latrines qu’il fut assassiné. Pas de pot, si j’ose dire !! Son corps fut ensuite traîné dans les rues de Rome, dépecé, avant de finir dans le Tibre.

O tempora, o mores !!

Sauce, hissons notre programme

Jacques Dupont, grand dégustateur et spécialiste des vins au journal Le Point et Philippe Bourguignon, meilleur sommelier de France en 1978 et chef sommelier du prestigieux restaurant Laurent ont fondé un comité qui reste trop ignoré des grands médias alors que son objet est d’une importance capitale.

poulette-copieVous avez évidemment compris que je parle du Comité de Défense des Plats en Sauce qui a pour vocation de dénoncer les agressions répétées du light, du fast, du short et de tout ce qui préfixe le food en rabaissant le repas à une simple nourriture trop vite expédiée. Le CDPS, qui jusqu’à présent n’avait pas souhaité montrer sa puissance lors des précédentes consultations électorales, entend aujourd’hui, devant l’inaction des pouvoirs publics, sortir de la réserve citoyenne qu’il avait jusque-là scrupuleusement respectée. On ne peut rester muet devant les attaques répétées dont est victime le plat en sauce.  Il est accusé de tous les maux qui accablent nos sociétés modernes. Combien de fois de lâches et anonymes délateurs n’ont-ils pas proféré de rumeurs, malveillances, médisances, au passage d’un innocent rondouillard accusé d’abuser des plats en sauce. Est cela la justice ? Aux Etats Unis, pays des gros et des gras si l’on en croit la télé, que mange-t-on ? Toujours de source petit écran (source feuilletons) : du chicken grillé, du pop corn, des hamburgés, des pizzas à peine décongelées. Le tout arrosé de liquide effervescent glucosé dont l’aspect n’est pas sans rappeler la désinfectante Bétadine, qui chez nous est prisée surtout en milieu hospitalier. Mais de boeuf en sauce aux States, nenni. Pas l’ombre d’une crête de coq au vin, pas un soupçon de mironton.

C’est aux mêmes Etats Unis que l’on a découvert que vin rouge et foie gras avaient des vertus insoupçonnées. Quelle tête feront nos Saint-Just de l’allégé, le jour où ils découvriront que le boeuf bourguignon pare à certaines défaillances mieux que le Viagra. D’ailleurs, des recherches très prometteuses sont en cours au sein d’une des nombreuses sous-commissions du CDPS.

LE PROGRAMME DU CDPS

La pratique du plat en sauce agit en matière de :

sauceEnergie et Environnement

La cuisson lente et longue procure une douce chaleur dans la maison. Elle évite ainsi la surnucléarisation de la France et protège la couche d’ozone (le fumêt remplaçant avantageusement les désodorisants : le plat en sauce odorise, lui…)

Economie et social

Pour réaliser ces plats, on utilise généralement les bas morceaux du boeuf, du veau, du cochon; les poules “hors d’usage” ou les coqs de réforme.

Solidarité

Le plat en sauce est un vecteur évident de convivialité. Il réunit les familles déchirées par le tiercé, les matchs de foot. Il rassemble amis et frères autour de valeurs de notre riche passé en compensant la pauvreté de nos programmes télé.

Culture et agriculture

La consommation de plats en sauce permet le maintien de races anciennes qui donnent des morceaux adaptés, géltineux, gras. Sans cette cuisine, seules les races de viande à rôtir subsisteraient. Un monde uniquement peuplé de Charolais et de mangeurs de « hamburgérs » (prononcez à la française), non merci !

COMMENT DEVONS NOUS AGIR ?

cocotte31En créant une cellule chez chaque Epicurien. En effet la difficulté du CDPS est la suivante : le nombre de militants est réduit à huit par section. Au delà de ce nombre, les fondateurs n’ont pas trouvé de cocotte de qualité suffisante.  Aussi, c’est par la réunion de huit convives autour d’un plat longuement mijoté que nous ferons avancer nos idées et rallierons de nouveaux membres. C’est en nombre que nous pèserons lors des prochaines élections. La victoire est au bout de la cocotte.


A vos cocottes, citoyens épicuriens, le jour de gloire n’est pas loin. Marchons, marchons, qu’un joli fumêt parfume nos habitations. Vive “la Sauce Tranquille”.


Ce programme est paru dans « Les vins de l’hiver » de Philippe Bourguignon et Jacques Dupont chez Hatier : un livre hautement recommandable.

Pour cuire l’éléphant, il ne faut pas se tromper

Le Grand Dictionnaire d’Alexandre Dumas réserve nombre de surprises au lecteur, ainsi :

« Que ce titre n’effraye pas le lecteur, nous n’allons pas le condamner à manger tout entier ce monstrueux animal, mais nous l’engagerons, si toutefois il lui tombait une trompe ou des pieds d’éléphant sous la main, d’y goûter en les assaisonnant de la façon que nous allons indiquer plus loin, et à nous en dire après des nouvelles.

elephant5La Cochinchine est peut-être aujourd’hui la seule nation qui mange la chair de l’éléphant et la regarde comme un aliment très délicat. Quand le roi en fait tuer un pour sa table, il en envoie des morceaux aux grands, ce qui est une très grande marque de faveur ; mais les morceaux les plus estimés sont toujours la trompe et les pieds.
Levaillant dit que c’est un mets exquis. « Les pieds grillés, ajoute-t-il, sont un manger de roi ; je ne concevais pas qu’un animal aussi lourd, aussi matériel, pût fournir un mets aussi délicat ; je dévorai sans pain le pied de mon éléphant. »

Nous allons donc indiquer, pour ceux de nos lecteurs qui voudraient faire comme Levaillant, une recette pour les pieds d’éléphant que nous devons encore à M. Duglerez de la maison Rothschild.

Prenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après les avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez-les ensuite en quatre morceaux dans la longueur et coupez-les en deux, faites-les blanchir dans de l’eau pendant un quart d’heure, passez-les ensuite à l’eau fraîche et égouttez-les dans une serviette.

Ayez ensuite une braisière qui ferme bien hermétiquement ; placez au fond de cette braisière deux tranches de jambon de Bayonne, mettez dessus vos morceaux de pieds, puis quatre oignons, une tête d’ail, quelques aromates indiens, une demi-bouteille de madère et trois cuillerées de grand bouillon.

Couvrez bien ensuite votre braisière et faites cuire à petit feu pendant dix heures ; faites passer la cuisson bien dégraissée à demi-glace en y ajoutant un verre de porto et 50 petits piments que vous aurez fait blanchir à grande eau et à grand feu pour les conserver très verts.
Il est nécessaire que la sauce soit très relevée et de bon goût ; veillez surtout à ce dernier point.

Les Indiens ne font pas tant de façons ; il est vrai qu’ils sont moins versés que nous dans les mystères de la haute cuisine ; aussi font-ils tout simplement cuire sous la cendre, après les avoir préalablement enveloppés dans des feuilles serrées avec des fibres de jonc.
Ce qui ne les empêche pas, du reste, de s’en régaler. »