Posthume et soutane…

Ne croyez pas que je fasse une quelconque fixation sur un auteur oublié depuis fort longtemps. Mais, l’une d’entre vous, Line Usable, m’a adressé un texte qui m’a émue. Dans une Encyclopédie de 1791, les auteurs se souviennent de cet abbé récemment décédé.

L’abbé de Lattaignant fut un de ces aimables oisifs qui font les délices d’un repas et l’amusement des sociétés, par leur facilité à composer des couplets plus ou moins agréables, mais toujours charmants pour les personnes qui en sont l’occasion ou le sujet. La littérature, dont il ne prit que la fleur, fut pour lui un amusement plutôt qu’une occupation. II eût pu se placer entre Panard et Chapelle, s’il eût plus corrigé, s’il eût moins cédé à fa facilité ; en un mot, s’il eût travaillé pour le public, juge sévère et difficile, qui ne compte pour rien les succès de coterie.[…] 
Après avoir scrupuleusement feuilleté le recueil de ses poésies posthumes, on n’a trouvé qu’une seule pièce à conserver : au reste, elle est charmante, et peut-être n’a-t-il rien fait de mieux dans sa vie. Elle courut dans le temps manuscrite ; mais beaucoup de gens, qui ne l’ont pas ou qui l’ont oubliée, la reverront avec plaisir.

Adieux au monde,

J’aurai bientôt quatre-vingts ans,
Je crois qu’à cet âge il est temps
De dédaigner la vie.
Aussi je la perds sans regret,
Et je fais gaîment mon paquet:
Bonsoir la compagnie.

Lorsque l’on prétend tout savoir.
Depuis le matin jusqu’au soir,
On lit, on étudie.
On n’en devient pas plus savant;
On n’en meurt pas moins ignorant:
Bonsoir la compagnie.

Lorsque d’ici je partirai,
Je ne fais pas trop où j’irai;
Mais en Dieu je me fie ;
II ne peut que mener à bien;
Aussi je n’appréhende rien:
Bonsoir la compagnie.

J’ai goûté de tous les plaisirs;
J’ai perdu jusques aux désirs:
A présent je m’ennuie.
Lorsque l’on n’est plus propre à rien,
On se retire, et l’on fait bien:
Bonsoir la compagnie.

Dieu nous fit sans nous consulter:
Rien ne saurait lui résister.
Ma carrière est remplie.
A force de devenir vieux,
Peut on se flatter d’être mieux?
Bonsoir la compagnie.
Nul mortel n’est ressuscite
Pour nous dire la vérité
Des biens de l’autre vie.
Une profonde obscurité
Est le sort de l’humanité.
Bonsoir la compagnie.

Rien ne périt entièrement,
Et la mort n’est qu’un changement,
Dit la philosophie.
Que ce système est consolant!
Je chante, en adoptant ce plan
Bonsoir la compagnie.

Mona rien à ajouter… Bonsoir.

Buvez du vin, c’est pas toujours Graves

Quand on pense calligramme, on pense le plus souvent à Guillaume Apollinaire. Mais on oublie trop souvent un des maîtres du genre. Charles-François Panard, au XVIII° siècle, était un poète et chansonnier. Il fréquentait assidument cafés et cabarets. Et j’aime « La bouteille » qui devrait être l’hymne de tous les amateurs de vins, surtout actuellement, en France où le noble nectar est trop considéré comme une simple boisson d’ivrognes.

Que mon
Flacon
Me semble bon !
Sans lui
L’ennui
Me nuit,
Me suit;
Je sens
Mes sens
Mourans,
Pesants.

Quand je le tiens,
Dieux ! que je suis bien !
Que son aspect est agréable !
Que je fais cas de ses divins présents !
C’est de son sein fécond, c’est de ses heureux flancs
Que coule ce nectar si doux, si délectable,
Qui rend tous les esprits, tous les cœurs satisfaits.
Cher objet de mes vœux, tu fais toute ma gloire;
Tant que mon cœur vivra, de tes charmants bienfaits
Il saura conserver la fidèle mémoire.
Ma muse à te louer se consacre à jamais
Tantôt dans un caveau, tantôt sous une treille,
Ma lyre, de ma voix accompagnant le son,
Répétera cent fois cette aimable chanson :
Règne sans fin, ma charmante bouteille,
Règne sans fin, mon cher flacon.


Mona bu son verre comme les autres…