J’en buvat trop…

La loi Evin a tenté d'enterrer le vin

Jean Buvat (1660-1729) est un mémorialiste français qui nous a laissé un journal sur la Régence. Cette période est synonyme de débauche. Il faut dire que le Prince Philippe d’Orléans savait donner l’exemple.
Jean Buvat (nom prédestiné ?) nous relate une scène de beuverie et conclut en disant : « Toute cette scène ne manqua pas d’être bientôt rapportée à M. le duc d’Orléans, à qui elle donna grand sujet de rire. »

Le 20 dudit mois de septembre 1719, il se passa dans le cloître de Saint-Germain l’Auxerrois, une scène extraordinaire dont voici le fait. Le sieur Nigon, avocat, étant mort le 19, et sa bière étant exposée sur les sept heures du matin à la porte de son logis, couverte du drap mortuaire et environnée de cierges avec des chandeliers et un bénitier d’argent, on avertit le duc d’Arenberg, jeune prince des Pays-Bas qui logeait dans une maison voisine, que les prêtres de la paroisse allaient venir prendre le corps de cet avocat pour l’inhumer. Ce duc, qui avait passé la nuit à boire avec quatre autres seigneurs, descendit avec eux, suivis de leurs laquais, ayant tous une bouteille de vin et le verre en main. L’un s’approche du cercueil, lève le drap mortuaire, et apostrophant le défunt, lui dit : «Mon pauvre Nigon, que fais-tu là? Viens boire avec nous.» Un autre saute sur le cercueil comme à cheval, et s’étant fait donner le bénitier, en renverse l’eau sur la tête du mort, en disant: «Tiens, bois, mon pauvre Nigon, car tu es mort de soif.» Puis, en faisant d’autres extravagances à l’entour de la bière, ils renversèrent les chandeliers et rompirent les cierges. Les prêtres, venus pour le convoi, furent bien étonnés de voir la scène de ces ivrognes, et n’en pouvant tirer que des obscénités, prirent le parti de porter le corps le mieux qu’ils purent. Ces seigneurs et leurs gens suivent le convoi dans le même équipage, et, le corps étant posé dans l’église, ils en font le tour et se mettent à entonner, au lutrin, des Alleluia et des Requiem alternativement. Les remontrances que leur firent quelques prêtres sur leurs extravagances et sur le scandale qu’ils causaient ne firent pas plus d’effet que les menaces du curé de faire venir des hoquetons du Roi pour les mener en prison. Cela n’empêcha pas le curé de porter, après le service, ses plaintes devant un commissaire du Châtelet, qui furent attestées par les ecclésiastiques et par un grand nombre de personnes. Le lendemain matin ces seigneurs, avertis de ce qui s’était passé le jour précédent, et de ce que le curé voulait intenter contre eux au sujet de leurs extravagances, dont ils avaient entièrement perdu le souvenir, prirent sagement le parti d’aller chez le curé, à qui ils firent de grandes soumissions, et le prièrent d’excuser le vin qui les avait portés à des choses auxquelles ils n’auraient jamais pensé dans leur bon sens. Ainsi cela fut assoupi, le curé s’étant contenté de leur repentir. Le duc d’Arenberg ne suivit pas le convoi, parce que peu après qu’il fut descendu proche du cercueil il tomba comme mort, tant il était ivre, de sorte que ses camarades le firent porter dans son lit ; et étant descendus de nouveau, ils dirent au défunt : «Mon pauvre Nigon, viens avec nous, tu boiras tant que tu voudras, et puis nous t’enterrerons comme nous venons de faire au duc d’Arenberg, qui a tant bu qu’il dort content.»

Ma chère Mona, on est obligé en ces circonstances de goûter un vin du domaine d’Arenberg. Cette winery australienne a raflé (sans jeu de mot) de nombreux trophées. Je vous propose de tester leur Cabernet Sauvignon 2005. C’est une boisson d’homme, comme dirait Lino Ventura. Personnellement, je n’irais pas à la nage jusqu’au pays des kangourous pour en ramener une bouteille…