La muse m’habite

mona-baudelaire

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’esprit des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Quelquefois dans un beau jardin,
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti comme une ironie
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon cœur
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la nature.

Ainsi, je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne
Comme un lâche ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma sœur !

« A celle qui est trop gaie » fait partie des six poèmes des Fleurs du mal censurés par le tribunal de Paris en 1857. Il fut publié, en Belgique, dans l’édition des Epaves en 1866. Ces vers ont été écrits en décembre 1852 et adressés anonymement à Madame Apollonie Sabatier. Cette belle femme fut l’amante d’un richissime homme d’affaires. Artiste peintre, elle a plutôt laissé son nom dans l’histoire pour les relations (dans tous les sens du terme) qu’elle noua avec des écrivains, poètes, sculpteurs et peintres. Elle tenait salon et c’est là que Baudelaire la rencontra. Durant près de deux ans, il lui envoya des lettres non signées accompagnées de poèmes. En 1857, au moment de la parution des Fleurs du Mal, il avoue enfin à la belle être l’auteur de ces vers enflammés. En août 1857, ils deviennent amants. C’est la fin d’un amour. Baudelaire écrit :

Il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant.

Les entrevues s’espacent, le charme est rompu. A dater de 1862, ils  ne se verront plus.

Bon Mona, ne pensez vos pas qu’il serait temps de s’humecter les amygdales… Que diriez-vous d’un Chianti 2011 du domaine Guicciardini Strozzi. Cette illustre famille toscane produit un vin plaisant à petit prix. Pourquoi s’en priver ?

L’Ame du Vin

baudelaire-fleursVous l’avez peut-être deviné, avec Mona, nous aimons Baudelaire. Nombre d’articles lui sont déjà consacrés. Mais je ne pouvais ignorer ce magnifique poème issu des Fleurs du Mal.

Charles Baudelaire est souvent supposé être l’ivrogne type. Nombreux ceux qui pensent qu’il était bourré du matin au soir et que sans la verte ou le rouge, il n’y aurait pas eu de poésie. Bien sûr, le vin est présent tout au long de son écriture. Ainsi, « Le Vin » est le titre d’une section des Fleurs du Mal.

Comme pour le haschich, également chanté dans son œuvre, mais qu’il a en fait peu consommé, il ne fut sans doute pas l’alcoolique, qu’on se plait à représenter. Et, selon nombre de contemporains, il fut même très rarement ivre.
Son ami Le Vavasseur écrit : « Il était naturellement sobre. Nous avons souvent bu ensemble. Je ne l’ai jamais vu gris ». Et le photographe Nadar, qui fut son intime de 1843 jusqu’à sa mort : « Jamais, de tout le temps que je l’ai connu, je ne l’ai vu vider une demi-bouteille de vin pur. »
Le vin est pour Baudelaire un thème littéraire, et non un élément de sa vie. Mais quand il le chante, il nous entraîne vers les sommets…

Quand de plus, un sommelier, Jacques Orhon, installé au Canada depuis 1976, met ce poème en musique, c’est « divin »… comme breuvage.musique_ame_du_vin_2w1

L’AME DU VIN
Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles:
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité!
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content;
J’allumerai les yeux de ta femme ravie;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour le frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

Merci à Jacques pour son aimable autorisation. Extrait du disque « L’âme du vin » Trans Euro Music
Ci-dessous, à écouter sans modération
[dewplayer:http://www.journalepicurien.com/sons/lameduvin.mp3]

Bon, Mona, même si je ne suis pas usé… faîtes en tomber un dans le gosier. Votre chaude poitrine lui fera une douce tombe : en un mot, servez à boire une larme de vin.
Et après, on se fait un karaoké baudelairien, ok ?