Faîtes chauffer l’alcool

La table Française est hantée par deux grandes figures de la fin du XVIII° : Brillat-Savarin et Grimod de la Reynière. Je dois vous dire que j’ai toujours eu un faible pour le second. Plus Epicurien, tu meurs ! Et je crois que le bougre doit se retourner dans sa tombe quand il voit avec quelle vitesse tout fout le camp en matière de gastronomie au pays des Gaulois. Bien sûr, il reste quelques temples que le monde entier vient fréquenter, mais que de lieux où seuls les plats de l’industrie agro-alimentaire ont droit de cité : restaurants indignes de porter leur enseigne ; maisons vendues à Picard et consorts…

Ce jour, je vais aborder un sujet que seuls les plus anciens d’entre nous ont connu : le trou normand. Jusque dans les années 1970, il n’était pas concevable de ne pas boire un « coup de calva » au milieu du repas. Ce verre avait pour fonction de faciliter la digestion. De nos jours, tout çà est fini. C’est au mieux une glace à la pomme qui est servie.  Pauv’ Grimod.


Dans « L’Almanch Gourmand ou l’art de bien vivre » Alexandre-Balthazar fait l’éloge de ce qu’à l’époque on nommait le « coup du milieu » :

Un petit verre de vin de Madère ou d’absinthe, que l’on avale entre deux services pour précipiter la digestion. Mr Armand-Gouffé a fait une fort jolie chanson sur ce coup du milieu:

Nos bons aïeux aimaient à boire :
Que pouvons-nous faire de mieux ?
Versez, versez, je me fais gloire
De ressembler à mes aïeux.
Entre le Chablis que j’honore,
Et l’Aï dont je fais mon dieu,
Savez-vous ce que j’aime encore?
C’est le petit coup du milieu.

Je bois quand je me mets à table,
Et le vin m’ouvre l’appétit ;
Bientôt ce nectar délectable
Au dessert m’ouvrira l’esprit.
Si tu veux combler mon ivresse,
Viens, Amour, viens, espiègle dieu,
Pour trinquer avec ma maîtresse
M’apprêter le coup du milieu.

Et, quelques lignes plus loin, il nous propose ces vers

Ce joli coup, chers camarades,
A pris naissance dans les cieux;
Les dieux buvaient force rasades;
Buvaient enfin comme des dieux.
Les déesses, femmes discrètes,
Ne prenaient point goût à ce jeu :
Vénus, pour les mettre en goguettes,
Proposa le coup du milieu.

Aussitôt cet aimable usage
Par l’Amour nous fut apporté
Chez nous son premier avantage
Fut d’apprivoiser la beauté :
Le sexe, a Bacchus moins rebelle,
Lui rend hommage en temps et lien,
Et l’on ne voit pas une belle
Refuser le coup du milieu.

Buvons à la paix, à la gloire ;
Ce plaisir nous est bien permis ;
Doublons les rasades pour boire
A la santé de nos amis.
De Momus, disciples fidèles,
Buvons à Panard, à Chaulieu ;
Mais pour la santé de nos belles
Réservons le coup du milieu.

Fasse que nous n’oublions pas : nous sommes les héritiers d’Alexandre-Balthazar ; aussi n’abandonnons pas tout ce qui fait notre identité…
Bon Mona, impossible d’y échapper. Nous allons boire un Madère, mais un vrai ; pas un de ces trucs qui ne servent qu’à dissimuler l’odeur de pisse des rognons de porc mal lavés.

Mona, amenez deux verres, je vous prie et goûtez moi ce Barbeito Verdelho Reserve. Un bouquet mêlant miel, vanille et amandes. Une finale en bouche d’une longueur exceptionnelle.


Je m’adhère à la mandragore

Le 2 juin dernier, je vous ai couché une recette de philtres d’amour. Ne reculant devant rien pour vous donner une information de qualité, j’ai testé les philtres. Je dois bien avouer que le résultat n’a pas été à la hauteur de mes attentes. J’ai versé une dose de philtre royal dans le verre de ma belle. Sa seule réflexion fut : pas terrible, ce truc. J’ai ingurgité du lait de poule Médicis durant 15 jours : je ne suis même pas enceint bien que j’ai pris un peu de bide, ce qui ne plait pas à ma dulcinée. Aussi, j’ai cherché un philtre d’amour costaud, un vrai comme ceux que devait prendre Brejnev avant de rencontrer ses potes !

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Or, pour les philtres, Pline conseillait déjà dans son Histoire naturelle d’ajouter de la « mandragore » à du vin pour provoquer une saine excitation amoureuse. La Bible nous apprend que les sœurs Léa et Rachel utilisèrent la duadaïm (le fruit de la mandragore) pour susciter la passion amoureuse de Jacob et l’incliner à leurs désirs. Au Moyen Age, le culte de la mandragore faisait rage dans toute l’Europe. De nos jours, les seuls ou presque à s’en souvenir, sont les guérisseurs du Maghreb qui utilisent racines et baies de cette plante pour confectionner d’énigmatiques philtres d’amour et des préparations culinaires aphrodisiaques. Et là, je me dis que je tiens peut-être enfin LA potion.

MandragoreLa mandragore est une plante mystérieuse certes, puisque cette solanacée qui pousse en Tunisie et en Grèce, mais aussi en Sicile et en particulier autour des collines de la ville de Troina, a des racines dont la forme évoque le corps humain. Les habitants qui la connaissent sous le surnom de mannerone récoltent ses racines en automne par nuits de pleine lune.

Des légendes qui se perdent dans la nuit des temps la font naître du sperme d’Adam ou de la « larme équivoque du pendu ». On est sûr depuis plus de deux mille ans que la mandragore donne l’ardeur amoureuse aux hommes et rend les femmes fertiles. Le bruit courre aussi qu’en posséder une racine apporte la fortune et la richesse. Une chose en tout cas est certaine : au-delà de cinq grammes absorbés par un individu, la plante peut devenir vénéneuse car elle appartient à la même famille que la belladone. Il faut enfin préciser qu’elle est la principale protagoniste d’une comédie piquante de Machiavel, La Mandragore (1520), qu’elle possède des vertus curatives, enfin que son action antispasmodique la recommande à petites doses pour les spasmes biliaires et l’asthme bronchique.

A Madère, il est une recette, jalousement transmise de génération en génération. De nos jours encore, ceux qui la connaissent s’en régalent à la fin septembre, moment où il est possible de se procurer en provenance du Maroc, ou de Tunisie, un morceau de racine. Au comble de l’excitation, les participants à cette bacchanale se doivent d’initier au « culte de Vénus » un jeune compagnon grâce à la participation de dames complaisantes du voisinage. D’abord, tous banquettent en buvant du vin de Madère, puis on chante le fado. Après quoi chacun disparaît tout naturellement dans l’ombre accueillante des ruelles… Pour vous plonger dans cette ambiance torride sans bouger de votre banquette en simili cuir, voici en exclusivité, la recette du :

VIN DE MADÈRE À LA MANDRAGORE

Pour 1 personne

Ingrédients : 1 verre de madère et 2g de racine de mandragore. Râpez la mandragore. Mettez-la à infuser 2 h dans le verre de madère. Filtrez, et offrez à qui vous désirez paraître irrésistible.
Attention, la mandragore est toxique. Je décline toute responsabilité en cas d’incident consécutif à son ingestion au-delà des quantités prescrites et uniquement après avis médical.

Par contre, les Portugais du continent, ne buvant pas de Madère, mais du Porto se privent de plaisirs ravageurs…

Bon Mona, ressortez donc le Madère Bual 10 ans d’âge de chez Barbeito, je vais râper la plante du bonheur… bah, bien sûr deux verres … j’hallucine.