Rêve parti

Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, se promenant un soir à Bruges, trouva sur la place publique un homme étendu par terre et qui dormait profondément. Il le fit enlever et porter dans son palais, où, après qu’on l’eut dépouillé de ses haillons, on lui mit une chemise fine, un bonnet de coton, et on le coucha dans un lit du prince. Cet ivrogne fut bien surpris, à son réveil, de se voir dans une superbe alcôve, environné d’officiers plus richement habillés les uns que les autres. On lui demanda quel habit son Altesse voulait mettre ce jour-là. Cette demande acheva de le confondre ; mais après mille protestations qu’il leur fit qu’il n’était qu’un pauvre savetier, et nullement prince, il prit le parti de se laisser rendre tous les honneurs dont on l’accablait. Il se laissa habiller, parut en public, ouît la messe dans la chapelle ducale, y baisa le missel ; enfin, on lui fit faire toutes les cérémonies accoutumées. Il passa à une table somptueuse, puis au jeu, à la promenade, et aux autres divertissements. Après le souper on lui donna le bal. Le bon homme, ne s’étant jamais trouvé à telle fête, prit sans broncher le vin qu’on lui présenta, et si largement qu’il s’enivra de la bonne manière.
Ce fut alors que la comédie se dénoua. Pendant qu’il cuvait son vin, le Duc le fit revêtir de ses guenilles, et le fit reporter au même lieu d’où on l’avait enlevé. Après avoir passé là toute la nuit, bien endormi, il s’éveilla et s’en retourna chez lui, raconter à sa femme, comme étant un songe qu’il avait dû faire, tout ce qui lui était effectivement arrivé.

Mona pas rêvé : Lepicurien est son prince… sarment.