Je vous la fait courte

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J’ai déjà eu l’occasion de vous dire tout le « bien » que je porte à cette période révolutionnaire de 1793 à 1794 au cours de laquelle Robespierre et une poignée d’hommes soumirent la France à une dictature insensée. Je sais bien que, dans les milieux bienpensants, il est inadmissible de toucher à ces pages d’histoire. Mais il faut appeler un chat, un chat. Furent exécutés des milliers de gens souvent de manière arbitraire pour des faits ou dires mineurs et ce sans autre forme de procès.

Aujourd’hui, je ferai mémoire d’une jeune parisienne Cécile Renault, fille d’un marchand papetier. Son père et sa tante qui remplaçait sa mère décédée, ne la laissaient sortir seule que pour faire des courses dans l’île de la Cité.

Pourtant, le 22 mai 1794, elle se présenta vers les neuf heures du soir chez Robespierre. Il faut souligner que tous les faits tirent leur source des rapports du Comité de sûreté générale. Apprenant qu’il était absent, elle laissa échapper des expressions qui décelèrent son mécontentement et éveillèrent des soupçons. Aussitôt on l’arrêta : interrogée sur les motifs de sa visite, elle répondit que c’était pour voir de près un tyran, et qu’elle verserait tout son sang pour avoir un Roi. Il n’en fallait pas tant pour traduire cette jeune fille devant le tribunal révolutionnaire, et son sort était prévisible. Cécile Renault fut guillotinée dans l’année de ses vingt ans, avec son père, Antoine Renault, son frère Antoine-Jacques Renault, et sa tante ex-religieuse, Edmée-Jeanne Renault  qui ne pouvaient qu’être évidemment instigateurs ou complices de ce crime.

Un témoin de ce procès dira plus tard :

-Elle n’avait rien d’exalté dans son regard, mais de la résignation. Elle semblait surprise, pourtant, de ce qui lui arrivait. J’eus compassion d’elle car je ne pus douter un moment qu’elle ne fût la victime d’un crime imaginaire.

Pour faire bonne mesure, on guillotina ce jour là une cinquantaine de personnes…

Vous voyez ma Chère Mona, le rappel de ces faits me donne la nausée. Aussi exceptionnellement, nous ne dégusterons rien ce jour.

Gouges, ah ?

Olympe de Gouges, écrivain sans relief, montée de Montauban, publie, dès 1788, plusieurs articles dont une « Lettre au peuple » où elle appelle à des réformes politiques, économiques et sociales radicales. L’année suivante, alors que la Révolution gronde, elle multiplie les libelles politiques. La tribune de l’Assemblée n’étant pas ouverte aux femmes, elle assiste aux débats de l’Assemblée Nationale dans les tribunes des Jacobins.

En 1791, Olympe de Gouges publie un texte radicalement féministe intitulé « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » en réponse à la fameuse « Déclaration des droits de l’homme ». Ce texte de 17 articles proclame notamment le droit des femmes à devenir des citoyennes égales aux hommes en matière civile et politique.

Prise dans le tourbillon de la Révolution et abhorrant la peine de mort, elle propose son aide à Malesherbes pour assister le Roi dans son procès devant la Convention. Elle souhaite que le souverain soit exilé et non exécuté. Vivement opposée au régime de la Terreur, elle signe un placard contre Robespierre et Marat qu’elle accuse d’être responsable des effusions de sang. Fidèle à ses principes humanistes, elle y déclare que « Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement les révolutions ».

C’est l’escalade. Soutenant les Girondins, elle écrit, entre autres, le 2 novembre 1793 :

« Toi, Robespierre, désintéressé, toi, philosophe, toi, ami de tes concitoyens, de l’ordre et de la paix ! tu oses le dire ? Ah ! si cela est, malheur à nous ! Car quand un méchant fait le bien, il prépare de grands maux ; et j’ai bien peur que cette ritournelle de ton ambition ne nous donne bientôt une musique lugubre. Vois quelle différence entre nos âmes! La mienne est véritablement républicaine; la tienne ne le fut jamais. […] Tu te dis l’unique auteur de la révolution ; tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration. « 

Immédiatement arrêtée, elle est condamnée à mort.

C’est le célèbre bourreau Sanson qui raconte, dans ses mémoires, les derniers instants d’Olympe :

Le 4 au matin, à trois heures, le bourreau vint la chercher, elle était instruite de son sort, et ne paraissait point abattue ; quand on lui eut coupé les cheveux, elle demanda un miroir. Grâce à Dieu, s’écria-t-elle en s’y regardant, mon visage ne me jouera pas de mauvais tour, je ne suis pas trop pâle.
Les apprêts terminés, elle monta courageusement dans la fatale charrette. Pendant tout le trajet elle ne rompit que deux fois le silence : une fois par cette exclamation : « Fatal désir de la renommée », une autre fois par celle-ci : « J’ai voulu être quelque chose! » Arrivée au pied de l’échafaud, elle dit encore: « Ils vont être contents, ils auront détruit l’arbre et la branche ! » Puis en montant les marches, elle regarda le peuple, et s’écria : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! »

Fin tragique  pour une femme qui avait dit : « La femme a le droit de monter à l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »

Et pourtant la bataille du droit des femmes est loin d’être gagnée. Voici comment on la juge dans un journal de l’époque intitulé: La Feuille du salut public : « Olympe de Gouges, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle voulut être homme d’état. Elle adopta les projets des perfides qui voulaient diviser la France. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »

Gouges ? Gouges, mais c’est un grand vigneron bourguignon. Ma Chère Mona, portons un toast aux féministes de tout poil et soyons sûrs que Madame Gouges nous regardera de son Olympe. Ce Nuits Saint Georges 1er cru Les Pruliers 2007 est déjà fort agréable à boire.

Le mots s’envolent, les aigris restent

C’est dans un petit village de l’Artois, du nom de Blangy, près d’Arras, que les Rosati[1] ont vu le jour. Le lieu était très verdoyant et on y cultivait des roses. Le 12 juin 1778, ce fut donc l’endroit choisi pour une réunion amicale et champêtre, par un groupe de jeunes gens joyeux et cultivés. Comme les muses, ils étaient 9 épicuriens réunis par l’amitié, le goût des vers et du vin. Ils célébraient la poésie, le bon vin, les chansons, les bons mots et… la rose. Après avoir bu, chanté, déclamé des poèmes, et plaisanté sur toutes sortes de sujets, cette journée leur parut magnifique et l’un d’eux s’écria :

« Amis, qu’un si beau jour renaisse tous les ans, et qu’on l’appelle : La Fête des Roses ! ». Ainsi naquirent les Rosati.

robespierre

L’écho de cette fête se répercuta dans la société des gens cultivés. On vit alors arriver des personnages comme Maximilien Robespierre, Lazare Carnot, ou Fouché qui s’illustrèrent un peu plus tard…

Nous nous attarderons sur le cas de Maximilien. Présenté comme un personnage froid et ascète en face d’un Danton, gourmand et jouisseur, il se laissait aller à célébrer le nectar de la vigne alors qu’il faisait partie de la Société des Rosati.

Lors des réunions copieusement arrosées de la docte assemblée, des joutes de vers étaient organisées. Je vous invite à lire un des poèmes de l’Incorruptible[2]. Certes la poésie n’a guère de relief, mais elle est une curiosité qui interpellera l’épicurien qui demeure en vous :

La Coupe Vide

O Dieu ! Que vois-je, mes amis ?
Un crime trop notoire,
Du nom charmant de Rosatis,
Va donc flétrir la gloire.
O malheur affreux !
O scandale honteux !
J’ose le dire à peine,
Pour vous, j’en rougis,
Pour moi, j’en gémis,
Ma coupe n’est pas pleine

Eh vite, donc emplissez-la
De ce jus salutaire,
Ou du Dieu qui nous le donna
Redoutez la colère.
Oui, dans sa fureur
Son thyrse vengeur
S’en va briser mon verre.
Bacchus de là-haut
A tout buveur d’eau
Lance un regard sévère

O mes amis, tout buveur d’eau,
Et vous pouvez m’en croire,
Dans tous les temps, ne fut qu’un sot
J’en atteste l’histoire :
Ce sage effronté !
Cynique vanté,
Me paraît bien stupide.
O le beau plaisir
D’aller se tapir
Au fond d’un tonneau vide ?

Difficile de croire que l’auteur de ces strophes participa à la Terreur et signa tant d’ordres d’arrestation. Mais après tout, Fabre d’Eglantine, qui fut favorable aux massacres de Septembre et tenta même de les exporter en Province. a bien écrit la chansonnette pastorale que chantent encore nos bambins :

sheep-stool

Il pleut, il pleut, bergère,
Presse tes blancs moutons,
Allons sous ma chaumière,
Bergère vite, allons.
J’entends sur le feuillage,
L’eau qui tombe à grand bruit,
Voici, voici l’orage,
Voilà l’éclair qui luit.

Entends tu le tonnerre ?
Il roule en approchant
Prends un abri, bergère,
A ma droite en marchant.
Je vois notre cabane.
Et tiens, voici venir
Ma mère et ma sœur Anne
Qui vont l’étable ouvrir.

Bonsoir, bonsoir, ma mère,
Ma sœur Anne, bonsoir,
J’amène ma bergère
Près de vous pour ce soir.
Va te sécher, ma mie,
Auprès de nos tisons,
Sœur, fais lui compagnie,
Entrez petits moutons.

Soignons bien, ô ma mère,
Son tant joli troupeau,
Donnez plus de litière
A son petit agneau.
C’est fait. Allons près d’elle,
Eh bien ! donc te voilà !
En corset qu’elle est belle !
Ma mère, voyez-la.

Soupons, prends cette chaise,
Tu seras près de moi,
Ce flambeau de mélèze
Brûlera devant toi.
Goûte de ce laitage.
Mais tu ne manges pas ?
Tu te sens de l’orage.
Il a lassé tes pas.

Et bien voilà ta couche
Dors y bien jusqu’au jour
Laisse moi sur ta bouche
Prendre un baiser d’amour
Ne rougis pas bergère
Ma mère et moi demain
Nous irons chez ton père
Lui demander ta main.

Mona, ma belle bergère, les vers de Maximilien m’ont donné soif. Préparez deux verres, et laissez moi sur votre bouche, servir une petite douceur : un cidre de glace canadien.

[1] Société littéraire  dont le nom est une anagramme d’ARTOIS

[2] Surnom de Maximilien Robespierre