Parfum révolutionnaire

Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun
Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun

Jean-Louis Fargeon, descendant d’une lignée de parfumeurs fut le parfumeur attitré de la Reine Marie-Antoinette. Durant la révolution, il fut arrêté et jugé. Il fut un des rares, en pleine terreur, à sauver sa tête. C’était le 9 thermidor (jour de l’arrestation de Robespierre). Dans sa geôle, la veille de sa parution devant le tribunal révolutionnaire, il écrit un joli texte pour préparer sa défense. J’en ai extrait ces lignes :

« On m’accuse d’avoir servi les ci-devant nobles. J’ai fabriqué des parfums à leur usage, mais ils possédaient les goûts et les moyens qui faisaient d’eux ma clientèle naturelle. J’ai souffert de leur légèreté et de leur négligence à payer leurs dettes, qui m’ont conduit à la banqueroute. J’ai eu le plus grand mal à rétablir mes affaires. ..

Je suis un homme de science, adepte du progrès comme le fut mon père. Mes expériences, connaissances et inventions ont porté sur l’art subtil du parfum. … J’ai cherché et trouvé dans la nature ce qui pouvait, dans mes compositions, susciter les mouvements de l’âme et ressusciter des souvenirs enfouis. Qu’exige-t-on aujourd’hui de mon art ? Devais-je, pour prouver mon patriotisme, composer un parfum à partir de l’odeur du sang qui flotte autour de la guillotine?

Ah, que je cesse enfin de respirer la fétide senteur de ma cellule qui m’emprisonne plus étroitement encore que ses barreaux ! Tandis que je me morfonds dans cette misère, il arrive que, soudain, le doux parfum des jours enfuis me transporte dans les jardins et les salons d’un monde où fleurissait, rose parmi les lys, feu la reine de France. Oui, je l’avoue, je suis fier d’avoir su exalter en elle la femme, sans avoir été pour autant un esclave de la souveraine.

Quand surgit ce parfum du passé ma vie tout entière s’ordonne comme j’ordonnais mes compositions odorantes.

L’accord se plaque d’abord sur le mode majeur, avant de laisser échapper les notes de tête qui jaillissent, folles, vives, impatientes comme la Jeunesse. Les notes de cœur palpitent ensuite, douces, accomplies et vibrantes comme la pleine réalisation d’une personnalité Enfin, lourdes, persistantes et tenaces, résonnent les notes de fond, présentes dès la première envolée. Tel fut mon art et telle fut ma vie. Je saurai demain si elle doit m’être ôtée.»

C’est beau !
Je vous « adior »
Votre Mona

Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette
de Elisabeth de Feydeau – Editions Perrin 2005

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