L’avaleur n’attend pas le nombre des années

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Le Déjeuner de jambon de Nicolas Lancret Musée de Chantilly

Pierre de Montmaur (surnommé Montmaur le Grec, et plus méchamment Gomor ou Mormon) est né en 1576 dans le Lot. Professeur helléniste distingué, il était connu pour son avarice, ses bons mots et son appétit insatiable malgré sa grande maigreur. Réputé comme un vrai pique-assiette, il se définissait lui-même comme le « plus grand parasite que le monde ait jamais porté ». Sa compagnie était recherchée et lui assurait d’être reçu à la table des grands, à qui il promettait plaisamment :
– Fournissez les viandes et le pain, je me charge du sel.

Nombre d’auteurs lancèrent de son vivant des pamphlets à son encontre. Mais, c’est au début du XVIII° siècle qu’un ouvrage en deux tomes assura sa légende.

Voici pour vous, chers lecteurs, deux extraits de « l’histoire de Pierre de Montmaur, professeur royal en langue grecque dans l’Université de Paris, par Sallengre (1715), recueil de pièces de prose et de vers publiées contre ce fameux parasite. »

Tout d’abord, deux souvenirs de table :

couvertsEtant un jour avec plusieurs de ses amis qui parlaient, chantaient et riaient tout ensemble, Pierre de Montmaur stoppa toute conversation en disant :
– Eh bien Messieurs, un peu de silence, on ne sait plus ce qu’on mange.

Ce mot sera l’occasion de publier cette épigramme :

Gomor étant à table avec certains pédants
Qui criaient et prêchaient trop haut sur la vendange
Lui qui ne songe alors qu’à ce que font les dents
Paix là, paix là, on ne sait pas ce qu’on mange

Quelqu’un ayant dit que les médecins Grecs soutenaient qu’il fallait dîner légèrement mais manger davantage à souper, et que les Arabes croyaient qu’il fallait faire un léger souper mais un bon dîner, il répondit qu’il dînerait avec les Arabes mais qu’il souperait avec les Grecs.

Puis, à la manière de la chanson Père Dupanloup, la naissance du parasite. Mélange de Gargantua, « Le Tambour »[1] et de Jean Baptiste Grenouille[2] :

Foetus_in_the_Womb_detailDieu, ayant dessein de punir le monde par ses trois fléaux ordinaires, y envoya, il y a près de trente années, la peste, la guerre, et Mormon pour y causer la famine. Il exécuta si bien les ordres du Ciel, qu’avant même que de naître il fit mourir sa mère de faim. Cette pauvre femme fut tourmentée pendant sa grossesse d’une boulimie épouvantable ; mais elle avait beau manger, elle n’en était pas plus grasse, et son ventre seul, qui grossissait à vue d’œil, en profitait, prenant pour lui tout ce qui était destiné à la nourriture des autres parties.
Ce parasite embryon affama donc sa mère de telle sorte qu’il la fit enfin mourir. Le soir d’un mardi gras, après avoir été en festin tout le long du jour, et avoir étonné de sa voracité prodigieuse toute la compagnie, on la vit tomber sur les plats, en disant d’une voix faible et languissante qu’elle mourait de faim. Elle ne mentait pas : car ce furent ses dernières paroles, après lesquelles on reconnut qu’elle était sans mouvement et sans vie ; heureuse au moins en ce point, d’avoir évité la rencontre du carême, son ennemi, qui arriva devant le point du jour.
A cause du péril que courait l’enfant, on la déshabillait pour faire l’opération ordinaire en de pareils accidents, quand on fut bien étonné de voir un gros garçon sortir de son ventre par un grand trou qu’il y faisait à belles dents. — Ah Dieu ! Ils en sont déjà au dessert, s’écria- t-il en s’élançant légèrement de sa mère sur la table. Il n’en dit pas davantage car il se mit à manger.

Allez, Mona, buvons un Cahors à la mémoire de cet épicurien. Deux verres, deux.


[1] Film de Volker Schlöndorff (1979) adapté du roman éponyme de Günter Grass (1959).
[2] Héros du roman de l’écrivain allemand Patrick Süskind (1985) : Le Parfum, histoire d’un meurtrier