Bavière pour autant

La Duchesse d'Orléans "pose" à Fontainebleau

Hormis dans les chansons de salles de garde, il n’est pas de bon ton dans notre société de parler d’étron. Le sujet est tabou. Au Japon, on a même mis en place des appareils qui diffusent le son d’une chasse qu’on tire pour qu’aucun bruit suspect (et non sucepet) ne traverse la porte du lieu d’aisance. Vous dire !

Au XVIIIe siècle, il en était autrement. Parler cru, c’était parler vrai.

Charlotte-Elisabeth de Bavière, Duchesse d’Orléans, mariée au frère de Louis XIV passa sa vie à écrire des lettres aux membres de sa famille et ses amis. Cette correspondance est précieuse. Elle nous fait connaître notamment le mode de vie et les petits événements de Versailles.

Je vous propose une lettre adressée à sa tante, Sophie de Bohême, princesse-électrice de Hanovre. Dans sa correspondance, l’alimentation tient une part importante. Elle était gourmande et mangeait beaucoup (comme nombre de courtisans). Quand on a mangé, il faut dégager. Et c’est l’objet de cette missive : elle emploie le mot « chier » 26 fois. Princier, non ?

Fontainebleau, le 9 octobre 1694

« Vous êtes bien heureuse d’aller chier quand vous voulez ; chiez donc tout votre chien de saoul. Nous n’en sommes pas de même ici, où je suis obligée de garder mon étron pour le soir ; il n’y a point de frottoir aux maisons du côté de la forêt. J’ai le malheur d’en habiter une, et par conséquent le chagrin d’aller chier dehors, ce qui me fâche, parce que j’aime à chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien. Item, tout le monde nous voit chier ; il y passe des femmes, des hommes, des filles, des garçons, des abbés et des suisses ; vous voyez par là que nul plaisir sans peine, et qui si on ne chiait point, je serais à Fontainebleau comme le poisson dans l’eau.

Il est très chagrinant que mes plaisirs soient traversés par des étrons ; je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier, ne pût chier, lui et toute sa race, qu’à coups de bâton. Comment, mordi, qu’il faille qu’on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde, qu’il vous en prenne envie de chier, il vous faut aller chier. Soyez avec une jolie fille, une femme qui vous plaise ; qu’il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever.

Ah ! maudit chier, je ne sache point plus vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre, vous vous récriez : Eh ! que cela serait joli si cela ne chiait pas ! Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats, aux gardes, à des porteurs de chaises, et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d’ordre chient, les curés et les vicaires chient.

Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens, car enfin, on chie en l’air, on chie sur terre, on chie dans la mer, tout l’univers est rempli de chieurs et les rues de Fontainebleau  de merde, car ils font des étrons plus gros que vous, Madame. Si vous croyez baiser une belle petite bouche avec des dents bien blanches, vous baisez un moulin à merde ; tous les mets les plus délicats, les biscuits, les pâtés, les tourtes, les perdrix, les jambons,  les faisans, tout n’est que pour faire de la merde mâchée.

Bon ma petite Mona, je ne vais pas vous servir un vin de merde, lavez donc deux verres et humectez vous de ce Saint Bris 2008 de G. et H. Goisot. Ce vin  du Chablisien fait exception. On y cultive le sauvignon. Fin, minéral, gras… le pied, merde alors !