Les aigris restent

Stendhal et Balzac se battent devant Mona

Un scénariste envisage de porter à l’écran un roman de Balzac. Il déjeune avec un producteur pour lui exposer son projet.

Dès qu’il prononça le nom de Balzac, le producteur rejeta immédiatement le script d’un geste de la main et d’une moue qui ne laissait aucun espoir à l’auteur. Après quelques instants, devant la mine défaite de son commensal, il se crut obligé de s’expliquer :

– Ce Balzac, il n’a rien écrit d’enthousiasment … à part, peut-être Le Rouge et le Noir !!

Le scénariste lui fit remarquer que c’était doublement faux. Le Colonel Chabert, roman balzacien, porté à l’écran par Yves Angelo avec entre autres Gérard Depardieu, avait remporté un grand succès et avait été nominé six fois aux César. Quant au Rouge et Noir, c’était un roman de Stendhal.

Mais le producteur ajouta pour clore l’entretien :

-Tiens, vous voyez, le seul roman intéressant de Balzac pour le cinéma n’est même pas de lui !

Mona, buvons donc un coup malgré ce gougeât. Que diriez vous d’ un Fonsalette 2006 ? Vinifié par Rayas, ce vin est tout en finesse malgré son degré d’alcool sudiste. 

Stendhal en Côte d’Or

Alors que la polémique sur les rosés est à peine éteinte (souvenez-vous, ils voulaient autoriser les assemblages de rouge et de blanc), il est toujours intéressant de voir que rien n’est vraiment nouveau sous le soleil. Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal relate son voyage à travers les régions françaises. En traversant la Bourgogne, il souligne nombre de curiosités et notamment il relève que les vins blancs de Pommard, Volnay et Meursault sont utilisés en assemblage des vins rouges [1].

Le Clos Vougeot
Le Clos Vougeot

Stendhal-consul-bigSans ses vins admirables, je trouverais que rien au monde n’est plus laid que cette fameuse Côte-d’Or. La Côte-d’Or n’est qu’une petite montagne bien sèche et bien laide ; mais on distingue les vignes avec leurs petits piquets, et à chaque instant on trouve un nom immortel : Chambertin, le Clos-Vougeot, Romanée, Saint-Georges, Nuits. A l’aide de tant de gloire, on finit par s’accoutumer à la Côte-d’Or.
Le général Bisson [2], étant colonel, allait à l’armée du Rhin avec son régiment. Passant devant le Clos-Vougeot, il fait faire halte, commande à gauche en bataille, et fait rendre les honneurs militaires.

Comme mon compagnon de voyage me contait cette anecdote honorable, je vois un enclos carré d’environ quatre cents arpents, doucement incliné au midi et clos de murs. Nous arrivons à une porte en bois sur laquelle on lit en gros caractères fort laids : Clos-Vougeot. Ce nom a été fourni par la Vouge, ruisseau qui coule à quelque distance. Ce clos immortel appartenait autrefois aux religieux de l’abbaye de Cîteaux. Les bons pères ne vendaient pas leur vin, ils faisaient des cadeaux de ce qu’ils ne consommaient pas. Donc, aucune ruse de marchand. […]
En général, les vins de ce pays se boivent en Belgique. Le propriétaire du Clos-Vougeot peut tromper ses chalands; il n’aurait qu’à faire répandre sur sa vigne du fumier de cheval, elle produirait beaucoup plus, mais le vin serait d’une qualité inférieure. Une bouteille du Clos-Vougeot, qui se vend dix francs à Paris chez les restaurateurs, ne se vend pas, mais s’obtient sur les lieux, par insigne faveur, au prix de quinze francs. Mais, il faut l’avouer, rien ne lui est comparable. Ce vin n’est pas fort agréable la première et souvent la seconde année; aussi les propriétaires ont-ils toujours une réserve de cent mille bouteilles.
La poésie, avec ses exagérations aimables, s’est emparée de ce sujet si cher aux Bourguignons ; et ce soir, dans son enthousiasme, mon correspondant de Beaune m’a promis de me faire boire une bouteille de vin du Clos-Vougeot provenant encore de l’abbaye de Cîteaux. Mais comment croire à cette vénérable antiquité, si après douze ou quinze ans ce vin commence à perdre ?
[…] Les vins de Nuits sont devenus célèbres depuis la maladie de Louis XIV, en 1680 ; les médecins ordonnèrent au roi, le vieux vin de Nuits pour rétablir ses forces. Cette ordonnance de Fagon [3] a créé la petite ville de Nuits.
[…] Beaune est située sur un sol calcaire ; on a planté une jolie promenade le long des remparts, et la Bourgeoise, petite rivière fort limpide et pleine de grandes herbes vertes qui flottent avec l’eau, traverse la ville. La cour de l’hôpital offre de jolis restes d’architecture gothique. Nicolas Rollin [4], chancelier de Philippe duc de Bourgogne, fonda cet hôpital en 1445. Il est bien juste, dit Louis XI, que Rollin, après avoir fait tant de pauvres, construise un hôpital pour les loger.
En allant à Chaumont, j’avais passé devant Pommard, Volnay et Meursault ; mais j’apprends seulement aujourd’hui la cause secrète de la richesse de ces lieux célèbres ; ils produisent un vin blanc qui a la propriété de se mêler aux vins rouges et de leur donner du feu sans les altérer.

Mona, Stendhal m’a donné soif. Sans vous commander, prenez donc deux verres sur l’évier. Moi, j’attrape un Meursault vinifié par Alix de Montille. Du bonheur assuré.


[1] De nos jours, Pommard et Volnay ne produisent que…  des vins rouges fort réputés.  Meursault produit essentiellement des vins blancs (environ 15 ha de rouge).
[2] Brillat-Savarin dit à son propos:  « C’est ainsi que le général Bisson, qui buvait chaque jour 8 bouteilles de vin à son déjeuner, n’avait pas l’air d’y toucher. Tout en humant ainsi 16 litres de liquide, il n’était pas plus empêché de plaisanter et de donner ses ordres que s’il n’eût dû boire qu’un carafon. »
[3] Archiatre (1er médecin du Roi). Voici comment le décrit St Simon dans ses Mémoires: « Fagon, du fond de sa chambre et du cabinet du roi, voyait tout et savait tout. C’était un homme d’infiniment d’esprit et avec cela un bon et honnête homme. Une figure hideuse, un accoutrement singulier; asthmatique, bossu…. Il était l’ennemi le plus implacable de ce qu’il appelait : charlatans… »
[4] Fondateur, avec sa femme Guigone de Salins, des Hospices de Beaune : « Moi, Nicolas Rolin, chevalier, citoyen d’Autun, seigneur d’Authume et chancelier de Bourgogne, en ce jour de dimanche, le 4 du mois d’août, en l’an de Seigneur 1443… dans l’intérêt de mon salut, désireux d’échanger contre des biens célestes, les biens temporels… je fonde, et dote irrévocablement en la ville de Beaune, un hôpital pour les pauvres malades, avec une chapelle, en l’honneur de Dieu et de sa glorieuse mère… »

http://www.pommard.com/