Le mots s’envolent, les aigris restent

C’est dans un petit village de l’Artois, du nom de Blangy, près d’Arras, que les Rosati[1] ont vu le jour. Le lieu était très verdoyant et on y cultivait des roses. Le 12 juin 1778, ce fut donc l’endroit choisi pour une réunion amicale et champêtre, par un groupe de jeunes gens joyeux et cultivés. Comme les muses, ils étaient 9 épicuriens réunis par l’amitié, le goût des vers et du vin. Ils célébraient la poésie, le bon vin, les chansons, les bons mots et… la rose. Après avoir bu, chanté, déclamé des poèmes, et plaisanté sur toutes sortes de sujets, cette journée leur parut magnifique et l’un d’eux s’écria :

« Amis, qu’un si beau jour renaisse tous les ans, et qu’on l’appelle : La Fête des Roses ! ». Ainsi naquirent les Rosati.

robespierre

L’écho de cette fête se répercuta dans la société des gens cultivés. On vit alors arriver des personnages comme Maximilien Robespierre, Lazare Carnot, ou Fouché qui s’illustrèrent un peu plus tard…

Nous nous attarderons sur le cas de Maximilien. Présenté comme un personnage froid et ascète en face d’un Danton, gourmand et jouisseur, il se laissait aller à célébrer le nectar de la vigne alors qu’il faisait partie de la Société des Rosati.

Lors des réunions copieusement arrosées de la docte assemblée, des joutes de vers étaient organisées. Je vous invite à lire un des poèmes de l’Incorruptible[2]. Certes la poésie n’a guère de relief, mais elle est une curiosité qui interpellera l’épicurien qui demeure en vous :

La Coupe Vide

O Dieu ! Que vois-je, mes amis ?
Un crime trop notoire,
Du nom charmant de Rosatis,
Va donc flétrir la gloire.
O malheur affreux !
O scandale honteux !
J’ose le dire à peine,
Pour vous, j’en rougis,
Pour moi, j’en gémis,
Ma coupe n’est pas pleine

Eh vite, donc emplissez-la
De ce jus salutaire,
Ou du Dieu qui nous le donna
Redoutez la colère.
Oui, dans sa fureur
Son thyrse vengeur
S’en va briser mon verre.
Bacchus de là-haut
A tout buveur d’eau
Lance un regard sévère

O mes amis, tout buveur d’eau,
Et vous pouvez m’en croire,
Dans tous les temps, ne fut qu’un sot
J’en atteste l’histoire :
Ce sage effronté !
Cynique vanté,
Me paraît bien stupide.
O le beau plaisir
D’aller se tapir
Au fond d’un tonneau vide ?

Difficile de croire que l’auteur de ces strophes participa à la Terreur et signa tant d’ordres d’arrestation. Mais après tout, Fabre d’Eglantine, qui fut favorable aux massacres de Septembre et tenta même de les exporter en Province. a bien écrit la chansonnette pastorale que chantent encore nos bambins :

sheep-stool

Il pleut, il pleut, bergère,
Presse tes blancs moutons,
Allons sous ma chaumière,
Bergère vite, allons.
J’entends sur le feuillage,
L’eau qui tombe à grand bruit,
Voici, voici l’orage,
Voilà l’éclair qui luit.

Entends tu le tonnerre ?
Il roule en approchant
Prends un abri, bergère,
A ma droite en marchant.
Je vois notre cabane.
Et tiens, voici venir
Ma mère et ma sœur Anne
Qui vont l’étable ouvrir.

Bonsoir, bonsoir, ma mère,
Ma sœur Anne, bonsoir,
J’amène ma bergère
Près de vous pour ce soir.
Va te sécher, ma mie,
Auprès de nos tisons,
Sœur, fais lui compagnie,
Entrez petits moutons.

Soignons bien, ô ma mère,
Son tant joli troupeau,
Donnez plus de litière
A son petit agneau.
C’est fait. Allons près d’elle,
Eh bien ! donc te voilà !
En corset qu’elle est belle !
Ma mère, voyez-la.

Soupons, prends cette chaise,
Tu seras près de moi,
Ce flambeau de mélèze
Brûlera devant toi.
Goûte de ce laitage.
Mais tu ne manges pas ?
Tu te sens de l’orage.
Il a lassé tes pas.

Et bien voilà ta couche
Dors y bien jusqu’au jour
Laisse moi sur ta bouche
Prendre un baiser d’amour
Ne rougis pas bergère
Ma mère et moi demain
Nous irons chez ton père
Lui demander ta main.

Mona, ma belle bergère, les vers de Maximilien m’ont donné soif. Préparez deux verres, et laissez moi sur votre bouche, servir une petite douceur : un cidre de glace canadien.

[1] Société littéraire  dont le nom est une anagramme d’ARTOIS

[2] Surnom de Maximilien Robespierre