Pas folles de la messe

Madame de Marron et ses religieuses

Dans chaque région de ce beau pays de France, des merveilles culinaires nous font chavirer de contentement. L’Ain est un département particulièrement béni des dieux de la gastronomie. Depuis toujours, volailles, brochet… et écrevisses font les délices des gourmets.

Malheureusement, les écrevisses s’y font de plus en plus rares et il devient difficile de goûter à un mets qui rendit folles des religieuses à l’époque de Louis XIII.

La chronique rapporte que les nonnes du couvent de Bons avaient une vie de débauche et attachaient plus d’importance à leurs sauces mijotées qu’à la lecture des psaumes. Un évêque délégua un de ses chanoines pour les ramener à la raison, mais elles l’injurièrent et firent des gestes obscènes jusqu’à ce que le curé s’en allât. Il fallut l’intervention du cardinal Richelieu en personne pour que les sœurs quittent leur abbaye pour rejoindre Belley et habiter sous surveillance juste à coté du siège épiscopal.

 Lucien Tendret dans «La table au pays de Brillat-Savarin » rapporte que :

selon « la tradition, Mme de Marron, la dernière abbesse de Bons donna ses ordres à la sœur converse[1] chargée du travail de la cuisine en lui disant : « Ma sœur, vous apprêterez nos écrevisses à la mode de Monsieur Le Prieur ; que Dieu nous fasse miséricorde

Voici cette recette ou plutôt ce philtre composé sans doute par quelque lutin chargé de porter le feu dans les corps et dans les âmes. Ayez dix douzaines de belles écrevisses, vous les lavez successivement dans plusieurs eaux, les égouttez et les essuyez dans un linge.

Versez dans le pot au feu de cuivre, deux verres de vin blanc sec, autant de vinaigre blanc fait de vin, un verre de jus de viande, un demi verre de fine Champagne, ajoutez cinquante grammes de lard frais, deux carottes, quatre oignons moyens coupés en dés, dix échalotes, deux têtes d’ail, un bouquet de thym, de persil, de cerfeuil, le quart d’une feuille de laurier, la moitié du zeste d’une orange moyenne, une grosse poignée de sel non pilé, une poignée de poivre en grains, deux prises d’épices fines, trois fortes pincées de poivre blanc récemment moulu, deux pincées de poivre rouge (poivre long mûr, réduit en poudre), ou à défaut une demi prise de poivre de Cayenne.

Faites cuire ces éléments jusqu’à réduction de moitié du liquide, jetez-y les écrevisses, les remuez souvent ; après dix ou douze minutes, assurez-vous si elles sont cuites, les retirez, les déposez dans une soupière d’argent ou de porcelaine et les trempez du court-bouillon suffisamment réduit et passé au tamis.

Lucien Tendret pousuit :

Au moment marqué, l’amphitryon enlève le couvercle de la soupière, une légère buée monte vers les cieux, des arômes vineux et acidulés se répandent dans la salle du festin, les cœurs les plus affadis se relèvent et l’appétit renaît dans les estomacs. Le vin blanc employé doit être sec. Les  écrevisses, selon le rite du prieur, doivent être mangées chaudes.

Lorsque Mme de Marron,  l’abbesse, offrait des écrevisses cardinalisées, elle faisait servir du vin blanc de Virieu. On remplace avantageusement ce vin par celui de Champagne qu’on aura soin de glacer. Le froid fait antithèse à la chaleur produite dans la bouche par le court-bouillon de haut goût et on éprouve la sensation ressentie par le prophète Isaïe, lorsque l’ange lui purifiait les lèvres avec le charbon divin et incandescent.

Mona pas aimé qu’on la pince


[1] S’occupe des travaux quotidiens de la communauté.