Les nouvelles sont bonnes

J’aime lire Maupassant. Pour moi, c’est le roi de la nouvelle. Une écriture sobre et élégante avec des descriptions courtes mais tellement suggestives. Pour le plaisir un long extrait d’une nouvelle :

– Ah ! mon cher, quelles rosses, les femmes !
– Pourquoi dis-tu ça ?
– C’est qu’elles m’ont joué un tour abominable.
– À toi ?
– Oui, à moi.
– Les femmes, ou une femme ?
– Deux femmes.
– Deux femmes en même temps ?
– Oui.
– Quel tour ?

Deux jeunes gens de la bonne bourgeoisie étaient attablés à un café parisien. L’un relatait à l’autre ses malheurs amoureux : il avait une maîtresse à Paris « une que j’aime infiniment, une vieille amie, une bonne amie, une habitude enfin, et j’y tiens. »

Mais avec son mari, elle ne quitte jamais la capitale. Aussi, lors d’un séjour à Dieppe, il se sent « veuf ». Il rencontre sur la plage une petite esseulée. Son mari employé d’un ministère, laid de surcroit, ne la rejoint que le dimanche. Durant six semaines, le jeune homme et sa nouvelle amoureuse passent du bon temps.

De retour à Paris, trouvant à chacune de ces deux femmes, des qualités, il organise sa vie afin de les fréquenter assidument.

Mon cher, la petite ministère était tout feu, tout flamme, sans un tort, comme je te l’ai dit ! Comme son mari passe tous ses jours au bureau, elle se mettait sur le pied d’arriver chez moi à l’improviste. Deux fois elle a failli rencontrer mon habitude.
– Diable !
– Oui. Donc, j’ai donné à chacune ses jours, des jours fixes pour éviter les confusions. Lundi et samedi à l’ancienne. Mardi, jeudi et dimanche à la nouvelle.
– Pourquoi cette préférence ?
– Ah ! mon cher, elle est plus jeune.
– Ça ne te faisait que deux jours de repos par semaine.
– Ça me suffit.
– Mes compliments !

Tout fonctionna parfaitement durant quatre mois. Mais un lundi, la maîtresse habituelle ne vint pas. Se rendant chez elle, il la trouve allongée, lisant un roman. Elle lui dit :

– Mon cher, je n’ai pas pu, j’ai été empêchée.
– Par quoi ?
– Par des… occupations.
– Mais… quelles occupations ?
– Une visite ennuyeuse.

Je pensais qu’elle ne voulait pas me dire la vraie raison, et, comme elle était très calme, je ne m’en inquiétais pas davantage. Je comptais rattraper le temps perdu, le lendemain avec l’autre.
Le mardi donc, j’étais très… très ému et très amoureux en expectative, de la petite ministère, et même étonné qu’elle ne devançât pas l’heure convenue. Je regardais la pendule à tout moment suivant l’aiguille avec impatience.
Voici deux heures et demie, puis trois heures ! Je saisis mon chapeau et je cours chez elle. Elle lisait, mon cher, un roman !
– Eh bien ? dis-je avec anxiété.
Elle répondit, aussi tranquillement que mon habitude :
– Mon cher, je n’ai pas pu, j’ai été empêchée.
– Par quoi ?
– Par… des occupations.
– Mais… quelles occupations ?
– Une visite ennuyeuse.
Certes, je supposais immédiatement qu’elles savaient tout ; mais elle semblait pourtant si placide, si paisible, que je finis par rejeter mon soupçon, par croire à une coïncidence bizarre, ne pouvant imaginer une pareille dissimulation de sa part. Et après une heure de causerie amicale, coupée d’ailleurs par vingt entrées de sa petite fille, je dus m’en aller fort embêté.
Et figure-toi que le lendemain…
– Ça a été la même chose ?
– Oui… et le lendemain encore. Et ça a duré ainsi trois semaines, sans explication, sans que rien ne me révélât cette conduite bizarre dont cependant je soupçonnais le secret.
– Elles savaient tout ?
– Parbleu. Mais comment ? Ah ! J’en eus du tourment avant de l’apprendre.
– Comment l’as-tu su enfin ?
– Par lettres. Elles m’ont donné, le même jour, dans les mêmes termes, mon congé définitif.

Pour connaitre la raison de cette rosserie, lisez « Les Epingles » de Maupassant. 

Mona pas d’occupations. Elle vous attend ?