Une heure écart

Robert François Damiens est resté dans l’histoire pour avoir tenté d’assassiner le roi Louis XV. Domestique chez de nombreux conseillers du Parlement de Paris, il n’entendait que récriminations contre le roi. Il en conclut que ce dernier devait être puni.

Le mercredi 5 janvier 1757, alors que Louis XV allait regagner son carrosse, Damiens le frappa avec un canif. Arrêté et emprisonné, il fut accusé de régicide. Son procès s’ouvrit le 12 février. Après dix audiences, le 2 mars 1757 il fut condamné à mort. La sentence fut exécutée le 28 février pendant plusieurs heures et dans des conditions particulièrement atroces. Il fut le dernier condamné à être écartelé en France Le 29 mars, on ordonna que sa maison natale fût rasée avec interdiction de rebâtir. Sa femme, sa fille et son père furent bannis du royaume, sous peine de mort immédiate en cas de retour, et le reste de sa famille fut contraint de changer de nom.

Monselet relate cette boucherie :

En quelque endroit qu’il portât son regard, il ne voyait que la foule, toujours la foule. La foule sous les Arcades Saint-Jean. La foule dans les premières maisons de la rue de la Mortelierie. La foule dans la rue de la Vannerie. La foule dans la rue de la Tannerie. La foule au croisement de la rue de l’Épine et de la rue du Mouton. La foule occupant toutes les issues de la place. Sur la place même, une foule compacte composée de toutes sortes d’éléments, mais surtout de gens du bas peuple. Aux fenêtres une foule élégante, coquette; des gentilshommes et des grandes dames, des grandes daines surtout, qui jouaient de leurs éventails et tenaient prêts des flacons pour prévenir les évanouissements.

Sur la place attendaient les pères confesseurs, les chevaux et les bourreaux sous les ordres de Samson, qui appartenait à la célèbre famille d’exécuteurs des hautes oeuvres. Ils maniaient des tenailles, des cuves de charbons et des liquides bouillants. A six ils ligotèrent Damiens et lui rôtirent la main droite; puis ils firent des incisions  aux mamelles où ils versèrent du plomb et de l’huile. De terreur, ses cheveux se dressèrent sur sa tête; l’odeur de chair brûlée se répandit sur la place.

Puis les chevaux entrèrent en action. Chacun était tourné vers un des quatre points cardinaux. Le supplicié lié à ces animaux par les bras et par les jambes, était de si forte corpulence, qu’on passa plus d’une heure à fouetter lès chevaux sans parvenir à l’écarteler. Pendant tout ce temps Damiens hurlait. On fit venir encore d’autres chevaux, mais en vain. Il fallut alors entailler les articulations des hanches. Damiens leva la tête pour voir ce qu’on faisait de lui. Il baisait le crucifix que les prêtres lui tendaient.

Les chevaux tirèrent à nouveau, la cuisse gauche se détacha, le peuple applaudit enfin. La cuisse droite suivit ; l’homme vivait toujours et hurlait. Puis on disloqua les clavicules. Lorsque les deux bras furent arrachés, on vit que ses cheveux avaient blanchi. Le tronc se convulsa encore, puis ce fut la fin. Les restes furent brûlés, leurs cendres jetées au vent. L’écartèlement avait duré deux heures.

Quelques historiens de mœurs ont voulu voir dans la sauvagerie du supplice et dans la curiosité du public une preuve de la cruauté du caractère français. Quiconque se souvient de l’exécution de Béatrice Cenci, des bûchers de sorcières dressés dans toute l’Europe, ou des horreurs de la Guerre de Trente ans, sait que toutes ces choses n’ont rien à voir avec le caractère particulier d’un peuple.

Mona mal à son cœur avec tout çà ; et vous ?