Il y a 217 ans…

Le 21 janvier 1793, à huit heures Santerre arrive au Temple avec des commissaires de la Commune et des gendarmes. Nul ne se découvre.

– Vous venez me chercher? interroge le roi.
– Oui.
– Je vous demande une minute.

Il rentre dans son cabinet, s’y munit de son testament et le tend à un municipal qui se trouve être le défroqué Jacques Roux.

– Je vous prie de remettre ce papier à la reine…
Il se reprend, dit: « à ma femme. »

– Cela ne me regarde point, répond Roux. Je ne suis pas ici pour faire vos commissions, mais pour vous conduire à l’échafaud.
– C’est juste, dit Louis…

Un autre commissaire s’empare du testament qu’il remettra non à la reine, mais à la Commune.

Louis est vêtu d’un habit brun, avec gilet blanc, culotte grise, bas de soie blancs. Cléry lui présente sa redingote.

– Je n’en ai pas besoin, donnez-moi seulement mon chapeau.

Il lui serre fortement la main, puis, regardant Santerre, dit :

– Partons.

D’un pas égal, il descend l’escalier de la prison. Dans la première cour, il se retourne et regarde à deux reprises l’étage où sont les siens : au double roulement qui a retenti lorsqu’il a franchi la porte de la Tour, ils se sont précipités vainement vers les fenêtres, obstruées par des abat-jour.

– C’en est fait, s’écrie la reine, nous ne le verrons plus !…

Le roi monte dans sa voiture, un coupé vert, suivi de l’abbé. Un lieutenant de gendarmerie et un maréchal des logis s’assoient en face d’eux sur la banquette de devant. Précédés de grenadiers en colonnes denses, de pièces d’artillerie, d’une centaine de tambours, les chevaux partent au pas… Les fenêtres, comme les boutiques, par ordre restent closes. Dans la voiture aux vitres embuées, Louis, la tête baissée, lit sur le bréviaire du prêtre les prières des agonisants.

Vers dix heures, dans le jour brumeux, la voiture débouche enfin de la rue Royale sur la place de la Révolution. A droite en regardant la Seine, au milieu d’un espace encadré de canons et de cavaliers, non loin du piédestal vide qui supportait naguère la statue de Louis XV, se dresse la guillotine. La place entière est garnie de troupes. Les spectateurs ont été refoulés très loin. Il ne sort de leur multitude qu’un faible bruit, fait de milliers de halètements, de milliers de soupirs. Tout de suite, sur un ordre de Santerre, l’éclat assourdissant des tambours l’étouffe…

L’exécuteur Sanson et deux de ses aides, venus à la voiture, ouvrent la portière; Louis ne descend pas tout de suite ; il achève sa prière. Au bas de l’échafaud, les bourreaux veulent le dévêtir. Il les écarte assez rudement, ôte lui-même son habit et défait son col. Puis il s’agenouille aux pieds du prêtre et reçoit sa bénédiction. Les aides l’entourent et lui prennent les mains.

– Que voulez-vous? dit-il.
– Vous lier.
– Me lier, non, je n’y consentirai jamais

Indigné par l’affront, son visage est soudain devenu très rouge. Les bourreaux semblent décidés à user de la force. Il regarde son confesseur comme pour lui demander conseil. L’abbé Edgeworth murmure

– Faites ce sacrifice, sire; ce nouvel outrage est un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense.
– Faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu’à la lie.

On lui attache les poignets derrière le dos avec un mouchoir, on lui coupe les cheveux. Puis il monte le roide degré de l’échafaud, appuyé lourdement sur le bras du prêtre. A la dernière marche il se redresse et, marchant d’un pas rapide, il va jusqu’à l’extrémité de la plate-forme. Là, face aux Tuileries, témoins de ses dernières grandeurs et de sa chute, faisant un signe impérieux aux tambours qui, surpris, cessent de battre, il crie d’une voix tonnante :

– Français, je suis innocent, je pardonne aux auteurs de ma mort, je prie Dieu que le sang qui va être répandu ne retombe jamais sur la France ! Et vous, peuple infortuné…

A cheval, Beaufranchet, adjudant général de Santerre, se précipite vers les tambours, leur jette un ordre. Un roulement brutal interrompt le roi.

Il frappe du pied l’échafaud

– Silence, faites silence ! …

On ne l’entend plus. A quatre, les bourreaux se jettent sur lui, l’allongent sur la planche. Il se débat, pousse un cri… Le couperet tombe, faisant sauter la tête dans un double jet de sang qui rejaillit sur l’abbé Edgeworth. Samson la prend et, la tenant par les cheveux, la montre au peuple. Des fédérés, des furieux escaladent l’échafaud et trempent leurs piques, leurs sabres, leurs mouchoirs, leurs mains dans le sang. Ils crient « Vive la nation !Vive la République ! »

Quelques voix leur répondent. Mais le vrai peuple reste muet. Pour le disperser, il faut longtemps… L’abbé descend de la plate-forme et fuit, l’esprit perdu. Une légende pieuse lui a prêté ces mots, adressés au roi comme adieu :

– Fils de saint Louis, montez au ciel!

Les restes de Louis XVI, transportés dans un tombereau au cimetière de la Madeleine, rue d’Anjou, furent placés dans une bière emplie de chaux vive et enfouis dans une fosse que recouvrit encore une épaisse couche de chaux. Un prêtre constitutionnel marmonna quelques prières sur la tombe, profanation suprême, mais le dernier mot, même devant un cadavre, doit rester à la loi.

Mona, pas de dégustation ce jour. Je n’oublie pas…