Une note salée

additionAu sortir d’un restaurant, il vous arrive, Messieurs, de trouver la « note salée » même si, nous, pauvres femmes mangeons peu. Ce terme date du XVIII° siècle, du temps où le sel, frappé des droits de gabelle, était une denrée très onéreuse.

De nos jours, on parle aussi de « coup de fusil ». Cette expression date des années 1930, mais la comparaison entre clients et gibiers est ancienne. Au temps de Zola, les soldeurs qui arrivaient à vendre des « vieux rossignols » à un client de passage appelaient cette pratique « faire un coup de fusil ». Ces vieux rossignols étaient, à l’origine, des livres invendus et invendables que l’on rangeait dans les casiers du haut des librairies comme les rossignols qui aiment à se percher sur les plus hautes branches des arbres.

Dans les grands restaurants, on assiste parfois à un défilé de garçons de salle qui apportent à chaque convive sa commande dans une grande assiette surmontée d’une cloche en métal argenté. La mise en scène bien orchestrée (tous les plats sont dévoilés en même temps) ménage la surprise de la présentation.

Du temps des rois, on faisait de même. Mais c’était dans le but de garder le monarque « à couvert » (le protéger d’un empoisonnement). Les plats étaient toujours servis « à couvert » après avoir été goûtés sur la « crédence »[1] par l’officier de bouche. Par extension, on donnera les noms de couvert à tous les ustensiles placés sur la table devant chaque convive.

Mona dition, c’est pour vous


[1] La crédence était la table où l’on faisait l’épreuve des mets et des boissons à servir aux grands ; on les goûtait, avant de pouvoir les offrir aux convives en toute confiance. Le mot en est venu à désigner toute table où l’on dépose les plats et bouteilles nécessaires à un repas. Dans la liturgie, la crédence est la table où sont disposés calice, patènes et ciboires.

Un p’tit coup de jaja ?

verre_ballonLorsqu’on parle de vin en France, c’est le plus souvent négatif. Par exemple, la campagne : un verre de vin augmente le risque de cancer. Lorsqu’on feuillette une revue spécialisée en vins, on lit des commentaires sur les meilleurs vins de Bourgogne, de Bordeaux… et jamais sur les vins que boivent réellement les Français. En effet, les vins présentés coûtent souvent plus de 10 € et pratiquement jamais moins de 5 €. Or, régulièrement, des informations donnent un prix moyen d’achat d’une bouteille de vin aux environs de 3 €.

La revue Rayon Boissons qui est spécialisée dans les boissons distribuées en grande distribution (GMS) publie un classement des vins les plus vendus par la GMS.

Je ne reprends ci-dessous que les trois premiers en ajoutant le prix de vente TTC constaté dans les hypermarchés.

NOM DE MARQUE

Prix moyen vente TTC

Bouteilles vendues 2008

Roche Mazet

2.40

21 millions

Vieux Papes

1.75

18 millions

La Villageoise

1.20

15 millions

En additionnant les 10 marques du tableau de l’article, on arrive au chiffre sympathique de 142 millions de bouteilles vendues.

Bien entendu, les clients des cavistes, des sites de vente en ligne et ceux qui achètent directement chez les vignerons dépensent plus pour leur vin. Mais la GMS vend environ 75% des bouteilles de vin toutes qualités confondues. Aussi je reste persuadé que le nombre d’amateurs de vins de qualité reste marginal dans notre beau pays. On parle généralement de 5% …

Il y a du boulot pour les Epicuriens.

Marie Harel

Mon patron n’a pas osé s’étendre sur Marie Harel. Moi, je peux.

Aussi permettez moi de vous relater la triste histoire de la statue de Vimoutiers.
En 1926, un Américain, Joe Krinim, arriva dans l’Orne. Directeur d’une clinique aux Etats-Unis, il expliqua que le camembert était utilisé avec succès dans son pays pour soigner les maux d’estomac. Par reconnaissance, il venait déposer une gerbe sur la tombe de Marie Harel.
Cette tombe, on ne la trouva pas. Il posa donc la gerbe sur la tombe de Paynel et il  donna de l’argent pour ériger une statue et un monument à la mémoire de la fermière normande. Le 15 avril 1928, Alexandre Millerand, ancien Président de la République, sénateur de l’Orne, inaugurait ledit monument.
Dès lors, nombre de recherches furent entreprises sur Marie Harel qui démontrèrent qu’elle n’habitait pas Camembert, mais une commune voisine. Des textes de 1708 et 1767 décrivaient même un fromage proche en tous points  au  fameux fromage de Camembert. Mais, comme souvent, la légende l’emporta sur l’histoire.
Pendant les combats de la Libération de 1944, le monument de Marie Harel fut fort endommagé. La commune laissa la statue étêtée en l’état. On peut encore la voir encore ainsi de nos jours. En 1956, une souscription permit d’ériger une nouvelle statue sur la place centrale. Les fonds furent versés par la plus grande fabrique de « camemberts » du monde.  Et ce n’est ni en Normandie, ni en pays Flamand, mais dans l’Etat de l’Ohio (Etats Unis) … à Van Wert.
cliquez sur les images pour les agrandir

Repose en paix, Marie Harel. We don’t forget you, Mary.

Faut dire que chez nous, on a de belles expressions comme : FAUT PAS EN FAIRE TOUT UN FROMAGE… ?
Mona reconnaissante.

Sauce, hissons notre programme

Jacques Dupont, grand dégustateur et spécialiste des vins au journal Le Point et Philippe Bourguignon, meilleur sommelier de France en 1978 et chef sommelier du prestigieux restaurant Laurent ont fondé un comité qui reste trop ignoré des grands médias alors que son objet est d’une importance capitale.

poulette-copieVous avez évidemment compris que je parle du Comité de Défense des Plats en Sauce qui a pour vocation de dénoncer les agressions répétées du light, du fast, du short et de tout ce qui préfixe le food en rabaissant le repas à une simple nourriture trop vite expédiée. Le CDPS, qui jusqu’à présent n’avait pas souhaité montrer sa puissance lors des précédentes consultations électorales, entend aujourd’hui, devant l’inaction des pouvoirs publics, sortir de la réserve citoyenne qu’il avait jusque-là scrupuleusement respectée. On ne peut rester muet devant les attaques répétées dont est victime le plat en sauce.  Il est accusé de tous les maux qui accablent nos sociétés modernes. Combien de fois de lâches et anonymes délateurs n’ont-ils pas proféré de rumeurs, malveillances, médisances, au passage d’un innocent rondouillard accusé d’abuser des plats en sauce. Est cela la justice ? Aux Etats Unis, pays des gros et des gras si l’on en croit la télé, que mange-t-on ? Toujours de source petit écran (source feuilletons) : du chicken grillé, du pop corn, des hamburgés, des pizzas à peine décongelées. Le tout arrosé de liquide effervescent glucosé dont l’aspect n’est pas sans rappeler la désinfectante Bétadine, qui chez nous est prisée surtout en milieu hospitalier. Mais de boeuf en sauce aux States, nenni. Pas l’ombre d’une crête de coq au vin, pas un soupçon de mironton.

C’est aux mêmes Etats Unis que l’on a découvert que vin rouge et foie gras avaient des vertus insoupçonnées. Quelle tête feront nos Saint-Just de l’allégé, le jour où ils découvriront que le boeuf bourguignon pare à certaines défaillances mieux que le Viagra. D’ailleurs, des recherches très prometteuses sont en cours au sein d’une des nombreuses sous-commissions du CDPS.

LE PROGRAMME DU CDPS

La pratique du plat en sauce agit en matière de :

sauceEnergie et Environnement

La cuisson lente et longue procure une douce chaleur dans la maison. Elle évite ainsi la surnucléarisation de la France et protège la couche d’ozone (le fumêt remplaçant avantageusement les désodorisants : le plat en sauce odorise, lui…)

Economie et social

Pour réaliser ces plats, on utilise généralement les bas morceaux du boeuf, du veau, du cochon; les poules “hors d’usage” ou les coqs de réforme.

Solidarité

Le plat en sauce est un vecteur évident de convivialité. Il réunit les familles déchirées par le tiercé, les matchs de foot. Il rassemble amis et frères autour de valeurs de notre riche passé en compensant la pauvreté de nos programmes télé.

Culture et agriculture

La consommation de plats en sauce permet le maintien de races anciennes qui donnent des morceaux adaptés, géltineux, gras. Sans cette cuisine, seules les races de viande à rôtir subsisteraient. Un monde uniquement peuplé de Charolais et de mangeurs de « hamburgérs » (prononcez à la française), non merci !

COMMENT DEVONS NOUS AGIR ?

cocotte31En créant une cellule chez chaque Epicurien. En effet la difficulté du CDPS est la suivante : le nombre de militants est réduit à huit par section. Au delà de ce nombre, les fondateurs n’ont pas trouvé de cocotte de qualité suffisante.  Aussi, c’est par la réunion de huit convives autour d’un plat longuement mijoté que nous ferons avancer nos idées et rallierons de nouveaux membres. C’est en nombre que nous pèserons lors des prochaines élections. La victoire est au bout de la cocotte.


A vos cocottes, citoyens épicuriens, le jour de gloire n’est pas loin. Marchons, marchons, qu’un joli fumêt parfume nos habitations. Vive “la Sauce Tranquille”.


Ce programme est paru dans « Les vins de l’hiver » de Philippe Bourguignon et Jacques Dupont chez Hatier : un livre hautement recommandable.

A Balthus

Aux Etats Unis, la pudibonderie est quelques fois poussée à l’extrême : vous savez surement que chaque année, le Château Mouton Rothschild (1er Cru de Pauillac) invite un artiste à peindre l’étiquette qui ornera chaque flacon. Pour le millésime 1993, la Baronne demanda à Balthus de réaliser une oeuvre. L’étiquette représente une adolescente nue, un de ces archétypes angéliques que l’artiste reprend dans nombre de toiles. Les « ligues de vertu » si puissantes de l’autre coté de l’Atlantique ont obtenu de retirer la vignette, objet de scandale à leurs yeux.

Aussi, sur ce millésime, deux étiquettes existent :  celle réalisée par Balthus et une étiquette sans peinture.

« Cachez ce vin que je ne saurais boire ». Les enfants de Tartuffe ont-ils émigré ?chateau_mouton_rothschild_1993mouton93usa

Par le bout du nez

viennoiserie_jpgUne bonne odeur de pain grillé flotte dans la rue… Quelques heures plus tard, la baguette que vous avez achetée par impulsion, s’est transformée en boudin mollasson ou en matraque de CRS. Le terminal de cuisson qui transforme les pâtons congelés en chewing-gum ou en  barre à mines vous a appâté par des arômes de fournil diffusés sur le trottoir. C’est bien entendu la même chose, avec les viennoiseries que l’on trouve dans les gares et autres dépôts. Si vous laissez reposer votre chocolatine (ou pain au chocolat) dans le papier, le gras se déposera et l’odeur qui vous avait tant attiré se sera envolée. Restera un bout de pâte caoutchouteux.

L’usage intensif d’odeurs artificielles pour stimuler l’appétence du consommateur est nettement moins utilisée en France que dans les pays anglo-saxons. La cohabitation des flagrances des marchés de plein-air de la vieille Europe latine y est pratiquement inconnue.

Dans l’univers clos des grandes surfaces, les tentatives pour « parfumer » le produit ou l’emballage ont aboutit à une « cacophonie » d’odeurs (Une seule tolérance : l’atmosphère du recoin « boulangerie pâtisserie »). Par contre, on lutte contre les effluves des rayons poissonnerie et fromages. Il est, en effet, bien dur de vendre une paire de chaussures dans une atmosphère munster ou une machine à laver au milieu des relents de marée. Gageons que la grande distribution saura faire preuve d’une imagination qui s’exprime déjà dans d’autres lieux.

Ainsi, la maison de pain d’épices d’Euro Disney est réellement en pain d’épices. Mais ayant depuis longtemps perdu son bouquet d’origine, celui-ci est régulièrement ravivé artificiellement.

La chambre 217 d’un Sofitel parisien a ses adeptes : on y programme soi-même son ambiance lumineuse, musicale et olfactive (six variantes : tonic, mistral…). C’est « Relax » qui est la plus demandée.

Une odeur d’orange vous titille à l’approche d’un abri-bus. Intrigué, vous cherchez du regard et vous découvrez l’affiche qui vante les mérites d’un jus de fruits.

Un constructeur automobile « dope » les aménagements intérieurs de ses véhicules « haut de gamme ». Les sièges en cuir, les éléments bois du tableau de bord garderont plus longtemps leurs effluves grâce à quelques molécules. Le caractère « luxe » est renforcé.

Les mailings d’un Club de vacances sont parfumés en fonction de la destination proposée : vanille pour les Iles, épices pour l’Orient…

Plus terre à terre, les lessives « deux en un » marchent sur les plates-bandes des adoucisseurs. Malgré le rinçage, la poudre laisse une bonne odeur de propre.

Parmi les tentatives infructueuses, on pourra noter la tentative sur les barquettes de fraises « boostées » artificiellement. L’odeur virait à la fraise « tagada » : trop chimique.

Cette manipulation du consommateur au sens scientifique n’a pas encore d’existence juridique bien  qu’il y ait des antécédents. Par exemple, l’imprégnation d’odeur de melon ou d’ananas dans des cageots a été sanctionnée pour tromperie sur la marchandise.

tomates_grappeMais la manipulation la plus fréquente est légale : une tomate mure exhale une palette discrète et complexe d’odeurs subtiles. Les jardiniers savent bien que les parties vertes et les feuilles de la plante présentent fortement l’odeur présupposée « caractéristique » du fruit. Le client qui ignore ce détail, préfère acheter celles présentées « en branches » même si elles sont sans « goût ».

Sur deux distributeurs de billets, l’un délivre de l’argent parfumé, l’autre pas… et bien, les clients retournent préférentiellement au premier. Et dire que ce pauvre Vespasien disait : « l’argent n’a pas d’odeur… ». En tous cas, les odeurs en font gagner.

Ta truffe

moliere2Jean-Baptiste Poquelin, né à Pézenas, inventa son personnage fabuleux de Tartuffe à la faveur d’une dîner chez Madame de Sévigné. Ce soir là, Molière dînait chez la célèbre épistolière en compagnie d’un cardinal italien extrêmement jovial, spirituel à souhait et de surcroît fin gourmet. Fut servi à cette occasion un plat de truffes « à la serviette ». Et le cardinal de s’exclamer dans sa langue natale : « Tartuffo » , désignant ainsi les truffes odorantes que l’on venait de poser sur la table. L’expression sonna agréablement à l’oreille de Molière qui nota celle-ci au dos du menu. Le lendemain, il baptisa le héros de la pièce dont il avait entamé l’écriture quelques jours auparavant du nom de Tartuffe.

La pièce fit scandale au point d’être interdite car elle se voulait une satire véhémente en l’encontre des faux dévots, réduisant Tartuffe à un hypocrite, cupide et jouisseur, évoluant au sein d’une société dont Molière s’est appliqué à dépeindre les travers. Bref, outre les vertus aphrodisiaques que l’on prête complaisamment aux truffes, celles-ci sont manifestement sources de toutes les inspirations!