Mystère et sucre d’orge

sucre orgeA Moret[1], on fabrique depuis 1638, un des plus vieux bonbons de France : le sucre d’orge[2]. Si ce bonbon fut créé par les Bénédictines pour soulager les maux de leurs malades, il faisait les délices de la Cour de Louis XIV. Durant la révolution, les religieuses furent chassées. Après cette période mouvementée, une religieuse transmit la recette. De nouvelles religieuses vinrent s’établir à Moret et relancèrent la production et ce jusqu’en 1972. Heureusement, Sœur Marie-André, la dernière dépositaire, confia le fameux Secret du Sucre d’Orge à Jean Rousseau ami des Religieuses de Moret, et qui de plus, tenait commerce de confiserie. Celui-ci l’a alors appris par cœur avant d’enfermer la formule dans un coffre, où son fils l’a recueilli à sa mort… et a procédé de même. Le secret est ainsi toujours vivant, et farouchement gardé! Un musée retrace l’histoire de cette sucrerie artisanale.
Mais à Moret, plane un mystère. Le Cardinal Dubois[3] dans ses mémoires parle d’une religieuse mauresque (noire) qui reçut la visite de hauts personnages.

Louise_Marie_Therese-largeCette Mauresse était une religieuse à Moret, que l’on prétend avoir été fille naturelle de Marie-Thérèse d’Autriche[4]. Je me souviens que l’on en parlait à la cour, et que la duchesse de Bourgogne allait souvent la visiter avec Mme de Maintenon. Bontemps lui portait tous les ans une grosse somme en or et un collier de corail. Voici ce que je sais de sa naissance. La Reine avait un petit Maure dont lui avait fait présent Duquesne lors du bombardement d’Alger. Ce Maure, nommé Nabo, avait été élevé à faire des tours d’adresse, et lorsqu’il commença à parler le français, il amusait la Reine par ses saillies naïves. Elle ne s’aperçut du sentiment que lui avait inspiré ce bouffon d’Afrique, qu’au moment où elle ne pouvait plus en triompher. Le Maure mourut, et très subitement; la Reine, peu de temps après, accoucha d’une fille si noire de peau, que Félix, son chirurgien, prit sur lui de la faire passer pour morte, et de l’envoyer à Moret dans un couvent, où elle fut élevée dans l’ignorance de son origine. Ce n’est qu’à son lit de mort que la Reine avoua l’existence de cet enfant à Louis XIV, et les médecins lui persuadèrent que la couleur de la Mauresse n’avait d’autre cause qu’un regard du Maure. Depuis cette révélation, le Roi n’alla qu’une seule fois à Moret pour s’assurer de ce fatal mystère, et jamais personne n’osa en parler devant lui. Tout n’est pas vrai, sans doute, dans ces détails, mais il est certain que pour ce motif ou pour tout autre, une fille de la Reine, connue sous le nom de la Mauresse, vécut et mourut obscurément au couvent de Moret.

Mona pas encore sucé son sucre d’orge… et vous ?


[1] Moret sur Loing situé en lisière  de la forêt de Fontainebleau (Seine et Marne)

[2] Du sucre de canne aromatisé à l’orge, additionné de vinaigre pour empêcher la cristallisation…

[3] Guillaume Dubois, appelé l’abbé Dubois, puis le cardinal Dubois, (1656-1723) est un ecclésiastique et un homme politique français qui fut l’un des principaux ministres sous la Régence de Philippe d’Orléans.

[4] Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683), infante d’Espagne, reine de France en épousant Louis XIV à Saint Jean de Luz.

Sucettes à l’anis…

anis-vert-682x1024sucette(4)De nombreuses légendes entourent la fabrication des bonbons anciens. L’origine de « l’anis de Flavigny  » (Côte d’Or) remonte loin dans le temps : c’est en effet à Jules César lui-même que l’on devrait l’introduction de l’anis en Bourgogne lors du siège d’Alésia. Les médecins romains lui attribuaient de nombreuses vertus thérapeutiques. Ils exigeaient qu’on en plante à proximité des garnisons. Pline l’Ancien le recommande même contre les piqures de scorpion. Frais ou sec, il est recherché dans tous les assaisonnements, dans toutes les sauces. On en saupoudre la croûte du pain, on le met aussi dans les chausses à filtrer le vin, avec des amandes amères, il lui donne de l’agrément. Il donne une haleine plus douce en ôtant les mauvaises odeurs de la bouche… Il garde le visage plus jeune. Mis sous l’oreiller de façon à le respirer en dormant, il chasse les mauvais songes. Il donne de l’appétit. Il est excellent carminatif, aussi remédie-t-il aux gonflements d’estomac. Il arrête le hoquet, et les feuilles bouillies font passer les indigestions. Il est diurétique, calme la soif, il est aphrodisiaque avec le vin et il provoque une douce sueur… » Une véritable potion magique contre les Gaulois !

Aussi, il n’est pas étonnant de trouver mention de l’anis de Flavigny dans un document datant de 872. Celui-ci fait état d’un don de trois livres d’anis par les moines bénédictins de Flavigny au Pape Jean VIII. Ce cadeau d’adieu marquait le départ du Souverain Pontife, qui venait d’effectuer un séjour de trois semaines à l’abbaye, avec une suite de dix-huit évêques. Mais s’agit-il déjà d’anis confit ? La question reste entière. Qui dit confisage dit sucre, or le sucre était inconnu en Europe à cette époque. Savait-on confire avec le miel. ? On peut l’envisager, mais la recette est à jamais perdue.

anis-flavigny1Il faut attendre le XVIIe siècle pour que l’on reparle de l’anis de Flavigny. L’abbaye est alors occupée par des sœurs ursulines. Sous la direction de la mère supérieure, la révérende mère Claude Jacotot, elles se lancent dans la fabrication d’anis confit. D’où tiennent-elles cette recette qui consiste à enrober de sucre une graine d’anis puis à la parfumer à l’eau de fleur d’oranger ? Des habitants du village? Des moines bénédictins? Nul ne sait. Il faut encore une fois avoir recours à la légende qui dit que, non loin de là, l’eau de fleur d’oranger jaillissait naturellement d’une fontaine proche. Les bonnes sœurs y puisèrent sans doute l’inspiration.

Une chose est sûre, la fabrication de l’anis confit à cette époque n’est pas une mince affaire. Pour réaliser ce bonbon, il faut compter six mois de travail, pendant lesquels se succèdent des phases d’enrobage à la main et de séchage. On comprend mieux que sucer des bonbons soit le privilège des nobles et des riches bourgeois.

Après la Révolution, cinq fabriques confectionnent alors les célèbres petites billes anisées sous des marques aux consonances bucoliques : « A la Belle Marraine », « A la Source ». Elles se regroupent sous une seule marque après la Première Guerre Mondiale : « Au Galant Berger ». C’est ce berger qui continue à conter fleurette à sa belle bergère sur les boîtes d’anis de Flavigny. L’usine est toujours située au cœur de l’ancienne abbaye.

La recette est toujours la même. Et malgré le temps, la fabrication est encore de quinze jours. La prochaine fois, je les sucerai plus lentement….

Mona nis, c’est vous