Carnaval et Carême

"Combat de Carnaval et de Careme" de Pieter Bruegel l'Ancien.1559. Kunsthistorisches Museum de Vienne (détail)

Aujourd’hui, c’est Mardi Gras, l’occasion de manger des crêpes, de se déguiser pour Carnaval… Et pourquoi Gras ce mardi ? Il précède le Mercredi des Cendres qui marque pour les Chrétiens, l’entrée en Carême[1], période de maigre. Vous l’avez compris Gras : viande et douceur, Maigre : poisson et abstinence.

Mais, dans des feuillets de ce blog, nous avons déjà parlé de ce sujet. Je veux juste rappeler que nos ancêtres jeunaient pour les plus pauvres plus de 150 jours par an, tandis que les plus riches pouvaient acheter le droit de manger.
Aussi, pour le peuple, le Mardi Gras et la Mi-Carême étaient l’occasion de manger crêpes ou beignets et de se divertir. Selon les régions, tous les excès étaient plus ou moins permis. Ces transgressions étaient le symbole d’une vie meilleure à venir. L’espoir fait vivre.

Sur le tableau de Bruegel ci-dessus, on retrouve à gauche les festivités de Mardi Gras avec un homme bien en chair juché sur un tonneau, mais déjà se profile, sur la droite, le carême représenté par un personnage filiforme et triste sur un chariot tiré par une femme et un moine.  Il présente sur une pelle à boulanger des harengs qui seront les « rois » des quarante jours à venir…

« Mardi Gras, mardi gras, t’en vas pas
J’f’rons des crêpes, j’f’rons des crêpes
Mardi Gras, tu t’en vas pas
J’f’rons des crêpes et t’en mang’ras
Carnaval, t’en vas pas demain
C’est aujourd’hui la Saint Crépin
Mardi Gras, tu t’en vas pas
Nous f’rons des crêpes et t’en mang’ras
Si tant saoul qu’ t’en crèv’ras »

Mona cuit des beignets pour vous, vous en mangerez ?


[1] Période de 46 jours d’abstinence et de privation entre Mardi Gras et Pâques

Humeur au cerveau

gorter-hippocrateDans un article de ce blog, fut abordé « l’alimentation durant les jours maigres » (voir  avril). A la lumière des textes sur la « théorie des humeurs », on comprend mieux le choix du poisson durant le Carême car pour les hommes du Moyen Âge, la nourriture participe de l’équilibre de l’univers.

Selon la science et la médecine antiques (théorie hippocratique) encore en vigueur jusqu’au XVII° siècle, le monde est conçu comme la combinaison de quatre éléments essentiels : l’eau, le feu, l’air et la terre. Chacun a des propriétés de chaleur et d’humidité bien définies. Ainsi, le feu est chaud et sec, mais l’eau est froide et humide …
Or l’homme est un « microcosme » qui concentre en lui-même les qualités et les éléments du monde macrocosmique.

L’élément dominant en chaque être humain permet de définir son tempérament. La femme est colérique lorsque domine l’humeur sèche et chaude, elle est sanguine lorsque s’impose l’humeur chaude et humide ; l’homme est flegmatique lorsque froid et humide dominent ou mélancolique lorsque sec ethumeurs froid l’emportent.

Les aliments sont eux aussi plus ou moins chauds et humides, secs et froids … et donc appelés à maintenir l’équilibre des humeurs. Ils peuvent même corriger les dérèglements. C’est pourquoi les médecins, qui définissent le degré d’humidité ou de chaleur des aliments, interdisent certains aliments, ou au contraire en conseillent d’autres, en fonction de l’humeur dominante de chacun. Les colériques, par exemple,  n’ont ainsi guère intérêt à abuser d’épices qui sont très chaudes et très sèches, humeurs dominantes chez eux mais au contraire à rechercher des produits frais et humides.

De même, durant le Carême, manger du poisson c’est absorber un aliment froid et humide qui refroidit notamment les pulsions et facilite l’abstinence sexuelle exigée durant cette période.

La théorie des humeurs, formulée par les médecins antiques, influencera la diététique jusqu’au XVIIe siècle au moins.

Voilà, un sujet qui met de bonne humeur. Mona, servez moi calmement un coup chaud et humide… Comment ? Ben évidement un coup de rouge.

Que notre volonté soit fête

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Le Carême vient de s’achever. Durant les quarante jours qui précédaient Pâques, les chrétiens étaient invités à se priver, notamment, sur leur alimentation. De nos jours, le respect de ces efforts est du domaine personnel. A d’autres époques, l’Eglise était beaucoup plus interventionniste.

Au Moyen Age, les jours maigres ou de jeûne représentaient environ 150 jours par an. Durant les jours maigres, la viande disparaît au profit du poisson, l’huile remplace le beurre, saindoux et lard et on se prive de produits laitiers. Pour les jours de jeune, c’est abstinence : un seul repas de pain et d’eau.

Pour le « peuple », respecter les jours maigres, cela ne change guère de l’alimentation quotidienne : la viande est de toute façon rare. Il faut dire qu’en plus, dans certains diocèses, la punition, pour non respect des règles alimentaires, est l’arrachage de toutes les dents…

Mais chez les nobles, les ecclésiastiques et les bourgeois, il n’en est pas de même.

Soit on s’abstient de viande et on élabore des plats à base de poisson mais en ne se privant pas, c’est le moins qu’on puisse dire :

Ainsi, le 30 mars 1571[1], l’Archevêque de Paris organisa un dîner maigre, durant le carême, dont le menu a été conservé : « Quatre saumons, dix turbots, douze homards, cinquante livres de baleine, deux cents tripes de morue, un panier de moules, neuf aloses fraîches,  dix-huit brochets, soixante-deux carpes, dix-huit lamproies, cent cinquante écrevisses, deux cents harengs, vingt-quatre saumons salés, dix-huit barbues, trois paniers d’éperlans … et six cents grenouilles[2]« .
On ne connaît pas le nombre de convives, mais on peut supposer que l’Archevêque de Paris avait convié à ce repas maigre nombre d’ecclésiastiques soucieux de faire respecter l’observance du carême.

Soit on cherche à s’arranger avec les prescriptions :

La macreuse[3] et la bernache[4] sont ajoutées à la liste des mets que l’on peut consommer les jours maigres car elles vivent essentiellement dans l’eau. Pour la Nouvelle France (Québec), on autorise le castor pour les mêmes raisons. Dans le « Cuisinier François », l’auteur indique que la chair du saumon mêlée à celle du brochet permet d’imiter une belle tranche de jambon. Un brave curé, surpris, en train de manger une oie, se défendit auprès de ses ouailles en disant qu’elle était tombée d’un arbre et devait donc être assimilée à un fruit…

Nombre d’auteurs, dont Erasme, se lèvent contre ces pratiques qui font que le carême est « pour les riches, une source de plaisir et un remède contre le dégoût… Pendant ce temps, l’humble paysan grignote un navet cru avec du pain de son. Quant à ce qu’il boit, au lieu de vin moelleux que dégustent les riches, c’est de l’eau de fossé… Si un édit ordonnait aux nantis de vivre de façon frugale les jours de pénitence et d’ajouter à la pitance des pauvres ce qu’ils retrancheraient de leur festin, alors l’égalité serait réalisée et l’institution en prendrait une certaine saveur évangélique. »

Un autre auteur relate qu’un pauvre homme, à qui le prêtre demandait d’acheter du poisson pour respecter le carême, répondit qu’il serait sans un sou, à ce régime là, au terme des 40 jours de « privation »…

Mais savez vous que le carême du Moyen Age nous a laissé des monuments d’une grande beauté. Pour en savoir plus, lisez donc, demain, l’article de Mona …
En attendant, pour patienter, je vais boire un coup, çà aide à rester jeûne.


[1] Sous le règne de Charles IX, le roi qui donna le signal de la Saint-Barthélemy. Les protestants étaient notamment accusés de ne pas respecter le carême.
[2] Surnommée « poulet de carême »
[3] Sorte de canard
[4] Oie