Banc cale

Qui est cette femme à bord ?

En admirant la toile de Géricault, on imagine bien que la scène n’est pas gaie. Mais de là, à imaginer ce qui s’est passé…

Louis XVIII monté sur le trône de France, l’Angleterre lui restitue le Sénégal. La frégate La Méduse, commandée par Monsieur Duroy de Chaumareys est chargé de transporter le gouverneur, sa famille et des troupes. Elle est accompagnée de trois navires ce 16 juin 1816.

Le commandant est un noble émigré, revenu récemment en France. Il n’avait pas navigué depuis bien longtemps. De plus, il est méprisant avec son équipage et ne suit pas les conseils de ses subordonnés. Pour embarquer le maximum de soldats, on diminue les membres d’équipage. Et pour finir, les officiers sont quasiment inexpérimentés.

La Méduse fonce et distance les trois autres bateaux. Chaumareys ordonne de passer en ligne droite sans tenir compte des risques connus des marins. La côte Africaine est pleine de récifs, de bancs de sable. Or, il s’appuie sur une carte comportant nombre d’erreurs. Suivant aveuglément la carte, il pense avoir dépassé le Banc d’Arguin quand le 2 juillet, en pleine nuit, La Méduse s’échoue malgré la marée haute. On allège le bateau, mais rien n’y fait. On coupe les mats qui seront utilisés pour construire un radeau de 150 m2.  Une tempête vient frapper l’épave. L’eau rentre de partout. Il est temps d’abandonner le navire. Un des premiers à monter à bord d’un des canots est le commandant.. ! Il faut dire que le nombre de chaloupes n’est pas suffisant pour embarquer tout le monde. Les hommes de troupe, quelques officiers, un géographe Corréard et un chirurgien, Savigny s’entassent sur le radeau, soit environ 150 hommes. Quelques hommes refusent de monter sur ce rafiot qui s’enfonce tellement que ses occupants ont de l’eau jusqu’aux genoux. Il est prévu que le radeau sera remorqué par deux canots. Mais, volontairement ou involontairement, les cordages sont coupés laissant le radeau dériver avec un peu de boisson et de vivres.

Dès la première nuit, une vingtaine de personnes disparaissent… Les soldats, sûrs d’avoir été abandonnés, vident un tonneau de vin. Enivrés, ils commencent à démanteler le radeau pour en finir plus vite. Les officiers matent la rébellion en tirant sur les soldats qui ont été désarmés en quittant La Méduse. Résultat plus de 60 morts.

Mais au cours de cette mutinerie, les tonneaux d’eau et de vin sont tombés à la mer. Seul un tonneau de vin reste. Le rationnement de boisson devient insupportable. Le seul liquide à boire, c’est son urine.

Une soif ardente, redoublée dans le jour par les rayons d’un soleil brûlant, nous dévorait ; elle fut telle, que nos lèvres desséchées s’abreuvaient avec avidité de l’urine qu’on faisait refroidir dans des petits vases de fer blanc. On mettait le petit gobelet dans un endroit où il y avait peu d’eau, pour que l’urine refroidît plus promptement; il est souvent arrivé que ces vases aient été dérobés à ceux qui les avaient préparés. On remettait bien le gobelet à celui auquel il appartenait, mais après avoir bu le liquide qu’il contenait. M. Savigny a observé que quelques-uns de nous avaient l’urine plus agréable à boire il y avait un passager qui ne put jamais se décider à en avaler ; il la donnait à ses compagnons, elle n’avait réellement pas un goût désagréable; chez quelques-uns, elle devint épaisse et extraordinairement acre : elle produisait un effet vraiment digne de remarque, c’est qu’à peine l’avait-on bue qu’elle occasionnait une nouvelle envie d’uriner. Nous cherchâmes aussi à nous désaltérer en buvant de l’eau de mer. Tous ces moyens ne diminuaient notre soif que pour la rendre plus vive le moment d’après.[1]

Pour calmer la faim, on mastique du cuir. Après 4 jours, le chirurgien Savigny  découpe des chairs sur les cadavres. Séchés au soleil, les morceaux sont avalés par les survivants.

Les infortunés que la mort avait épargnés dans la nuit désastreuse que nous venons de décrire, se précipitèrent sur les cadavres dont le radeau était couvert, les coupèrent par tranches, et quelques-uns mêmes les dévorèrent à l’instant; beaucoup n’y touchèrent pas ; presque tous les officiers furent de ce nombre. Voyant que cette affreuse nourriture avait relevé les forces de ceux qui l’avaient employée, on proposa de la faire sécher pour la rendre un peu plus supportable au goût. Ceux qui eurent la force de s’en abstenir, prirent une plus grande quantité devin. Nous essayâmes à manger des baudriers de sabres et de gibernes ; nous parvînmes à en avaler quelques petits morceaux, quelques-uns mangèrent du litige, d’autres des cuirs de chapeaux sur lesquels il y avait un peu de graisse ou plutôt de crasse ; nous fûmes forcés d’abandonner ces derniers moyens; un matelot essaya à manger des excréments, mais il ne put y réussir[2].

C’est le 17 juillet, après treize jours de dérive, qu’ils sont sauvés par un bateau qui cherchait l’épave de La Méduse, pour récupérer non pas ses hommes qu’on croyait morts, mais son chargement. Il ne reste plus que 15 survivants .

Quant au commandant Chaumareys, il sera sauvé par un des bateaux qui aurait du être à ses cotés. L’épave sera retrouvée plus de 40 jours après l’échouage. Seuls, trois hommes sont encore vivants à bord.

De retour en France, le commandant sera jugé et condamné à trois ans de prison. Il est radié de la liste des officiers.

Ma Chère Mona, on peut penser que la peine n’est pas bien lourde compte tenu du nombre de morts… mais, il y a prescription. Allez buvons à la mémoire de tous ces bougres et de Géricault qui est mort trop jeune d’une chute de cheval. Allez sortez donc deux verres, je vous prie. « Les Dames Huguette 2008 » est un vin des Hautes-Côtes de Nuits vinifié par Guy et Yvan Dufouleur. Ce vin blanc est acidulé et laisse une bouche bien fraîche.


[1] Extrait de « Le Naufrage de la Méduse » de Jean Baptiste Henri Savigny et Alexandre Corréard
[2]
idem