Raoul, dit La Ponche

Novembre 1924, Léon Daudet écrivait :
Avant-hier, à deux heures de l’après-midi, chez Drouant, à l’issue d’un déjeuner excellent (turbotin rôti, poularde au sel, soufflé au fromage, …), Raoul Ponchon a été élu à une très forte majorité, membre de l’Académie Goncourt. L’histoire naturelle enregistrera qu’un Champagne naturel, le blanc de blancs, suivi d’un Hermitage empourpré, a célébré l’arrivée parmi nous du chantre immortel des vergers et des vins de France.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Raoul Ponchon, il faut rappeler qu’il fut le poète de la table et de la cave, le plus rabelaisien de nos versificateurs. C’est à lui que l’on doit cette célèbre formule :
Quand mon verre est vide, je le plains ; quand mon verre est plein, je le vide.

Buveur impénitent, il était ami de Verlaine et, comme ce dernier, l’absinthe fut sa muse verte.
Alors qu’il avait 62 ans, en 1910, il fut  convié par un ami à une conférence antialcoolique. Au cours de la soirée, un médecin, pour effrayer les plus rebelles pochards, injecta un verre de cognac dans les veines d’un jeune cochon qui creva cinq minutes après l’injection.
Raoul ne se démonta pas. Se levant, il dit :
C’est bien fait ! Le cognac n’est pas pour les cochons !
En 1937, il s’éteint à l’âge fort respectable de 89 ans.

ÉLOGE DU MOT « BOIRE »

Le joli mot que voilà :
Boire ! Qu’en pensez-vous ? Boire !
Moi je suis tout prêt à croire
Qu’aucun ne vaut celui-là !

Ivrognes, ô bons apôtres,
Que je porte dans mon cœur,
N’est-ce pas qu’à la rigueur
On peut se passer des autres ?

Boire ! Eh bien ! cela dit tout ;
Que voulez-vous autre chose ?
Tel un sourire de rose,
Cela se comprend partout.

C’est le seul mot du langage
Qui, par sa fraîche couleur,
A pour moi quelque valeur
Quelque évidence en partage.

Vous avez mille façons
De le prononcer, madame,
Ce mot délicieux, âme
De nos sublimes chansons !

Dites-le, pour moi, de grâce,
Gentiment, bien comme il faut ;
Ah ! pour l’amour de ce mot,
Souffrez que je vous embrasse.

Comme délicatement
La bouche éclot pour le dire !
C’est comme un fin Vau-de-Vire
Du vieux poète normand.

C’est un os rempli de moelle,
Et quand je le dis, parbleu !
Je crois manger du ciel bleu
Ou bien croquer une étoile !

C’est une rose pompon
Qui pare la plus farouche ;
Cela vous fond dans la bouche
Comme un suave bonbon.

C’est un rubis sur la langue,
Tout imprégné de soleil :
Auprès de ce mot vermeil
Toute fleur paraît exsangue.

On dirait, sur le printemps
De votre bouche mutine,
Une abeille qui butine
Le sucre blanc de vos dents.

Qu’il sorte d’un air aimable
De vos lèvres de velours ;
Hurlez-le comme deux sourds
Chez un tavernier du diable ;

Dites-le tout haut, tout bas ;
N’importe comment, je l’aime.
Il me semble inouï même
Lorsque je ne l’entends pas.

Le soleil, en quelque sorte
Le crie à l’immensité ;
La lune l’a répété
Tant de fois qu’elle en est morte.

C’est l’unique mot des dieux,
Le mot le plus vénérable.
Je me donne bien au diable,
Si ça n’est pas le plus vieux.

C’est le verbe d’excellence
Qui doit dissiper la nuit.
C’est tout ce que dit le bruit
Et que pense le silence !

Moi, je le dis constamment ;
La musique en est si tendre,
Que je veux toujours l’entendre,
Que je le rêve en dormant.

Un enfant qui vient de naître
Le dit comme vous et moi,
Car, selon l’humaine loi,
C’est le premier à connaître,

Et c’est aussi le dernier.
Quand survient la mort farouche,
Un moribond sur sa couche,
Cherche à le balbutier.

Vous demandiez, tout à l’heure,
Si j’avais quelque façon
À moi, de le dire ? Non
Car chacune est la meilleure.

Mais, pour parler sans détour,
Si vous désirez le dire
Simplement, comme on respire,
Dites-le cent fois par jour.

Mona, il faut boire un coup pour Raoul qui disait :
J’aime tout ce qui peut se boire, hormis l’eau.
Allez, je vous propose un Léoville Las Cases 1986. Un vin extraordinaire digne d’un si grand poète. Quand Saint-Julien produit des vins comme çà, il faut se taire et déguster!

Rien ne Bresse

Quand c'est la faim, c'est la fin

Edouard Herriot (1872-1957) est un homme politique hors du commun : Député-Maire de Lyon, Ministre à de nombreuses reprises, Président du Conseil, Président de la Chambre des députés… En 1946, il est élu à l’Académie Française. N’en jetez plus !

Bien qu’il ne fût pas Lyonnais de naissance, il adopta très vite le mode de vie de la capitale des Gaules et tomba amoureux de sa cuisine et ses vins.

Grand mangeur, il aimait dire que la politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop.

Avec les années, et les nombreux gueuletons, sa santé se fragilise. Son médecin lui conseille vivement de réduire ses rations. Mais le bonhomme aime trop la table.

Le docteur demande au chef de cabinet d’Herriot de le surveiller et de le rappeler à la raison.

Dans un restaurant, Herriot va déjeuner. Il hésite entre divers plats de la cuisine lyonnaise : cochonnaille, quenelles, volaille de Bresse, tablier de sapeur, gratin dauphinois, Saint Marcelin… et finalement élabore un menu digne de Pantagruel. Son chef de cabinet intervient…

Herriot qui a passé commande, rappelle la serveuse et lui dit :
– Soyons raisonnable, supprimez la salade.

Voilà un gastronome qui force le respect. Mona, un Beaujolais s’impose. Comme le dit Léon Daudet : Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais. Allez, je sers un Morgon 2010 de Marcel Lapierre. Quel vin ! D’une puissance incroyable mais sans excès et quel fruit !