Qu’on serre tôt pour instrument à vent

mona-moulin

Le Journal de Jules Renard fait partie de mes livres de chevet. C’est sans aucun doute un chef-d’œuvre de la littérature française. Véritable portrait de son époque, truffé d’humour et d’anecdotes savoureuses, c’est un livre de détente que l’on lit et relit toujours avec bonheur.

Le seul regret que j’ai et que beaucoup partagent est la destruction d’une grande partie de cette œuvre par Madame Renard. Cette dernière craignait que le livre puisse être sujet à polémique. Chez l’éditeur de son défunt mari, elle affirma qu’ayant brûlé une bonne partie du journal, personne ne pourrait désormais intenter un procès en calomnie ou diffamation. Quel dommage, Madame !

Mais revenons au journal. Le 10 décembre 1890, Jules Renard rencontre Alphonse Daudet. Visiblement impressionné par l’écrivain, il hésite à l’appeler Monsieur ou Cher Maître. Mais rapidement l’atmosphère se détend et Daudet lui dit

-La première, l’unique fois que je voulus jouer du biniou, c’était devant mes cousines, et je fis un gros pet ; oui, en voulant enfler ma pauvre joue, je fis un énorme pet.

Surprenante cette anecdote d’un grand auteur parlant de ses vents quoique, en matière de vent, Daudet devait être un champion puisqu’il a écrit les Lettres de mon Moulin.

Mona, çà vous a fait sourire. Vous m’en voyez flatté. Si vous sortiez deux verres que nous buvions un Irancy 2009 de Vincent Dauvissat. Dans une appellation peu connue de la Bourgogne Chablisienne, ce vigneron réalise des miracles : un très joli vin rouge au milieu d’un océan de blancs.

Vous avez fini de papauté !

Mona et le Pape à Châteauneuf du Pape

Le vignoble de Chateauneuf-du-Pape doit son expansion à l’installation des Souverains Pontifes en Comtat Venaissin à partir de 1305. Cinq cent soixante plus tard, Alphonse Daudet et son ami Paul Arène se retrouvent à Clamart et écrivent ce qui deviendra «Les lettres de mon moulin».
Dans son recueil de nouvelles et de contes, on peut lire l’histoire de «la mule du pape».  J’ai retenu le début de ce texte qui est un hommage au bien vivre de ces prélats.

Qui n’a pas vu Avignon du temps des Papes, n’a rien vu… Ah ! l’heureux temps ! l’heureuse ville ! Des hallebardes qui ne coupaient pas ; des prisons d’État où l’on mettait le vin à rafraîchir. Jamais de disette ; jamais de guerre… Voilà comment les Papes du Comtat savaient gouverner leur peuple ; voilà pourquoi leur peuple les a tant regrettés !…

Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort ! C’était un prince si aimable, si avenant… Un vrai pape d’Yvetot, mais d’un Yvetot de Provence, avec quelque chose de fin dans le rire, un brin de marjolaine à sa barrette, et pas la moindre Jeanneton[1]… La seule Jeanneton qu’on lui ait jamais connue, à ce bon père, c’était sa vigne, — une petite vigne qu’il avait plantée lui-même, à trois lieues d’Avignon, dans les myrtes de Châteauneuf.

Tous les dimanches, en sortant de vêpres, le digne homme allait lui faire sa cour ; et quand il était là-haut, assis au bon soleil, sa mule près de lui, ses cardinaux tout autour étendus aux pieds des souches, alors il faisait déboucher un flacon de vin du cru, — ce beau vin, couleur de rubis qui s’est appelé depuis le Châteauneuf des Papes, — et il le dégustait par petits coups, en regardant sa vigne d’un air attendri. Puis, le flacon vidé, le jour tombant, il rentrait joyeusement à la ville, suivi de tout son chapitre ; et, lorsqu’il passait sur le pont d’Avignon, au milieu des tambours et des farandoles, sa mule, mise en train par la musique, prenait un petit amble sautillant, tandis que lui-même il marquait le pas de la danse avec sa barrette, ce qui scandalisait fort ses cardinaux, mais faisait dire à tout le peuple : «Ah ! le bon prince ! Ah ! le brave pape !»

Ma chère Mona, difficile de ne pas boire religieusement un vin du Domaine du Vieux Télégraphe 1998.  Assagi par le temps, il appelle une belle pièce de boeuf.  Par contre, je me demande pourquoi Daudet a appelé son pape Boniface alors qu’aucun pontife n’a eu ce nom à Avignon. 


[1] Femme aux mœurs légères