Le plus fort, c’est qu’il est doux

La production de fromage est attestée en Normandie dès le 10ème siècle ; le fromage est alors utilisé comme dîme. A cette époque, l’élevage de vaches, de brebis et de chèvres est extensif et cantonné dans les vastes forêts normandes. La faible surface en herbages, une population nombreuse expliquent les difficultés d’approvisionnement des abbayes et seigneuries. Celles-ci importent alors des fromages à pâte dure et de gros formats d’Angleterre entre Southampton et Barfleur.

petite-pont-leveque03Le Pont-l’Évêque apparaît au 12ème siècle. Ce fromage à pâte molle aurait été créé par des moines cisterciens, installés à l’Ouest de Caen. Il était connu sous le nom d’angelot. En 1225, Guillaume de Lorris, dans le Roman de la rose, écrit : « Les bonnes tables étaient toujours garnies au dessert de fromages angelots ». Ce terme d’angelots (qui par la suite désigna aussi d’autres fromages normands) vient du nom d’une pièce de monnaie. Ce fromage servait alors de moyen d’échange et de rémunération … et d’impôt !

Dès le 15ème siècle, les angelots sont les fromages le plus réputés du royaume. Mais c’est sous le nom d’augelots qu’ils sont appréciés à Paris. Le nom s’inspire du Pays d’Auge d’où vient le Pont-l’Évêque.
En 1622, Hélie le Cordier, écrivain normand, publie un poème en 16 chants en l’honneur du Pont-l’Évêque dont provient la célèbre phrase : « Tout le monde également l’aime car il est fait avec tant d’art que, jeune ou vieux, il n’est que crème ». Le Pont-l’Évêque prend alors des formes variées du fait de la vaisselle de céramique utilisée.

C’est à cette époque, qu’il prend le nom de Pont-l’Évêque (petite ville entre Deauville et Lisieux).

Au 18ème siècle, la notoriété du Pont-l’Évêque dépasse nos frontières. Dès 1722, de Masseville souligne le fait que les fromages provenant de la région de Pont-l’Évêque « sont fort estimez et transportez en divers païs ». Le Pont-l’Évêque devient carré pour se différencier du Livarot.

Sous la Révolution, on supprime en toute occasion les références à la religion. La ville de Pont-l’Évêque n’y échappera pas et deviendra, en 1793 et pour quelques décennies, la ville prendra le nom de « Pont Chalier » (du nom d’un révolutionnaire[i]).
pont11_mAu 19ème siècle, la Normandie voit sa surface herbagère se développer ainsi que son élevage laitier. Le Pont-l’Évêque est alors un fromage fermier fabriqué deux fois par jour. A cette époque, il existe différentes qualités de Pont-l’Évêque en fonction de son taux de matière grasse. La première qualité est élaborée à partir de lait entier, parfois enrichie de crème fleurette. La seconde qualité est fabriquée à partir d’un mélange de lait écrémé, de la veille, et de lait entier, de la traite du matin. La troisième, provenant du lait écrémé de la veille, est moins riche et plus acide. Le Pont-l’Évêque est vendu sur les marchés de Pont-l’Évêque et de Beaumont en Auge. Il s’en vend 600 douzaines en moyenne pendant 6 mois et 200, en hiver.
L’essor des lignes ferroviaires favorise sa commercialisation. Les fromagers bénéficient de la rapidité, de la sécurité et du coût modéré de ce nouveau mode de transport. Les Pont-l’Évêque partent à 18 heures de Lisieux et arrivent à 2 heures du matin en gare des Batignolles. De là, ils approvisionnent les Halles de Paris ou bien repartent par le train vers d’autres villes de province. Seuls les Pont-l’Évêque de première qualité sont commercialisés. Ceci explique l’excellente réputation du Pont-l’Évêque, à cette époque où la matière grasse est rare et chère. Le Pont-l’Évêque est un fromage noble, recherché des restaurateurs, un de ceux dont Brillat Savarin disait :  » un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil « .

C’est avec un Rully blanc, un cidre, un gewurztraminer ou un Muscat que j’aime le manger.


[i] Joseph Chalier, révolutionnaire de la première heure fut le premier à lever une armée contre l’Ancien Régime à Lyon. Grand défenseur des libertés, il fut arrêté et exécuté le 17 juillet 1793.

Pour du beurre

Décidément mon patron est un puits de culture. Avec deux poissons, il arrive à faire un article… Comprenne qui pourra.  Mais qui dit poisson, rappelle « au beurre blanc ».

Avouez que l’enchaînement est exceptionnel pour vous conter l’histoire de ces ouvrages architecturaux qu’on appelle « Tour de beurre ».

A Rouen, jusqu’à la fin du XV° siècle, la façade de la cathédrale ne comportait qu’une tour. La construction de la Tour sud débuta en 1488. Vingt ans plus tard, le futur François Ier « inaugura » cette tour, couronnée de pierre, qui fut vite appelée la Tour de beurre ».

Cathédrale de Rouen
Cathédrale de Rouen

Selon certains, ce nom lui vient de la couleur de la pierre. En effet, la pierre blanche utilisée pour l’ensemble de la cathédrale venant à manquer, il fallut faire venir des pierres d’une autre carrière dont la couleur tirait sur le jaune. Mais cette théorie ne tient pas. En effet, on trouve aussi à Bourges, une « tour de beurre » sans que la couleur de la pierre ne soit jaune.

La raison, moins avouable, certes, est que les habitants pour manger du beurre durant la période de Carême, acceptèrent de payer des indulgences qui servirent à financer l’ouvrage. Tout le monde y trouvait son compte. Construire une cathédrale, coûtait très cher : il fallait donc que les riches mettent la main à la poche. Quant à ces derniers, ils pouvaient passer le carême sans trop de privations..

La "Tour de beurre" de Rouen
La "Tour de beurre" de Rouen

A propos de beurre :

Les Normands et les Bretons sont gros mangeurs de beurre, ce qui hisse la France au premier rang européen avec une consommation de 8.3 kg (par an et par habitant).  Mais c’est très loin, au niveau mondial, derrière les Tibétains qui en utilisent 73 kg. Il faut dire que le beurre est la base de leur alimentation et qu’ils sont gros consommateurs de thé au beurre.

J’arrête là, car je ne souhaite pas que cet article se termine en eau de Bouddha.

Votre Mona siatique


Le roman du Camembert

camembert-3Le Camembert tire son nom d’une commune de l’Orne, du canton de Vimoutiers, où dit-on, l’inventa  au cours de la Révolution, une fermière appelée Marie Fontaine épouse HAREL. Son origine, mais sous une forme différente, est plus lointaine. En effet, un siècle plus tôt, les archives paroissiales du village de Camembert font mention de cette spécialité fromagère.

Cependant l’apport de Marie Harel est incontestable : la forme et le goût du fromage ont été fortement modifiés en 1791. Un prêtre réfractaire, fuyant la Terreur, trouve refuge chez la fermière Marie Harel. Originaire de la Brie, l’ecclésiastique lui enseigne la manière briarde de faire le fromage. Vendus sur les marchés alentours, le succès est immédiat. La production de Marie se trouve vite insuffisante pour répondre à la demande.

C’est le mari de sa fille, Victor Paynel qui lance la première fabrique du fameux fromage. Il faudra attendre 1890, pour qu’un négociant havrais, Monsieur Rousset, donne au camembert un second souffle en lançant la boîte en bois qui permettra de l’acheminer sans problème sur de longues distances. Jusqu’à cette date, il voyageait sur un lit de paille. Le développement des chemins de fer fera le reste. Il devint l’un des fromages les plus vendus aux Halles de Paris. Copié avec plus ou moins de succès dans de très nombreux pays, symbole des fromages français, il faut en 1983, le protéger par une AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). Ainsi sur l’étiquette, pour être sûr d’en déguster un authentique, il est est indispensable de lire sur l’étiquette “Camembert de Normandie” avec comme précision complémentaire “au lait cru, moulé à la louche”.

Or, depuis mars 2007, les principaux industriels (Lactalis), avec leurs marques plus que centenaires comme Lepetit, ont abandonné l’AOC en arêtant la production de camemberts  au lait cru. Ces groupes étaient persuadés que, compte tenu de leur poids économique, ils arriveraient à récupérer l’AOC. Mais les tribunaux en ont décidé autrement.

Alors, épicuriennes, épicuriens, la survie du vrai camembert est entre vos mains. Regardez bien la photo ci-dessous : vous y voyez, à droite, la boîte de Lepetit telle qu’elle était avant mars 2007 et à gauche, créée mars 2007. Combien de consommateurs n’ont pas remarqué la transformation :  et pourtant, le logo d’AOC, la mention au lait cru et camembert de Normandie ont disparu et ce sans que personne ne s’en soucie.

camembert-lepetitEn boycottant ces produits, nous permettrons aux fromagers qui respectent le cahier des charges de l’AOC de survivre. Et si on le faisait !!! Sélectionnez uniquement les camemberts avec le logo de l’appellation. Il faut mieux en manger moins, mais manger du vrai.

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