Viens Poupoule, viens

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Je n’en peux plus, mon mari m’appelle toujours «ma poule». Me comparer à ce gallinacé bête et stupide m’est insupportable.
Tel est le cri (ou plutôt le caquètement, devrai-je dire) d’Aimée Nervegrave dans la lettre qu’elle m’a adressée.  

Non, mais vous vous rendez compte, alors que le monde est en crise, vous m’envoyez des conneries pareilles. Oui, je sais ; çà peut choquer dans la bouche d’une jeune fille comme moi d’utiliser la grossièreté pour exprimer ma colère, mais, je trouve que ce surnom affectueux n’est pas dégradant. La femelle du coq n’est pas plus bête que beaucoup de mes congénères. Savez-vous que nombre de femmes sont affublées de surnoms bien pire. Vous savez le gars qui au moment de se coucher appelle sa donzelle : tu te couches, ma puce ? Et qui le lendemain matin après avoir profité de ses charmes, lui crie de la cuisine alors qu’elle paresse dans le pucier conjugal : alors tu te lèves grosse vache ? En une nuit, la compagne du jouisseur lubrique vient de prendre 300 kg dans le moral…

Et puis, Aimée Nervegrave, ces petits noms enfantins mais si attendrissants existent depuis la nuit des temps. S’il fallait vous en convaincre, lisez donc ce court extrait signé Voltaire :

Le célèbre Harvey qui, le premier, démontra la circulation sanguine, et qui était digne de découvrir le secret de la nature, crut l’avoir trouvée dans les poules. Elles pondent des œufs, il jugea que les femmes pondaient aussi. Les mauvais plaisants de dire aussitôt que c’était pour cela que les bourgeois appelaient leur femme ma poule, et que toutes les femmes étaient coquettes, parce qu’elles voulaient que les coqs les trouvassent belles. Malgré ces railleries, Harvey ne changea point de système, et il fut établi dans toute l’Europe, que nous étions pondus.

Mona pas de problème quand Lépicurien l’appelle Poupoule. 

Comme un coq en plâtre

La cathédrale de Santo Domingo de la Calzada (près de Burgos) abrite des hôtes bien particuliers. En effet, comme le veut la tradition depuis maintenant 600 ans, un coq et sa poule y logent, occupant un poulailler « trois étoiles ». Nos deux gallinacés font d’ailleurs l’objet d’une attention toute particulière.

santo_domingo_de_la_calzadaLa légende raconte qu’au Moyen Âge, une famille allemande originaire de Cologne, un père, une mère et leur fils partirent en pèlerinage jusqu’à Compostelle. Ils firent halte à Santo Domingo de la Calzada. La fille de l’aubergiste qui les hébergeait, tomba amoureuse du fils qui la rejeta vertueusement.
Vexée, elle décida de se venger. Aussi, elle dissimula un gobelet d’argent dans la besace du jeune pèlerin qui se fit arrêter pour vol. Jugé, l’innocent fut  condamné à la pendaison,. Sitôt dit, sitôt fait. … Désespérés, les parents poursuivirent néanmoins leur pèlerinage afin de demander de l’aide à Saint Jacques.

Revenus quelques jours plus tard à Santo Domingo, ils trouvèrent leur fils encore en vie, suspendu à sa corde… Il leur déclara que saint Jacques l’avait soutenu par les pieds et ainsi maintenu en vie. Les parents essayèrent alors de convaincre le juge de l’innocence du jeune homme en invoquant le miracle de sa survie. Celui-ci, était à table. Il était en train de manger un coq et une poule en cocotte. Il ne les crut pas et leur rétorqua : « Votre fils est, à ce jour, aussi vivant  que ce coq et cette poule « .

A ces mots, les plumes des gallinacés se mirent subitement à repousser et ils s’envolèrent. Devant un tel miracle, le juge ne tarda pas à libérer le fils. La fille de l’aubergiste fut pendue sans que Saint Jacques n’intervienne…

Aujourd’hui, c’est un aubergiste qui a été nommé responsable de ce poulailler très spécial et difficile à gérer : « Aux enterrements, ils chantent à tue-tête, mais, avec les touristes, ils se taisent ! »
foghornL’évêque lui a même demandé s’il n’était pas possible de mieux les dresser : impossible. En effet, il faut les remplacer toutes les semaines car ils vivent dans une cage dorée mais très à l’étroit.
Le poulailler est placé en hauteur près du porche d’entrée et hors de portée des pèlerins pour éviter que ceux-ci n’arrachent les plumes des volailles en souvenir.
Quant aux œufs pondus dans l’enceinte de la cathédrale, ils sont très recherchés car ils auraient des vertus de guérison pour de nombreux maux. Pour cela, il suffit de les faire mariner dans du vinaigre, jusqu’à ce que la coquille se décompose, puis de boire cet avenant breuvage.

Bon, c’est pas tout çà, Mona. On s’ouvre une petite fiole, ma p’tite poule…

Poupoule, t’as de beaux oeufs, tu sais

pouletrotiLa  poule a la réputation d’être couarde, pleutre, peureuse et si stupide qu’elle se jette sous les roues  des  voitures. On l’estime tout juste bonne à pondre, à couver, à élever une flopée de poussins  « poussillants ».  Elle  vit prostrée dans son poulailler, recluse dans un enclos.

Oubliez tout cela ! La poule est au contraire  une  intrépide voyageuse. Et  comme  elle  est intelligente  (son Q.I la  place bien au-dessus des autres volatiles, elle a limité ses efforts au plus strict  minimum.  Plutôt que d’entreprendre de périlleuses migrations  à  travers les continents comme les stupides oies  ou les  vaniteux goélands, elle a préféré… faire du stop.Elle fut ainsi de toutes les aventures des grands explorateurs. Sur mer, la poule était précieuse : elle fournissait l’équipage en oeufs frais. Et quand elle mettait pattes à terre, elle n’était pas longue à engendrer des générations de poules coquericantes. Des poules jaunes, blanches, herminées, bleues, noires. La poule est un modèle de tolérance et d’intégration. Prenons-en de la “graine” !
Sur terre, elle s’adaptait à tous les climats et à toutes les situations. Certaines poules ont suivi Marco Polo dans ses pérégrinations. D’autres  ont connu  Jacques  Cartier  ou Magellan. Christophe Colomb leur doit une fière chandelle. La Pérouse fut tout heureux d’en découvrir sur l’île de Pâques. Les plus sportives ne dédaignaient pas les longues caravanes du désert. Songez que ces intrépides volailles ont même conquis l’espace avant l’homme. Oui, vous avez bien lu : en 1793, et pour la première fois dans l’Histoire, des êtres vivants purent voler dans une montgolfière. Ces trois émérites aéronautes, pionniers de la conquête spatiale, étaient un mouton, un canard et un… coq ! (D’accord, ce n’est pas une poule, mais tout de même !).
De quoi clouer le bec à tous les médisants qui tiennent les volailles, et la poule en particulier, « pour un animal simple et niais » (Bossuet).

poularde-de-bresseDurant les fêtes, dindes, chapons, oies se sont bousculés sur nos tables. Alors, pourquoi ne pas goûter une poularde. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, une mère poule ayant pris du poids, mais une petite poulette qui n’a pas connu les assauts du coq et qui n’est pas encore en âge de pondre. Elle est engraissée suivant une méthode voisine de celle pratiquée pour son frère, le chapon, mais sans subir comme lui la castration. Les anciens l’estimaient parfaite entre sept et  huit mois. On en trouve aujourd’hui, tuées à 5 ou 6 mois, mais les meilleures, garanties par l’A.O.C. (appellation d’origine contrôlée) « poularde de Bresse » sont élevées durant 8 mois dans la plus pure tradition d’autrefois. En Bresse, pour avoir droit à une A.O.C., un  coq ou une poulette – qui deviendront respectivement chapon ou  poularde – connaissent le même processus d’engraissement. C’est la qualité de la nourriture ingurgitée pendant une vie très douce, passée en partie au grand air en liberté et en partie en « épinette », c’est-à-dire en cage individuelle, à se nourrir et digérer, qui contribue au moelleux et à la tendreté de sa chair. La poularde de Bresse connaît le fin du fin de ce mode d’élevage, avec une nourriture de premier choix et les soins les plus attentifs, ce qui lui donne une qualité de chair incomparable.
Les poulardes s’apprécient rôties, à la crème, en vessie, demi-deuil. C’est  l’occasion de sortir de grandes bouteilles : Pomerol, Côte-Rôtie, Volnay, Meursault…

Poule de Babel

coq-francais-sur-mondeQuestion existentielle que tout homme ou femme s’est forcément posé un jour : existe-t-il une race de poule qui coquericote plus qu’une autre ? Une sorte de Callas du poulailler ?

Non, répondent en chœur les aviculteurs. Elles chantent toutes pareil. Sauf  peut-être, les poules sauvages, réputées pour leur sobriété. Ces taiseuses savent qu’il vaut mieux ne pas trop se faire remarquer des renards.
En fait, la poule chante quand elle a fait un oeuf. Mais comme certaines races pondent plus que d’autres, certaines poules chantent donc davantage, comme disait Monsieur de la Palice.

Mais au fait, que chantent-elles ?

Là, plus personne n’est d’accord. Pour les Allemands. La poule fait “ kikiriki. » Pour les Français, elle fait “cot-cot-codec” et le coq “Cocorico”. « Pas du tout, assurent les Espagnols : le coq fait “quiquiriqui!”. Cela fait bien rire les Anglais qui savent eux  que le coq fait “cock-a-doodle-do !” Bref, c’est la tour de Babel ou, comme on dirait : un drôle de  « coq-tel ».

Je comprends pourquoi la construction européenne prend tant de temps.