C’est pas à Tristan

Tristan Bernard est un auteur à l’humour ravageur. Il a laissé un grand nombre de mots d’esprit dont, par exemple :

-L’argent n’a pas d’odeur, mais à partir d’un million il commence à se faire sentir.

Pour profiter de cet humour, Tristan Bernard était souvent invité dans des salons bourgeois avec d’autres écrivains, acteurs, musiciens.
Un jour, il fut convié par une maîtresse de maison, bourgeoise réputée pour sa pingrerie. Après que chaque hôte remplît le rôle qu’on attendait de lui, une soubrette amena une assiette sur laquelle étaient posés des babas au rhum, coupés en deux.
Tristan, amusé par un tel étalage d’avarice, posa la main sur une moitié de gâteau, resta ainsi et dit suffisamment fort pour que chacun profite de son bon mot :

-Ah, merci, je crois que je vais me laisser tenter par un ba.

Mona mangé un baba entier, elle. C’est bon.

Flagrant débit…

Lépicurien vous a déjà parlé d’un restaurant parisien qui eut son heure de gloire au XIX° siècle : la Maison Dorée sur le Boulevard des Italiens. Une partie de ce bel établissement était réservé uniquement aux habitués triés sur le volet. On pouvait y croiser le Prince de Galles, des nobles désœuvrés et excentriques, Rossini, Balzac et nombre de fêtards et noceurs de la capitale.

Chaque client était connu, reconnu et chouchouté.

Tout près, se trouvait un autre restaurant tout aussi réputé, le Café Anglais. Ce sont bien entendu les mêmes clients qui passaient de l’un à l’autre et quelquefois au cours de la même soirée.

Ce fut le cas, un soir, en fin de service, un homme, titubant et le ventre rebondi, traversa du 20 Boulevard des Italiens[1] au 13[2]. Manifestement, le client était fait comme un rat. Arrivé, devant la porte, il éructa et bafouilla quelques mots. Le maître d’hôtel impassible le laissa rejoindre sa table habituelle. L’homme s’assit et fit savoir qu’il voulait manger. On lui amena la carte.

Mais, se levant aussi rapidement qu’un pet glisse sur une toile cirée, il fonça vers les toilettes, laissa portes grandes ouvertes et des bruits ne laissant aucun doute sur son activité du moment s’en échappèrent : le gars était malade et en train de rendre son dernier repas.

Le maître d’hôtel soupira en clignant les yeux et une moue lui barrait le visage :

Mon Dieu, mon Dieu, si ce n’est pas malheureux que ce Monsieur vienne déposer ici ce qu’il a mangé ailleurs…  

Mona plus faim…


[1] L’adresse du Café Anglais
[2] L’adresse de la Maison Dorée

Deux nappes au lit…

Je ne sais pas si j’ai eu l’occasion de vous parler de mes origines. Vous savez que je suis si discrète voire secrète et tellement pudique. Mais maintenant que nous nous connaissons mieux, je peux vous confier que j’ai de lointaines origines italiennes. Mes ancêtres seraient arrivés de Florence dans les bagages de François 1er, autant dire que çà ne date pas d’hier et que mes notions dans la langue de Dante sont, pour le moins et tout au plus, touristiques. Et pourtant est-ce le sang qui bout dans mes veines, j’adore la cuisine transalpine. Aussi, j’ai plaisir à m’attabler dans un restaurant italien et à savourer risotto, carpaccio, osso buco, pesto sans oublier le plat national que sont les pâtes de toute forme et accompagnées de tant de sauces.

Ce garçon a eu la petite Vérone !!!

J’étais donc, disais-je, dans un «ristorante» avec Lépicurien, ce Casanova français et nous avions choisi le même plat : un risotto aux champignons. Voulant faire ambiance locale, je commandais en italien :
Duo risotto alla fungaiola, per favore, Signore.

Le garçon au lieu d’admirer mon effort pour chausser la botte et mon accent chantant comme un gondolier vénitien, se permit de me reprendre sèchement :
Je suppose que Madame veut dire «risotti».

Ah le rustre ! Ridiculiser une jeune femme comme moi devant son patron qu’elle admire tant. C’est bien simple, çà me coupait l’appétit jusqu’à ce que Lépicurien, ce grand homme ne me venge en hélant le garçon et en lançant à la cantonade, non comme Eric mais tel un ténor dans le Nabucco de Verdi :
Dites moi mon brave (on sent que l’affront va être lavé, récuré, blanchi), où sont les lavabi, je voudrais faire pipo et me laver le mani.

Et toc, çà c’est envoyé. Le serveur est k.o. Il bredouille, bafouille, marmonne, éructe… en rosissant :
«Sous-sol… sulla vostra destra».

Il est vaincu. Il fuit Je retrouve l’appétit qui n’aurait jamais dû me quitter.

A la fin du repas, très bon d’ailleurs comme d’habitude, il nous demande si nous prendrons des ristretti. Je lui balance :
no grazie il caffè.

Mona bien rigolé ou Rigoletto comme dirait le grand Guiseppe.  

Treize émue

Treize à table, çà va, mais douze hommes pour une Mona, c'est trop

Récemment, je fus invité à un dîner. Avec Mona, nous fûmes les premiers. Jeanne Alise nous accueillit fort aimablement et nous prévint que nous serions quatorze à table. Comme nous ne connaissions personne à part elle et son mari, elle nous présenta nos voisins. Puis les convives arrivèrent rapidement. Tout se déroulait au mieux et laissait entrevoir une bonne soirée. Ce jusqu’au drame. En effet, Paul Hissier qui devait venir avec sa femme, arriva seul informant Jeanne que sa moitié était malade et qu’elle ne se joindrait pas à nos agapes. Jeanne Alise fut pétrifiée avant de s’effondrer. Mais s’il manquait un invité, cela voulait dire que nous serions treize à table… Impossible, çà porte malheur !!!

Son soufflé  se rétamerait comme une vieille galette, son gigot d’agneau de pré-salé qui lui avait couté un bras serait trop cuit et dur comme chicotin…

Pendant que notre hôte poussait des cris d’orfraie, fondait en larmes de crocodile, je pensais à Grimod de la Reynière, roi des amphitryons et des gourmets. Alors qu’il lui arriva la même aventure, il dit à la maîtresse de maison :

-A table, il ne faut pas craindre le nombre treize que s’il n’y a à manger que pour douze …

Pour nous, il n’y avait rien à craindre : Jeanne avait prévu pour quatorze et nous ne serions que treize.

Finalement Mona, le fer à cheval que vous aviez dans votre sac a sauvé notre soirée et nous a permis de déguster un dîner de qualité. J’ai même eu deux parts de dessert… Merci Madame Paul Hissier. Et puis, le Pinot Blanc 2007 du Domaine Blanck se mariait si bien avec le soufflet de brochet. Un bien joli vin que nous rentrerons dans notre cave, ma Chère Mona !

7 de table

L'humour de Mona

La Nationale 7 fut pendant longtemps la route du soleil. Les Parisiens descendaient moins vite que de nos jours et faisaient des étapes gastronomiques qui firent les 3 étoiles du Michelin.

Ainsi Sacha Guitry et Yvonne Printemps, au faîte de leur gloire, descendant vers la Côte d’Azur, s’arrêtèrent dans un restaurant.
Le patron les reçoit avec un large sourire et un gentil mot :
-Madame, Monsieur, rentrez que je vous annonce à la salle à manger

Guitry, faussement modeste, fait signe au restaurateur avec un petit air entendu et dit :
-Non, il ne faut pas… je suis en vacances, j’aspire à la tranquillité.

Mais le patron, accompagnant le geste à la parole, les précède, pousse la porte et lance à tous :
-Et deux couverts, deux !

Et rajoute à l’intention du couple :
-Voilà Madame, Monsieur, bon appétit.

Mona pas d’orgueil même quand on en la reconnaît pas.

Rien ne Bresse

Quand c'est la faim, c'est la fin

Edouard Herriot (1872-1957) est un homme politique hors du commun : Député-Maire de Lyon, Ministre à de nombreuses reprises, Président du Conseil, Président de la Chambre des députés… En 1946, il est élu à l’Académie Française. N’en jetez plus !

Bien qu’il ne fût pas Lyonnais de naissance, il adopta très vite le mode de vie de la capitale des Gaules et tomba amoureux de sa cuisine et ses vins.

Grand mangeur, il aimait dire que la politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop.

Avec les années, et les nombreux gueuletons, sa santé se fragilise. Son médecin lui conseille vivement de réduire ses rations. Mais le bonhomme aime trop la table.

Le docteur demande au chef de cabinet d’Herriot de le surveiller et de le rappeler à la raison.

Dans un restaurant, Herriot va déjeuner. Il hésite entre divers plats de la cuisine lyonnaise : cochonnaille, quenelles, volaille de Bresse, tablier de sapeur, gratin dauphinois, Saint Marcelin… et finalement élabore un menu digne de Pantagruel. Son chef de cabinet intervient…

Herriot qui a passé commande, rappelle la serveuse et lui dit :
– Soyons raisonnable, supprimez la salade.

Voilà un gastronome qui force le respect. Mona, un Beaujolais s’impose. Comme le dit Léon Daudet : Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais. Allez, je sers un Morgon 2010 de Marcel Lapierre. Quel vin ! D’une puissance incroyable mais sans excès et quel fruit !

La boisson qu’en sert

Mona buveuse de vin et Pemberton, inventeur du coca

Depuis que j’ai rejoint Lépicurien, je n’ai jamais bu un coca. En effet, le grand homme m’a toujours dit qu’il ne fallait pas boire ce type de liquide à l’odeur médicamenteuse, mais plutôt s’en servir comme débouche chiottes ou détachant pour cuivre.

Encore une fois, je ne peux que me réjouir de l’avoir écouté. Rappelez-vous, il y a quelques semaines, nous évoquions l’utilisation du coca comme insecticide. Aujourd’hui, on nous révèle qu’il est cancérigène.
C’est une association de consommateurs américaine, la CSPI (Center for Science in the Public Interest) qui vient de gagner contre les géants du secteur. Ils ont fait ingurgiter une molécule[1] à des souris qui ont chopé des cancers du foie, du poumon ou de la thyroïde.
Le comble, c’est que la firme de l’oncle Sam, qui déverse ces liquides sur toute la planète a annoncé qu’elle changerait la formule aux Etats-Unis mais pas en Europe. Oui, vous lisez bien.
Pourquoi cette discrimination ?

Tout simplement parce que les Européens acceptent un taux de 4-MEI supérieur à celui des Américains. Pas mal, non ? De quoi installer le doute sur les scientifiques qui décident que tel ou tel produit est bon ou pas pour notre alimentation…

Comme dirait Lépicurien, nous on s’en fout, on n’en boit pas. Mais j’aurais aimé entendre Monsieur Evin et ses cliques sur ce sujet. Mais ils préfèrent accuser le jus de la treille et affirmer contre le reste de la communauté scientifique que notre boisson nationale nous file le cancer dès le premier verre.

Allez, tiens, je vous glisse un slogan que vous pouvez faire circuler auprès de vos amis pour les mettre en garde :
Boire du coca, c’est caca ; boire du vin, malgré l’Evin, c’est divin.

Mona fait son devoir. Alors si vous continuez à boire ce liquide yankee, c’est votre affaire.


[1] Son petit  nom : 4-MEI, molécule présente dans le colorant caramel utilisée dans le liquide incriminé mais également dans les saucisses, glaces, soupes, biscuits apéritifs…

Ne faîtes pas aux truies ce que vous ne voulez pas qu’on vous fît

Lépicurien vous a transportés à Rome en compagnie de Trimalcion. Si les Gaulois avaient un faible pour les sangliers, selon Astérix, les Romains préféraient le cochon. Et sur les tables les plus raffinées de Rome, un met de choix était régulièrement servi. C’est la vulve de truie farcie. Pline dans son Histoire Naturelle rapporte qu’il préfère celles prélevées sur des truies qui n’ont eu qu’une portée alors que d’autres les préfèrent lorsque la cochonne a mis bas plusieurs fois. Pour certains, seule une truie nullipare[1] peut donner du plaisir (si j’ose dire).

Finalement le Sénat tranchera et n’autorisera que l’abatage de truies ayant eu plusieurs portées. On peut se demander si des raisons économiques ne l’ont pas emporté sur la gastronomie. Si on avait laissé tuer toutes les femelles après une seule mise-bas, le cheptel porcin aurait rapidement  disparu à Rome.

Des amateurs de truffes affirment que si le porc trouve facilement les «perles noires du Périgord», c’est parce que l’odeur leur rappelle celle de la vulve de leur copine… Je comprends mieux pourquoi certains d’entre vous en sont fous…! N’oubliez, chères épicuriennes, qu’un porc sommeille au fond de chaque homme.

Alors si le cœur vous en dit, je vous livre la recette de ce plat typiquement romain selon celle du grand Apicius[2].

Achetez  des vulves de truies, de la chair de porc hachée, du poivre, du cumin, du garum[3],  deux blancs de poireau, des pignons de pin.

Recette :
Nettoyer les vulves et laisser les mariner pendant 24 heures dans le garum. Le lendemain, les cuire à l’eau.
Pendant la cuisson, préparez la farce en broyant ensemble la chair de porc hachée, le poivre, le cumin, les deux blancs de poireau et le reste de garum. Ajouter à ce mélange les pignons de pin.
Une fois cuites, farcir les vulves et les coudre. Plongez les dans un mélange d’eau, d’huile d’olive, de garum et d’aneth avec un petit bouquet garni et cuisez.

Malheureusement, Apicius ne donne pas de quantités précises, de temps de cuisson… Il vous faudra surement revenir plusieurs fois sur la vulve avant de la réussir. Mais quand on aime, on ne compte pas. Alors, à vos fourneaux !

Mona jamais mangé çà, et vous ?


[1] vierge
[2] Cuisinier de l’Empereur Tibère
[3] Saumure faite d’un mélange poissons, de sel, et d’huile d’olive, mis à fermenter. 

Cà agur rien de bon !

Comme souvent, Mona ne retient que des anecdotes romantiques et oublie de vous parler de l’essentiel. Comme, elle l’a souligné le Roquefort est un fromage hors-norme par son ancienneté et son goût.

Dès le VIIIe siècle, le Roquefort est cité dans de nombreux actes, donations, rentes, et autres concernant le Rouergue.

En 1411, une Charte de Charles VI reconnaît la nécessité vitale de défendre le Roquefort « en un pays où ne pousse ni pied de vigne, ni grain de blé », et en 1666, un arrêt du Parlement de Toulouse concède aux habitants de Roquefort « le monopole de l’affinage du fromage tel qu’il est pratiqué de temps immémorial dans les grottes dudit village ». Malgré la Révolution, les privilèges accordés à Roquefort sont maintenus par la Convention qui décide que « ne sera Roquefort que ce qui sortira des caves de Roquefort ».

Le 26 juillet 1926, c’est le premier fromage à obtenir l’Appellation d’Origine Contrôlée. Il est le seul à être préparé avec du lait de brebis cru, entier. La collecte du lait était limitée aux Causses environnants et puis la production s’est étendue aux autres régions du Rouergue puis aux régions limitrophes …
On chuchote même qu’il en serait venu de Corse, mais tout le monde le nie avec des cris d’orfraies.

Les années passant, le Roquefort se banalise, les sirènes de la productivité de la grande distribution ne laissent pas insensibles les producteurs. Les bleus débarquent dans les linéaires et chez les crémiers. Fabriqués au lait de vache, ils sont moins chers que le Roquefort.

En 1988, c’est l’attaque des industriels qui veulent leur part du gâteau. Le Saint-Agur, sans histoire, sans Charles VI, sans terroir et sans légende, ce Saint-Agur ressemble à du Roquefort sans en être. Les ventes s’envolent car on a flatté le goût peu assuré du consommateur, élevé avec des petits pots trop sucrés, et dévoreurs de «hamburgés» produits bien éloignés du caractère et de la force du Roquefort.

Ma petite Mona, continuons cette dure lutte. La malbouffe ne passera pas dans ce bureau. Pour accompagner un Roquefort, rien ne vaut un vin de Sauternes. J’ai retenu à votre intention le Château de Malle 2001. Grand millésime, Grand Cru Classé : un mariage de folie avec ce fromage de l’Aveyron.

Une histoire sans fondement ?

Je ne savais pas, Mona, que vous connaissiez Curnonsky

Maurice Edmond Saillant (1872-1956) est connu comme le « Prince des Gastronomes ». Journaliste, il prend un nom d’emprunt et devient Curnonsky[1]. Force de la nature, 1.85m pour 120 kg, ce beau bébé sait se tenir à table.

Devenu journaliste spécialiste de la table et du vin, il lancera « Cuisines  et Vins de France » en 1947[2], après avoir créé l’Académie des Gastronomes en 1930 et l’Académie du Vin de France en 1933. Outre ses articles, il a laissé une vingtaine d’ouvrages sur l’art de la table, de la cuisine et du vin.

En prenant de l’âge, il fut opéré de la prostate. Au sortir de l’hôpital il est lucide en parlant de son « appareil de moins en moins génital et de plus en plus urinaire. » Et lorsqu’un ami s’inquiète de sa santé et de son moral, il aime répondre : « Oh le moral, çà va ; mais c’est plutôt l’immoral qui m’inquiète. »

Curnonsky aimait particulièrement les vins de Jasnières. Aussi Mona, je vous propose le Domaine des Gauletteries 2010. La cuvée Tradition est un joli vin sec aux arômes d’agrumes qui vieillira bien quelques années.


[1] De Cur : pourquoi en latin, Non : pas, Sky. La mode est à l’amitié franco-russe au début du XX° siècle et lorsqu’on lui conseilla de signer sous un nom d’emprunt, il répondit « Pourquoi pas sky » autrement dit Curnonsky.
[2] Cette revue existe toujours