Je dis Banon

Un certain nombre de fromages sont emballés dans des feuilles (le Cornish yarg des Cornouailles dans des orties, le Pecorino d’Italie dans une feuille de noyer…).

Tout cela ne manque pas d’allure. Après avoir été longtemps de précieux auxiliaires pour les producteurs de fromages, les feuilles et autres végétaux utilisés ont aujourd’hui un rôle purement décoratif. Ils permettaient jadis de conserver les produits fabriqués en excès lors des fortes périodes de lactation.

436253595_8f71eb0def_obanon_titreLe plus pittoresque des fromages conservés sous feuilles est le Banon, fabriqué dans les garrigues des Alpes de Haute Provence. Ce fromage pudique s’est longtemps caché dans une feuille de vigne. L’épidémie de phylloxera ayant coupé court à cet approvisionnement, on s’est reporté sur les feuilles de châtaignier. Il en faut jusqu’à 6 à 7 assouplies dans de l’eau vinaigrée, imbibées d’eau de vie et ficelées de ratafia. Traditionnellement, c’est le Banon lui même que l’on enrobait de divers aromates et épices (poivre, clous de girofle, thym, laurier) avant de le plonger dans une jarre de terre où il macérait très lentement. Inutile de préciser que son goût était particulièrement prononcé. La mise sous feuille lui permettait de ne pas se dessécher et contribuait à lui conserver une pâte onctueuse. A l’abri de l’air, le fromage pouvait se garder longtemps. De nos jours, un affinage court donne un fromage à la saveur agréable qui s’apprécie avec un vin blanc de Cassis.

La collecte des précieuses feuilles de châtaignier ne relève pas de l’improvisation. Elle s’effectue à l’automne, soit à même l’arbre avant qu’elles ne tombent, soit juste à la tombée. Ce qui oblige à un travail journalier durant trois mois. Les feuilles doivent être ramassées quand elles ne sont ni trop sèches ni trop humides. Les feuilles sont mises à sécher. Pas question d’utiliser des feuilles encore vertes qui donneraient trop de tannins à la pâte et la rendraient acre.  Le banon est l’un des très rares fromages à utiliser véritablement les vertus des feuilles.

Pour beaucoup d’autres, comme le fougeru, il ne s’agit plus que d’un héritage décoratif. Ainsi les joncs qui ceinturent le livarot ne servent plus depuis longtemps à empêcher le fromage de s’affaisser. Il lui reste le surnom de colonnel (5 joncs par livarot).

Dans le centre de la France, le sainte-maure de Touraine, long fromage de chèvre arbore encore une paille qui le traverse de bout en bout. Elle servait initiallement de tuteur aux fromages un peu fragiles qui menaçaient de se rompre. Le perfectionnement de l’art fromager rend inutile cet usage. D’ailleurs le décret d’appellation d’origine contrôlée n’exige pas sa présence.

Le long de la frontière suisse, dans le sud du massif jurassien, est né le mont-d’or. La pâte est tellement onctueuse que les paysans n’ont eu d’autre choix que de ceinturer leurs fromages avec des sangles d’épicéa avant de le mettre en boîte. Et là, il s’agit bien d’une alliance du fromage et du bois. Ce n’est en rien un mariage de circonstance. Au contact direct de la boîte qui contient ses épanchements généreux et de la sangle d’épicéa qui l’entoure, le mont-d’or s’imprègne d’un doux parfum balsamique. La récolte des sangles relève d’un métier à part entière : le sanglier, profession exercée par une vingtaine de personnes qui prélèvent la couche située sous l’écorce. Pour le déguster, il faudra patienter. C’est un fromage de fin d’automne et d’hiver qui se marie avec un vin blanc du Jura.

Difficile de ne pas parler du Morbier. Issu du Jura lui aussi, les paysans, durant l’hiver, stoppaient la fabrication du comté faute de lait en quantité suffisante et utilisaient les moindres traites pour préparer des fromages plus petits  : Morbier. Ils faisaient prendre le lait d’une traite et dans l’attente de la prochaine recouvraient le caillé de cendres pour le protéger des insectes. Aujourd’hui reste cette raie noire de charbon de bois.

Ma petite Mona, alors avec ce Sainte-Maure, quel vin blanc me proposez vous ? Un Monlouis ? Hé, ben, je dis banon. Servez…