Rêve parti ?

Nous avons déjà eu l’occasion de parler, dans ces lignes, de l’Almanach des Gourmands publié de 1803 à 1810 par Grimod de la Reynière, célèbre gastronome et célèbre excentrique.
Très vite ce journal devint culte et fut même réédité en 1828 sous la direction de son génial fondateur.

Deux ans plus tard, Paul Lacroix, connu sous le pseudonyme du Bibliophile Jacob, lance le premier numéro du Gastronome, journal universel du goût rédigé par une société d’hommes de bouche et d’hommes de lettres qui veulent unir gastronomie et littérature.

La publication ne durera qu’un peu plus d’un an malgré des signatures comme Théophile Gautier ou Gérard de Nerval (excusez du peu)..

Plusieurs tentatives pour relancer la revue ne dureront pas. Charles Monselet en fut notamment directeur en 1858.

Voici un texte bien étrange signé Gérard de Nerval tiré d’un numéro de 1831 :

Cauchemar  d’un mangeur

On ne croit plus aux histoires de revenants, et on a bien tort. Les époques de crise et de révolution sont ordinairement celles que ces messieurs choisissent pour remettre en question les plus simples idées du rationalisme et de l’incrédulité philosophique ; je veux vous citer un exemple étrange de terreur phénoménale et de digestion troublée, un véritable type d’aventures à caverne et de dîners malsonnants d’auberge. On peut croire à mon conte, je le tiens d’un Périgourdin.
Invité à une partie de chasse dans un vieux château près de Limoges, et naturellement peureux, il avait commencé par raffermir sa conscience de gentilhomme et son caractère de fier-à-bras contre les incidents nocturnes, au moyen d’une séance infiniment prolongée devant la table séculaire de son hôte ; après quoi il s’était couché, un peu lourd, mais fort intrépide. Il avait du cœur au ventre.
Pour la vérité de la chronique, nous devons dire que sa situation était très délicate et prêtait merveilleusement aux pressentiments les plus sombres. Il recevait pour gîte une  chambre où un Chouan était mort de ses blessures ; vous concevez quel champ ouvert à une craintive imagination ! Aussi,  notre  Périgourdin  craignit beaucoup en mettant son bonnet de nuit. Les murs étaient hauts et d’un gris repoussant ; des portraits noircis par la fumée en décoraient de façon sinistre les tapisseries et l’alcôve. On y voyait un lit en vieux damas, avec un ciel assez élevé pour orner un lit de parade, et puis quantité de pièces massives d’un antique ameublement. Il roula en tremblant devant le foyer un  énorme fauteuil ; n’osant se coucher, il s’assit en fixant les yeux sur la flamme et en attisant le feu, tandis que son esprit, visiblement inquiet, s’efforçait de ne penser qu’à l’œuvre digestive pour chasser toute autre préoccupation. Ce fut cela même qui le perdit. Le brave s’assoupit bientôt. Mais, soit réalité, soit illusion, il ne tarda pas à être en proie à la plus effrayante des songeries. Un souper et un dîner perfides se réunirent pour conspirer sans pudeur aucune contre le repos du Périgourdin. D’abord, il fut galopé par un succulent gigot de mouton qui talonnait de sa queue festonnée son dos trop tardif et ses jambes paralysées de terreur. Puis vint un pâté de lièvre, fantôme au front cornu, qui appuyait avec un rire amer sa main de plomb sur son estomac ; le croupion d’un chapon lui suggérait mille idées saugrenues, et une diablesse de cuisse de dinde se remuait sans cesse devant ses yeux écarquillés d’effroi, en affectant de revêtir les formes le plus infernales. Ce n’était pas tout ; une série indéfinissable de saucisses, entortillant ses membres avec une ténacité surnaturelle, semblaient vouloir venger, par un étranglement nouveau, la famille entière des boudins des mépris héréditaires du gentilhomme. Enfin, pour combler la mesure de ces cabalistiques inventions, une cuillère à pot, individu grêle et fantastique, venait par intervalle se pendre en dansant à son nez, comme le bec goulu de certains canards dont parle Pigault-Lebrun[1]. À ce dernier trait de la malice des êtres malfaisants, le pauvre chasseur ne résista plus ; et craignant à bon droit de perdre dans un rêve ce qui fait de la vie un si beau songe, il se réveilla en sursaut, empoignant avec vigueur l’indiscrète cuillère.
C’était sa pipe.

Bon Mona, ces grands auteurs me donnent envie de classicisme. Si vous daignez sortir deux verres, je vous sers un Château Haut-Marbuzet 2007. Bien que dans un « petit millésime », ce vin de Saint-Estèphe est un réel plaisir pour les sens d’un épicurien. Un vin à faire des rêves et non des cauchemars.


[1] Charles-Antoine Pigault-Lebrun (1753-1835), auteur de comédies à succès et de romans de veine anticléricale et licencieuse

Treize émue

Treize à table, çà va, mais douze hommes pour une Mona, c'est trop

Récemment, je fus invité à un dîner. Avec Mona, nous fûmes les premiers. Jeanne Alise nous accueillit fort aimablement et nous prévint que nous serions quatorze à table. Comme nous ne connaissions personne à part elle et son mari, elle nous présenta nos voisins. Puis les convives arrivèrent rapidement. Tout se déroulait au mieux et laissait entrevoir une bonne soirée. Ce jusqu’au drame. En effet, Paul Hissier qui devait venir avec sa femme, arriva seul informant Jeanne que sa moitié était malade et qu’elle ne se joindrait pas à nos agapes. Jeanne Alise fut pétrifiée avant de s’effondrer. Mais s’il manquait un invité, cela voulait dire que nous serions treize à table… Impossible, çà porte malheur !!!

Son soufflé  se rétamerait comme une vieille galette, son gigot d’agneau de pré-salé qui lui avait couté un bras serait trop cuit et dur comme chicotin…

Pendant que notre hôte poussait des cris d’orfraie, fondait en larmes de crocodile, je pensais à Grimod de la Reynière, roi des amphitryons et des gourmets. Alors qu’il lui arriva la même aventure, il dit à la maîtresse de maison :

-A table, il ne faut pas craindre le nombre treize que s’il n’y a à manger que pour douze …

Pour nous, il n’y avait rien à craindre : Jeanne avait prévu pour quatorze et nous ne serions que treize.

Finalement Mona, le fer à cheval que vous aviez dans votre sac a sauvé notre soirée et nous a permis de déguster un dîner de qualité. J’ai même eu deux parts de dessert… Merci Madame Paul Hissier. Et puis, le Pinot Blanc 2007 du Domaine Blanck se mariait si bien avec le soufflet de brochet. Un bien joli vin que nous rentrerons dans notre cave, ma Chère Mona !

L’avaleur des mets

Le baron Léon Brisse (1813-1876) est un gastronome célèbre sous le Second Empire. Il avait commencé une carrière au sein de l’office des Eaux et Forêts. Il quitta sa Provence natale pour monter à Paris et devint journaliste. C’est lui qui eut l’idée d’une rubrique gastronomique dans le journal auquel il collaborait, «La Liberté». Chaque jour, il faisait paraître un menu, et cela aboutit tout naturellement à un livre «Les trois cent soixante-cinq menus du baron Brisse», publié en 1867.

Gourmand devant l’Eternel, il était si gros qu’il devait payer double place dans les diligences et son embonpoint était encore accru des victuailles diverses qu’il fourrait dans ses poches. «Son chapeau lui servait même à l’occasion de garde-manger.». A son corps défendant, il faut dire qu’il avait épousé une maîtresse-queux : la cuisinière de Rossini…

Il fut, avec Grimod de la Reynière, Monselet et Joseph Favre, un des premiers journalistes gastronomiques et participa largement à la diffusion de recettes notamment avec un livre de «Cuisine à l’usage des ménages bourgeois et des petits ménages» sorti en 1868.

On lui a souvent reproché de ne pas savoir cuisiner, et ses recettes sont parfois fantaisistes, voire irréalisables, comme la macreuse[1] au chocolat. Je vous laisse juge en reprenant la recette telle qu’il l’a publiée :

Macreuse au chocolat : après avoir vidé la macreuse, la laver dans de l’eau de vie et la faire revenir sur la braise ; la cuire ensuite dans un vase de terre avec addition de vin blanc, sel, poivre, laurier et fines herbes. On a du chocolat préparé à la manière ordinaire ; on le verse sur la macreuse, et on sert.

A la fin de sa vie, il prit pension à Fontenay-aux-Roses, chez l’aubergiste Gigout, et c’est là qu’il mourut, juste avant de se mettre à table le 13 juin 1876, ce qui ne coupa nullement l’appétit aux autres convives, dont Monselet qui, après un moment d’émoi, eut l’horrible sang-froid de déclarer :

« Passons à table tout de même, il n’a jamais aimé les fricots[2]trop cuits. »

Chaque année, à la date anniversaire de sa mort, ses amis faisaient, toujours chez Gigout, un dîner en dressant le couvert du baron Brisse. Son nom est attaché à un certain nombre de recettes qui elles peuvent être cuisinées…

Mona, je pense que Léon aurait aimé nous voir déguster un joli flacon. Soyons fous, je vous verse une Grande Grue Glacée 2009 de François Villard. Ce merlot a des arômes confiturés, une belle harmonie en bouche.


[1] Espèce de canard plongeur marin
[2] Terme populaire pour désigner un ragoût

Bouche de goût

Nous avons eu l’occasion de vous parler dans ces lignes de Napoléon qui n’aimait pas rester à table. Il avait chargé Talleyrand des réceptions. On ne peut oublier qu’il avait demandé la même chose à Cambacérès. Les deux hommes se divisèrent les dîners officiels. Pour ce faire, Talleyrand s’appuyait sur un cuisinier hors-pair du nom de Carême.

La tombe du Marquis ?

Cambacérès, lui, faisait confiance à son officier de bouche, Monsieur d’Aigrefeuille. Ce dernier accompagnait partout son maître et de plus faisait office de «goûteur». Non que le Consul eût peur d’être empoisonné, mais il demandait à Aigrefeuille son avis sur un nouveau mets avant d’en manger. Célèbre gourmand, Monsieur d’Aigrefeuille était connu pour ses dons de bouche extraordinaires. Son art de découpeur était si consommé qu’il réussissait à cacher dans un coin du plat, sous les autres tranches, le morceau de son choix, pour le retrouver quand venait le moment pour lui de se servir.

Son aura était telle que Grimod de la Reynière, le célèbre amphitryon, lui dédia le premier exemplaire de son «Almanach des Gourmands». Il reçut également le titre très envié de «Roi des Gourmands».

Dans ses mémoires[1], la Baronne de Saint Estève, née de Vacharde peint le personnage :
«Le marquis d’Aigrefeuille, Chevalier de Malte, ancien procureur à la cour des aides de Montpellier, un gros homme de petite taille, vient de se faire faire une épée de prestige. Suspendue à son énorme ventre, celle-ci ressemble en fait à une broche !».

En 1814, juste avant la chute de l’Empire, le Marquis d’Arfeuille, fut congédié par Cambacérès. Il s’était aperçu que son protégé était un espion de Fouché, ministre de la police de l’Empereur. L’officier de bouche se retrouva rapidement sans ressources suffisantes pour continuer à faire bombance. Sa chute lui valut le couplet d’une chanson de rue :

 «  D’Aigrefeuille, de Monseigneur
Ne pouvant plus piquer l’assiette,
Pour en témoigner sa douleur
A mis un crêpe à sa fourchette »

 Mona, quand je lis des trucs comme çà, j’ai soif. J’ai les amygdales qui sèchent. Vite, ouvrez donc ce flacon qui va nous faire vibrer. Pour une libation, direction le Liban : Château Musar 2002 est un vin extraordinaire. Après un passage obligatoire en carafe, ce breuvage vous mènera vers un univers de plaisir.


[1] Bruits de Cour et Potins Mondains 1805 -1809

Faîtes chauffer l’alcool

La table Française est hantée par deux grandes figures de la fin du XVIII° : Brillat-Savarin et Grimod de la Reynière. Je dois vous dire que j’ai toujours eu un faible pour le second. Plus Epicurien, tu meurs ! Et je crois que le bougre doit se retourner dans sa tombe quand il voit avec quelle vitesse tout fout le camp en matière de gastronomie au pays des Gaulois. Bien sûr, il reste quelques temples que le monde entier vient fréquenter, mais que de lieux où seuls les plats de l’industrie agro-alimentaire ont droit de cité : restaurants indignes de porter leur enseigne ; maisons vendues à Picard et consorts…

Ce jour, je vais aborder un sujet que seuls les plus anciens d’entre nous ont connu : le trou normand. Jusque dans les années 1970, il n’était pas concevable de ne pas boire un « coup de calva » au milieu du repas. Ce verre avait pour fonction de faciliter la digestion. De nos jours, tout çà est fini. C’est au mieux une glace à la pomme qui est servie.  Pauv’ Grimod.


Dans « L’Almanch Gourmand ou l’art de bien vivre » Alexandre-Balthazar fait l’éloge de ce qu’à l’époque on nommait le « coup du milieu » :

Un petit verre de vin de Madère ou d’absinthe, que l’on avale entre deux services pour précipiter la digestion. Mr Armand-Gouffé a fait une fort jolie chanson sur ce coup du milieu:

Nos bons aïeux aimaient à boire :
Que pouvons-nous faire de mieux ?
Versez, versez, je me fais gloire
De ressembler à mes aïeux.
Entre le Chablis que j’honore,
Et l’Aï dont je fais mon dieu,
Savez-vous ce que j’aime encore?
C’est le petit coup du milieu.

Je bois quand je me mets à table,
Et le vin m’ouvre l’appétit ;
Bientôt ce nectar délectable
Au dessert m’ouvrira l’esprit.
Si tu veux combler mon ivresse,
Viens, Amour, viens, espiègle dieu,
Pour trinquer avec ma maîtresse
M’apprêter le coup du milieu.

Et, quelques lignes plus loin, il nous propose ces vers

Ce joli coup, chers camarades,
A pris naissance dans les cieux;
Les dieux buvaient force rasades;
Buvaient enfin comme des dieux.
Les déesses, femmes discrètes,
Ne prenaient point goût à ce jeu :
Vénus, pour les mettre en goguettes,
Proposa le coup du milieu.

Aussitôt cet aimable usage
Par l’Amour nous fut apporté
Chez nous son premier avantage
Fut d’apprivoiser la beauté :
Le sexe, a Bacchus moins rebelle,
Lui rend hommage en temps et lien,
Et l’on ne voit pas une belle
Refuser le coup du milieu.

Buvons à la paix, à la gloire ;
Ce plaisir nous est bien permis ;
Doublons les rasades pour boire
A la santé de nos amis.
De Momus, disciples fidèles,
Buvons à Panard, à Chaulieu ;
Mais pour la santé de nos belles
Réservons le coup du milieu.

Fasse que nous n’oublions pas : nous sommes les héritiers d’Alexandre-Balthazar ; aussi n’abandonnons pas tout ce qui fait notre identité…
Bon Mona, impossible d’y échapper. Nous allons boire un Madère, mais un vrai ; pas un de ces trucs qui ne servent qu’à dissimuler l’odeur de pisse des rognons de porc mal lavés.

Mona, amenez deux verres, je vous prie et goûtez moi ce Barbeito Verdelho Reserve. Un bouquet mêlant miel, vanille et amandes. Une finale en bouche d’une longueur exceptionnelle.


Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière

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Quand on est Epicurien, certains auteurs sont des incontournables. Bien sûr, Brillat-Savarin [1] reste le plus connu. Son ouvrage « Physiologie du Goût » est publié sans interruption depuis sa parution en 1825.

Mais, c’est un de ses contemporains qui retient mon attention. Sa truculence, sa démesure en font un Epicurien hors norme.

Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière est né en 1758 à Paris, d’un père fermier général [2]. Dans sa famille, le culte de la bonne chère est inscrit : ne dit-on pas que son grand père est « mort au champ d’honneur en s’empiffrant d’un pâté de foie gras ».

Un soir, le père de Grimod de la Reynière rentre dans une auberge. Il commande une dinde, on lui indique qu’il n’y en plus. Quelqu’un vient de passer commande de la totalité des volatiles. Il voit sept belles pièces qui tournent sur la broche. Il reconnaît le client : c’est son fils Alexandre. Le père s’étonne de l’appétit de son rejeton. Ce dernier lui déclare : « vous m’avez toujours dit, Monsieur, que dans ce volatile, seul le sot-l’y-laisse [3] méritait quelque attention »; ce à quoi le père répond, « votre pratique est un peu dispendieuse pour un jeune homme, mais on ne peut pas dire qu’elle soit déraisonnable ».

Avocat, c’est à table qu’il se rend célèbre. Il organise des farces macabres : un jour, il invite les fournisseurs de son père à un dîner : à la place du père, siège un énorme cochon, revêtu de l’habit d’apparat de son père [4]. Un autre jour, il invita ses collègues avocats et les fit servir par des anciens repris de justice, habillés en galériens et tirant à leurs pieds un boulet… de fromage de Hollande.

En 1803, il édite un livre : « l’Almanach des Gourmands ». Chaque année, jusqu’en 1812, l’almanach fera le bonheur des Amphitryons [5]. On y trouve des critiques sur les restaurateurs et autres professions de bouche, écrites avec humour.

158_grimodEn 1808, parait le « Manuel des Amphitryons » qui est un traité sur l’art de bien manger et de bien recevoir.
Pour les amateurs, ces ouvrages sont encore régulièrement édités.

L’année suivante, il réunit un groupe d’amis pour créer les « jurys dégustateurs ». Chaque semaine,  ils se réunissent au Rocher de Cancale, célèbre restaurant. Ils goutaient les mets que les restaurateurs apportaient. Le jury décernait des appréciations sur les plats, les baptisait d’un nom souvent pompeux ou poétique. Les professionnels affichaient les certificats des jurys dégustateurs, ce qui pouvait leur permettre d’augmenter leur renommée. Suite à des procès intentés par des restaurants mal notés, les dégustateurs cessèrent leurs activités en 1812.

Un dernier coup d’éclat de Grimod de la Reynière, le 7 juillet 1813 : il  invita les membres des jurys dégustateurs avec un faire-part qui les conviait au dîner de ses propres funérailles. Il les reçut assis sur un catafalque avant de partager avec eux un repas pantagruélique.

Puis, il se retira dans son château de Villiers-sur-Orge, et mena une existence plus discrète, durant 25 ans, ,jusqu’à sa mort.

Grimod de la Reynière est un précurseur. On peut dire qu’il inventa la critique et la littérature gastronomique.

Mona, pour rendre hommage à Alexandre, un seul mot : Champagne !!!
Oui, je sais, c’est beau. Mais çà ne doit pas vous empêcher de sortit des flutes.


[1] Jean Anthelme Brillat-Savarin, (1755-1826) est un illustre gastronome.

[2] Financiers de l’Ancien régime en charge de collecter les impôts.

[3] Morceaux de choix des volailles.

[4] Le père avait fait fortune dans le commerce du cochon.

[5] Hôte qui offre à dîner.

Asperge moi de térébenthine

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Nous sommes en pleine saison des asperges. Je les aime beaucoup. Aussi, bien que deux articles lui aient été consacrés lors des derniers jours (le 4 et le 5 mai), je ne résiste pas au plaisir de vous relater quelques anecdotes savoureuses à son sujet.

Grimod de La Reynière, parle de ses propriétés aphrodisiaques : « Ce légume ne convient qu’aux riches parce qu’il n’est pas substantiel et légèrement aphrodisiaque. C’est un manger délicat ».

Si dans les guides de savoir vivre, il est permis de la manger à la main, on lit dans le « Manuel de civilité pour les petites filles », paru dans les années 1930 : « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire ».

Le fameux pot de chambre

Marcel Proust, dans « A la recherche du temps perdu », parle à plusieurs reprises de l’asperge. Il souligne notamment le parfum que prennent les urines après un plat d’asperges :

« Mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,-encore souillé pourtant du sol de leur plant,-par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »

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Le marquis de Cussy, préfet du palais de l’empereur Napoléon 1er, avait invité sa jeune maîtresse à une partie de campagne. Elle s’excusa en disant qu’elle devait se rendre à une fête familiale. Gourmand, le marquis alla aux Halles en vue de faire un bon déjeuner. Il vit deux bottes d’asperges, les seules arrivées du jour asperges-achatdans la capitale. Il voulut les acheter, mais il fut devancé par quelqu’un. Décidément, ce n’était pas son jour…
Le soir, sa maîtresse était de retour. Elle raconta avec moult détail sa journée. Au moment de l’étreinte, la jeune femme se soulagea d’un besoin naturel. C’est alors que le marquis s’énerva :
Julie ! Julie ! Tu me trompes !
– Mais enfin Louis, comment pouvez-vous penser cela ?
– Où as-tu déjeuné ?
– Chez ma mère… je vous l’ai dit.
– Ne me mens pas ! Tu as mangé chez l’ambassadeur d’Espagne.
– Mais…
– Oh, arrête, je sais que dans tout Paris, il n’y avait que deux bottes d’asperges. Et c’est son maître d’hôtel qui les a achetées devant moi ce matin. Or, le parfum de tes urines indique avec certitude que tu as mangé des asperges il y a peu de temps.

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Que ce soit Marcel ou Julie, ils auraient dû lire le « Nouveau Dictionnaire de Médecine » qu’avait publié au début du XIX° siècle, le Docteur Béclard, qui fut membre de l’Académie Royale de Paris. Il écrit :
« L’asperge communique à l’urine une mauvaise odeur qu’on change en celle de la violette par l’addition de quelques gouttes de térébenthine.« 

Donc Marcel, vous eussiez connu le truc, point d’odeurs désagréables dans votre chambre. Quant à vous, Julie, vous eussiez pu jouer des castagnettes  et croquer l’asperge espagnole sans risque de vous faire pincer…..

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Finissons (temporairement ?) notre balade au pays de l’asperge avec Charles Ephrussi. C’est un riche collectionneur d’art qui fréquente les ateliers de Degas, Manet, Monet, Renoir… et leur achète régulièrement des toiles.

En 1880, il commande à Manet un tableau représentant une botte d’asperges. Ephrussi est si content du tableau qu’au lieu de verser les 800 francs convenus, il envoie 1.000 francs à l’artiste. Ce dernier, en remerciement, lui adresse un second tableau, représentant une seule asperge. Manet lui aurait dit que pour ce prix là, il devait manquer une asperge dans la botte.

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Les deux tableaux de Manet (1880)

En attendant, régalez vous de blanche, de verte et de violette…

Votre Mona se perge