Assise sur mon gagne-pain

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Comme beaucoup de jeunes femmes, j’ai pleuré en lisant la Dame aux camélias. Le texte d’Alexandre Dumas fils fut, est et restera une des lectures les plus prisées de la gente féminine. Ce roman de 1848 relate l’amour d’un jeune bourgeois pour une courtisane. Le succès fut tel qu’Alexandre en fit en 1852 une pièce de théâtre qui remporta un énorme triomphe. Dans la préface, l’auteur nous livre qui se cache derrière son personnage principal :

La personne qui m’a servi de modèle pour l’héroïne de la Dame aux camélias se nommait Alphonsine Plessis, dont elle avait composé le nom plus euphonique et plus relevé de Marie Duplessis. Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde; on eut dit une figurine de Saxe. En 1844, lorsque je la vis pour la première fois, elle s’épanouissait dans toute son opulence te sa beauté. Elle mourut en 1847, d’une maladie de poitrine, à l’âge de vingt-trois ans.
Elle fut une des dernières et des seules courtisanes qui eurent du cœur. C’est sans doute pour ce motif qu’elle est morte si jeune. Elle ne manquait ni d’esprit, ni de désintéressement. Elle a fini pauvre dans un appartement somptueux, saisi par ses créanciers. Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût, marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du monde. Aujourd’hui, on s’y tromperait continuellement. Elle avait été fille de ferme. Théophile Gautier lui consacra quelques lignes d’oraison funèbre, à travers lesquelles on voyait s’évaporer dans le bleu cette aimable petite âme qui devait, comme quelques autres, immortaliser le péché d’amour.

Alexandre Dumas a fait de cette courtisane une icône de l’amour désintéressé. Mais la réalité de l’époque est bien différente.

Revenons à Marie Duplessis. Son père la vend alors qu’elle a 14 ans à un septuagénaire débauché. Montée à la capitale, elle fut ouvrière et pour augmenter son maigre revenu, elle devint grisette. Ce terme trouve son origine dans la couleur de la robe que portaient les femmes travaillant dans la couture et qui offraient leurs charmes au sortir des ateliers. Fort belle elle grimpa dans la hiérarchie en devenant lorette. Ce statut lui permettait de changer de monde et de quitter le prolétariat pour des hommes un peu plus aisés. Mais Marie par ses talents devint vite une courtisane. Ces femmes accédaient aux beaux quartiers et étaient assurés de monnayer leurs charmes contre la fortune. Ainsi au faîte de sa gloire, ses tarifs étaient si élevés que sept amants durent même partager les frais pour utiliser à tour de rôle ses services. Alexandre Dumas fut son amant durant deux ans.

Cerise sur le gâteau, elle devint Comtesse de Perregaux en 1846. Auréolé de ce titre, elle quitte son mari pour retrouver sa vie dissolue. Mais elle est atteinte de tuberculose et à l’âge de 23 ans, abandonnée de tous, ruinée, elle décède. Son corps est jeté dans une fosse commune. Le Comte de Perregaux, bon prince, la fait translater au cimetière du Montparnasse.

Mais elle restera à jamais la Dame aux camélias et la Violetta Valéry de la Traviata de Verdi, opéra grandiose créé dès 1853.  

Mona pas de fleurs en ce moment…

L’agagadémie française

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Mona élue sur le tard… Dommage

En rentrant à l’Académie Française, on devient immortel mais pas forcément grand clair. Voltaire constatait que c’était  » Un corps où l’on reçoit des gens titrés, des hommes en place, des prélats, des gens de robe, des médecins, des géomètres… et même des gens de lettres ! ».

Ces Messieurs oublièrent entre autres Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Eugène Sue, Alexandre Dumas père, Emile Zola … qui fut pourtant candidat à 24 élections. Quant au monument de la littérature française, Victor Hugo, il dut s’y prendre à quatre fois avant d’être élu le 7 janvier 1841 et de justesse par 17 voix sur 32 votants. Pour l’histoire, je vous indique le nom de ceux qui furent élus contre lui : Dupaty, Mignet et Flourens. Que des hommes qui ont laissé leur nom dans l’histoire !

Mais le grand recalé restera Honoré de Balzac. Soutenu par Hugo, il adresse sa lettre de candidature en 1849 :

J’ai l’honneur de vous prier d’annoncer à MM. les membres de l’Académie française que je me mets sur les rangs comme candidat au fauteuil vacant par la mort de M. le vicomte de Chateaubriand.
Les titres qui peuvent me mériter l’attention de l’Académie sont connus de quelques-uns de ses membres, mais, comme mes ouvrages, ils sont si nombreux que je crois inutile de les énumérer ici. Plusieurs des membres actuels de l’Académie voudront-ils bien se rappeler les visites que j’ai eu l’honneur de leur faire lors d’une première candidature, de laquelle je me suis désisté devant la proposition de M. Hugo par feu Charles Nodier, et ce fut, à cette occasion, monsieur le Secrétaire perpétuel, que j’eus l’honneur de vous voir. Cette observation n’a d’autre but que de déclarer à l’Académie que cette fois je poursuivrai ma candidature jusqu’à l’élection, plusieurs des membres de l’Académie ayant eu la bonté de me dire que, pour être élu, il fallait avant tout se présenter.
Je saisis cette occasion, monsieur le Secrétaire perpétuel, de vous présenter les hommages dus à toutes vos supériorités, et j’ai l’honneur de me dire, en toute obéissance, votre très humble serviteur.

Balzac n’obtint que deux voix dont celle de Totor. Le 29 août 1850, c’est Hugo qui fit l’éloge funèbre de Balzac. Il y dit notamment : « Aujourd’hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines. Il entre, le même jour, dans la gloire et le tombeau.« 

Pour finir ce texte, laissons la parole à Clémenceau : « Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie française« . Dur le Tigre !

Ma Chère Mona, votre prose vous vaudra-t-elle l’habit vert ? Je ne la sais, mais  si vous êtes élue, votre prose, lui, affolera les Immortels. Bon, on va arroser de suite votre future élection en buvant un Bordeaux blanc 2011 : Fleur Amandine du Château Dubois-Challon. Pascal Delbeck, grand vinificateur devant l’Eternel nous propose un très joli vin idéal de l’apéritif aux entrées de la mer et aux poissons et fromages. Un régal !

T’es Dumas-tin ?

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L’auteur des Mousquetaires était un fameux tireur. On lui connait nombre de maîtresses et d’enfants naturels. Certains disent qu’il multipliait les amours par humanité craignant qu’une seule femme ne puisse résister plus de huit jours à ses assauts amoureux insatiables. Il faut dire qu’il était grand, fort et avec de beaux yeux bleus de couleur saphir dont ils avaient l’éclat, lorsque son intelligence les animait. Ouah !

En 1840, Alexandre Dumas Père épousa une comédienne, Ida Ferrier qui le trompa largement autant qu’elle le fut elle-même.

Rapidement, ils firent appartement à part chacun à un étage. Descendant à l’improviste un soir, il trouva sa femme endormie. Il s’installa pour écrire près de la cheminée et entendit un éternuement en provenance de l’armoire. En ouvrant, il découvrit son ami Roger de Beauvoir, qui fut son témoin de mariage, en tenue fort légère. Malgré la surprise, il l’invita à se réchauffer près du feu. La nuit était bien avancée. Dumas alla se coucher en proposant un fauteuil et une couverture à son ami. Mais celui-ci continuait à éternuer. Dumas l’invita à se coucher dans le lit nuptial auprès d’Ida qui faisait toujours semblant de dormir.
Dumas passant la main par-dessus le corps de son épouse, attrapa celle de Beauvoir et posa les deux mains sur le joufflu de Madame en disant :
«Allons, faisons comme les anciens Romains, réconcilions-nous sur la place publique!».
Beau joueur, le grand Alexandre. Il n’empêche, en 1844 … les époux Dumas se séparèrent.

Ah, ma chère Mona, c’est beau l’amitié. Et comme vous êtes mon amie, je vous invite à goûter ce Château de Respide 2009. Un bon Graves rouge aux jolis tanins et aux arômes de fruits rouges.

Nuit de noces au bord d’elle…

Au soir des noces du Duc de Berry, futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette, le Roi Louis XV retint Monsieur de la Vauguyon, précepteur des enfants de France. Ce dernier avait en charge trois garçons : outre le Duc de Berry, il officiait auprès du Comte de Provence, futur Louis XVIII, et du Comte d’Artois, futur Charles X. Mais une partie importante de sa mission s’éteignait avec ce mariage princier.

Louis XV félicita le précepteur pour l’éducation donnée aux jeunes princes et fit un point sur les divers centres d’intérêt du futur Roi.

Puis, il lui demanda si le jeune marié savait ce qu’il devrait faire dans la chambre nuptiale. Le précepteur, gêné, rappela que ce cours n’était pas prévu dans le programme.

Louis XV informa qu’au moment de son mariage, lui-même n’avait aucune connaissance sur le sujet et confia à de la Vauguyon qu’au moment de rentrer dans la chambre, il avait traversé lentement un long couloir parsemé de petits tableaux qu’il avait pu admirer :

—Vous comprenez ?
— Non, sire.
— Comment dirai-je cela? Des scènes champêtres.
— Dans le genre des tableaux de Teniers, alors…
— Mieux que cela, primitives.
— Primitives?
— Naturelles… Je crois que j’ai enfin trouvé le mot ; vous comprenez, cette fois ?
— Comment! s’écria M. de la Vauguyon rougissant, on osa présenter à Votre Majesté?…
— Et qui vous parle de me présenter quelque chose, duc?
— Mais pour que Votre Majesté pût voir…
— Il fallait que Ma Majesté regardât ; voilà tout.
— Eh bien?
— Eh bien, j’ai regardé.
— Et…?
— Et comme l’homme est essentiellement imitateur… j’ai imité.
— Certainement, Sire, le moyen est ingénieux, certain excellent, quoique dangereux pour un jeune homme.
Le roi regarda le duc de la Vauguyon avec ce sourire que l’on eût appelé cynique s’il n’eût glissé sur la bouche la plus spirituelle du monde.
— Laissons le danger pour aujourd’hui, dit-il, et revenons à ce qui nous reste à faire.
— Ah!
— Le savez-vous?
— Non, Sire, et Votre Majesté me rendra bien heureux en me l’apprenant.
— Eh bien, le voici : vous allez aller trouver Monsieur le Dauphin.
— Oui, sire.
— Vous vous munirez d’un bougeoir, et vous le prendrez à part.
— Oui, Sire.
— Vous indiquerez à votre élève, — le roi appuya sur les deux mots, — vous indiquerez à votre élève que sa chambre est située au bout du corridor.
— Je veux bien vous dire, à vous, monsieur le duc, continua le roi, que cette galerie renferme une vingtaine de tableaux que j’ai fait placer là.
— Ah! Sire, oui, oui.
— Oui, monsieur le duc; vous embrasserez votre élève, vous lui ouvrirez la porte du corridor, vous lui mettrez le bougeoir à la main, vous lui souhaiterez le bonsoir, et vous lui direz qu’il doit mettre vingt minutes à gagner la porte de sa chambre, une minute par tableau.
— Ah! Sire, je comprends.
— C’est heureux. Bonsoir, Monsieur de la Vauguyon.

Ce que Louis XV ne pouvait imaginer, c’est qu’il faudrait sept ans au Dauphin pour arriver à ses fins.

Mona pas eu besoin d’images ou de sept années. Et vous ?

Cep possible

Jusqu’au XVIII° siècle, le vignoble francilien était le plus important de France avec ses 42 000 ha plantés. Le phylloxéra, l’urbanisation et la facilité d’accès aux vignobles de « meilleure qualité » (Loire, Bourgogne, Bordeaux…) eurent raison de la vigne. Après avoir fourni la cour royale, les derniers pieds furent arrachés au milieu du XX° siècle.

Depuis quelques années, on replante en Ile de France. Ce sont les vignes de Montmartre qui restent les plus connues. Mais c’est à Argenteuil, Suresnes que l’on plante.

Le vin de Suresnes eut pendant longtemps une réputation extraordinaire. Cette célébrité remonte au XVII° siècle.

Alexandre Dumas estime que cette renommée est due à une confusion : Henri IV appréciait particulièrement un vin du Vendômois issu d’un cépage du nom de Suren. Le Roi aimant, toute la Cour en but et la renommée du Suren était établie. Par contre, Louis XIII, fils d’Henri, n’eut pas le même penchant pour ce vin. Le Suren tomba dans l’oubli.

Quelques décennies plus tard, on prêta à Suresnes ce qui appartenait à Suren…

Savez vous, ma chère Mona, que le vin de Suresnes est à ce jour le seul « parisien » à être commercialisé. Dommage, je n’en ai pas sous la main. Mais je vous invite à tester un vin de Chateaumeillant. Cette petite appellation au sud de Bourges produit des vins plutôt légers mais fruités à souhait. Le Domaine du Chaillot 2008 est une invitation au printemps.

Les aigris restent

Au château de Fontainebleau, l’académicien Prosper Mérimée propose à la noble assistance une dictée qui fera date dans l’histoire du français. Est-ce-vrai ? On ne le sait. Ce qu’on sait, c’est que Napoléon III et l’impératrice Eugénie aimaient les jeux et l’orthographe.

Si vous voulez faire cette dictée, cliquez sur ce lien et ne regardez pas la suite… Un lecteur vous la proposera à la manière des instituteurs du bon vieux temps.


On dit que  Sa Majesté l’empereur fit 75 fautes; Sa Majesté l’impératrice: 62; la princesse de Metternich: 42; M. Alexandre Dumas: (de l’Académie française): 24. Et le prince de Metternich (ambassadeur d’Autriche) ne fit que 3 fautes.
Alexandre Dumas, se tournant vers le prince, lui demanda : «Quand allez-vous, prince, vous présenter à l’Académie pour nous apprendre l’orthographe?»

Voici le texte de la dictée dont on entend régulièrement parler mais qu’on connait rarement.

Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier. Quelles que soient et quelqu’exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés, une dysenterie se déclara, suivie d’une phtisie.
– Par saint Martin, quelle hémorragie, s’écria ce bélître ! À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière.

Je ne vous livrerai pas une correction commentée, mais étant sur un site épicurien, je relèverai simplement la différence entre « cuisseaux de veau » et « cuissots de chevreuil » : le cuisseau est la partie du veau dépecé, du dessous de la queue au rognon alors que le cuissot est réservé pour désigner la cuisse du gros gibier.

Mona pas fait de fautes à la dictée de Mérimée … puisqu’elle ne l’a pas faite… et vous ?

Tue la

Nous sommes en mai 1872, Dubourg rentre chez lui. Il habite le quartier Latin, rue des Ecoles (Paris, 5°arrondissement). Il trouve sa jeune femme, Louise 22 ans, au lit avec un homme. Son sang ne fait qu’un tour, il attrape une épée qui décore le salon et en larde généreusement son épouse.

Il le fait sans crainte de la justice. En effet, à l’époque (pas si lointaine), « le mari outragé a le droit de se faire justice lui-même ab iratio[1]« .

De grands noms de la littérature donnent leur avis ainsi Alexandre Dumas, dans « l’homme et la femme (1872) » écrit :

Si rien ne peut l’empêcher de prostituer ton nom avec son corps, déclare-toi personnellement le juge et l’exécuteur de cette créature. Ce n’est pas la femme, ce n’est même pas une femme ; elle n’est pas de conception divine, elle est purement animale; c’est la guenon du pays de Nod[2], c’est la femelle de Caïn ; TUE-LA !

Zola s’insurge :

M. Dumas nous crie, d’une voix de croquemitaine : « Si ta femme te trompe, tue-là ».
« Tue-là », c’est bête. .. C’est un homme audacieux, diable! Il vous dit de tuer, lui, sans toutes les sensibleries d’usage. Ah! ce grand innocent, vous avez pesé votre pavé, vous l’avez taillé pendant deux mois, vous en avez calculé la chute.
Eh non! vous êtes « bébête » avec vos gros yeux.
La question de la femme, l’éternelle lutte du féminin et du masculin, comme dit Mr Dumas, n’a de solution que dans l’usage commun de la vie. On pardonne, on tue selon son tempérament, sans que les législateurs ni les moralistes puissent intervenir. C’est le drame humain.
Mais il y avait, vous devez le comprendre un certain ragoût à conseiller le meurtre. Ce philosophe qui tue est la coqueluche des bourgeois bien mis.
Mon jugement est sévère, je le sais : ce n’est ni un penseur ni un écrivain original. Il a un style absolument factice, manquant de véritable haleine, empruntant une fausse chaleur à tout un système de phrases exclamatives. On lui a fait dans la littérature contemporaine une place mensongère, où il ne se tient que par le gonflement de toute sa personne, il en descendra vite.

Finalement le meurtrier Dubourg sera condamné à cinq ans de prison. En effet, on découvrira qu’il avait contraint sa femme à partager sa couche avec sa maîtresse. Dans les attendus du jugement, on peut lire que le mari « avait poussé dans la voie de la démoralisation avant de prétendre se venger. »

Mona pas de mari, heureusement ?


[1] Cette locution latine désigne l’acte réalisé de façon irréfléchie, sous l’effet de la colère ou de la folie.

[2] Le lieu, d’après le livre de la Genèse,  situé à l’Est d’Éden où aurait fui Caïn après avoir tué son frère Abel.

Patates coté cour ou coté jardin ?

francillon

Rien de plus banal qu’une salade de pommes de terre me direz vous ! Et pourtant ce plat peut devenir mets de choix lorsqu’il est bien apprêté. En janvier1887, la salade de pommes de terre fait son entrée officielle à la Comédie Française grâce à Alexandre Dumas fils.  Dans sa nouvelle pièce Francillon, il fait saliver le public en laissant une docte cuisinière énoncer la recette :

ANNETTE.   Alors, M. de Symeux, si vous voulez prendre une plume et de l’encre, je vais vous dicter ma recette sur l’air que joue Francine. Mais vous m’assurez que cette communication ne sera faite qu’à des personnes dignes de la comprendre et de l’apprécier.
HENRI.   C’est pour maman. Excusez-moi de dire encore maman à mon âge; mais, comme je vis avec elle, j’ai gardé cette habitude d’enfance.
ANNETTE.   Je ne vous excuse pas, Monsieur, je vous félicite; et moi qui n’ai plus ma mère, je vous envie.
HENRI   Je suis à vos  ordres, Mademoiselle.
ANNETTE.   Vous faites cuire des pommes de terre dans du bouillon, vous les coupez en tranches comme pour une salade ordinaire, et, pendant qu’elles sont encore tièdes, vous les assaisonnez de sel, poivre, très bonne huile d’olives  à goût de fruit, vinaigre…
HENRI.   A l’estragon?
ANNETTE.   L’Orléans vaut mieux : mais c’est sans grande importance ; l’important, c’est un demi verre de vin blanc, château Yquem, si c’est possible. Beaucoup de fines herbes, hachées menu, menu. Faites cuire en même temps, au court bouillon, de très grosses moules avec  une branche de céleri, faites-les bien égoutter et ajoutez les aux pommes de terre déjà assaisonnées. Retournez  le tout légèrement.
THÉRÈSE.   Moins de moules que de pommes de terre?
ANNETTE.   Un tiers de moins. Il faut qu’on sente peu à peu la  moule; il ne faut ni qu’on la prévoie ni qu’elle s’impose.
STANISLAS.   Très bien dit.
ANNETTE.   Merci, Monsieur. Quand la salade est terminée, remuée…
HENRI.   Légèrement…
ANNETTE.   Vous la couvrez de rondelles de truffes, une vraie calotte de savant.
HENRI.   Et cuites au vin de Champagne.
ANNETTE.   Cela va sans dire. Tout cela, deux heures avant le diner, pour que cette salade soit bien froide quand on la  servira.
HENRI.   On pourrait entourer le saladier de glace.
ANNETTE.   Non, non, non. Il ne faut pas la brusquer ; elle très délicate et tous ses arômes ont besoin de se combiner tranquillement. Celle que vous avez maniée aujourd’hui était-elle bonne?
HENRI.   Un délice!
ANNETTE.   Eh bien, faites comme il est dit et vous aurez le  même agrément.
HENRI.   Merci, Mademoiselle. Ma pauvre maman, qui ne sort  guère et qui est un peu gourmande, vous sera extrêmement reconnaissante.
ANNETTE.   A votre service. J’ai encore bien d’autres régalades de ma composition; si elles peuvent être agréables à Madame votre mère, je lui en porterai moi-même les recettes, et j’en surveillerai l’exécution, la première fois,  à moins que votre chef n’ait un trop mauvais caractère…
HENRI.   C’est une cuisinière.
ANNETTE.   Nous nous entendrons alors comme il convient entre  femmes. Quand vous voudrez. Maintenant, Messieurs, il ne me reste plus qu’à vous faire ma plus belle révérence.

C’est nous ma chère Annette qui vous sommes reconnaissants. Et votre verre d’Yquem me donne envie. Comme disait Frédéric Dard à propos d’Yquem « c’est de la lumière bue ».

Mona bu le demi verre qui restait et c’était bien bon.