A lire : L’ivre mort

J'ai même pas trouvé de Gamma GT. Et pourtant, j'ai bien cherché...

J’étais assis dans la salle d’attente d’un médecin qui me prescrirait une prise de sang pour surveiller mon taux de cholestérol, d’acide urique et mes gamma GT (gamma glutamyl-transpeptidase) ; en un mot tous ces dysfonctionnements liés à ceux qui aiment bonne chère et bons vins. Je feuillettais une revue. Comme souvent, ce sont des numéros plutôt anciens dont la couverture manque et qui ont été tripotés par de nombreuses mains plus ou moins fébriles et malades… Donc, disais-je, je parcourais distraitement le Point de novembre 2010 (message personnel : Doc, il serait temps de renouveler vos revues). C’est à cette époque que Michel Houellebecq avait décroché le Goncourt pour son roman : La carte et le territoire. Je dois vous avouer que je n’ai pas lu ce best-seller, mais cet article m’a beaucoup fait rire…

Page deux cent quarante-sept, Patrick Le Lay[1], ancien directeur général de TF1, s’étale ivre mort sur les pavés de l’hôtel particulier de Jean-Pierre Pernaut. Il vient de boire au goulot une bouteille de Chateauneuf-du-Pape, d’agonir son hôte d’insultes grossières et rampe, le front ensanglanté, sous l’œil navré des autres convives. La scène est désopilante.Moins cependant que celle qui a lieu, dans la réalité, quelques semaines après la sortie du livre de Michel Houellebecq. Consacré en littérature comme le dernier des pauvres types, Patrick Le Lay, le vrai, s’était jusque-là sagement abstenu de protester. Mais il est convié à dîner avec, entre autres invités, l’auteur qui vient de le transformer en symbole aviné de la vulgarité télévisuelle. Il se décide donc à dire deux mots de son personnage à l’écrivain, qu’il n’avait encore jamais rencontré.  » Je voulais lui préciser, avec humour, le caractère invraisemblable de mon personnage : je suis sûrement le seul Breton de la capitale à ne jamais boire une goutte d’alcool « , dit-il. Mais lorsque Le Lay se pointe au dîner, Houellebecq est déjà… ivre mort. » Il était impossible de lui parler. Nous avons été placés l’un en face de l’autre à table, et j’ai passé ma soirée à l’empêcher de se resservir du vin et de tacher la nappe. Je suis certain qu’il a ignoré, jusqu’au bout, qui il avait en face de lui.  » La scène est presque trop belle : l’auteur et son personnage – le premier ayant visiblement prêté au second ses penchants éthyliques – dans un face-à-face mondain sinistre et parfaitement surréaliste

Mona, mes résultats sont bons. J’échappe au régime sec. Aussi, je vous propose d’arroser çà. Si vous aviez l’amabilité de sortir deux verres, je vous sers un Beaune 1er Cru Les Tuvilains 2007 du Domaine Denis Carré. Pour moi, ce millésime est actuellement parfait pour se faire plaisir et ce vigneron confirme une réussite régulière de ses vins mais sans l’esbroufe qui fait vibrer le microcosme parisien.


[1] C’est lui dit disait : Notre boulot à TF1, c’est de vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible.

Stendhal en Côte d’Or

Alors que la polémique sur les rosés est à peine éteinte (souvenez-vous, ils voulaient autoriser les assemblages de rouge et de blanc), il est toujours intéressant de voir que rien n’est vraiment nouveau sous le soleil. Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal relate son voyage à travers les régions françaises. En traversant la Bourgogne, il souligne nombre de curiosités et notamment il relève que les vins blancs de Pommard, Volnay et Meursault sont utilisés en assemblage des vins rouges [1].

Le Clos Vougeot
Le Clos Vougeot

Stendhal-consul-bigSans ses vins admirables, je trouverais que rien au monde n’est plus laid que cette fameuse Côte-d’Or. La Côte-d’Or n’est qu’une petite montagne bien sèche et bien laide ; mais on distingue les vignes avec leurs petits piquets, et à chaque instant on trouve un nom immortel : Chambertin, le Clos-Vougeot, Romanée, Saint-Georges, Nuits. A l’aide de tant de gloire, on finit par s’accoutumer à la Côte-d’Or.
Le général Bisson [2], étant colonel, allait à l’armée du Rhin avec son régiment. Passant devant le Clos-Vougeot, il fait faire halte, commande à gauche en bataille, et fait rendre les honneurs militaires.

Comme mon compagnon de voyage me contait cette anecdote honorable, je vois un enclos carré d’environ quatre cents arpents, doucement incliné au midi et clos de murs. Nous arrivons à une porte en bois sur laquelle on lit en gros caractères fort laids : Clos-Vougeot. Ce nom a été fourni par la Vouge, ruisseau qui coule à quelque distance. Ce clos immortel appartenait autrefois aux religieux de l’abbaye de Cîteaux. Les bons pères ne vendaient pas leur vin, ils faisaient des cadeaux de ce qu’ils ne consommaient pas. Donc, aucune ruse de marchand. […]
En général, les vins de ce pays se boivent en Belgique. Le propriétaire du Clos-Vougeot peut tromper ses chalands; il n’aurait qu’à faire répandre sur sa vigne du fumier de cheval, elle produirait beaucoup plus, mais le vin serait d’une qualité inférieure. Une bouteille du Clos-Vougeot, qui se vend dix francs à Paris chez les restaurateurs, ne se vend pas, mais s’obtient sur les lieux, par insigne faveur, au prix de quinze francs. Mais, il faut l’avouer, rien ne lui est comparable. Ce vin n’est pas fort agréable la première et souvent la seconde année; aussi les propriétaires ont-ils toujours une réserve de cent mille bouteilles.
La poésie, avec ses exagérations aimables, s’est emparée de ce sujet si cher aux Bourguignons ; et ce soir, dans son enthousiasme, mon correspondant de Beaune m’a promis de me faire boire une bouteille de vin du Clos-Vougeot provenant encore de l’abbaye de Cîteaux. Mais comment croire à cette vénérable antiquité, si après douze ou quinze ans ce vin commence à perdre ?
[…] Les vins de Nuits sont devenus célèbres depuis la maladie de Louis XIV, en 1680 ; les médecins ordonnèrent au roi, le vieux vin de Nuits pour rétablir ses forces. Cette ordonnance de Fagon [3] a créé la petite ville de Nuits.
[…] Beaune est située sur un sol calcaire ; on a planté une jolie promenade le long des remparts, et la Bourgeoise, petite rivière fort limpide et pleine de grandes herbes vertes qui flottent avec l’eau, traverse la ville. La cour de l’hôpital offre de jolis restes d’architecture gothique. Nicolas Rollin [4], chancelier de Philippe duc de Bourgogne, fonda cet hôpital en 1445. Il est bien juste, dit Louis XI, que Rollin, après avoir fait tant de pauvres, construise un hôpital pour les loger.
En allant à Chaumont, j’avais passé devant Pommard, Volnay et Meursault ; mais j’apprends seulement aujourd’hui la cause secrète de la richesse de ces lieux célèbres ; ils produisent un vin blanc qui a la propriété de se mêler aux vins rouges et de leur donner du feu sans les altérer.

Mona, Stendhal m’a donné soif. Sans vous commander, prenez donc deux verres sur l’évier. Moi, j’attrape un Meursault vinifié par Alix de Montille. Du bonheur assuré.


[1] De nos jours, Pommard et Volnay ne produisent que…  des vins rouges fort réputés.  Meursault produit essentiellement des vins blancs (environ 15 ha de rouge).
[2] Brillat-Savarin dit à son propos:  « C’est ainsi que le général Bisson, qui buvait chaque jour 8 bouteilles de vin à son déjeuner, n’avait pas l’air d’y toucher. Tout en humant ainsi 16 litres de liquide, il n’était pas plus empêché de plaisanter et de donner ses ordres que s’il n’eût dû boire qu’un carafon. »
[3] Archiatre (1er médecin du Roi). Voici comment le décrit St Simon dans ses Mémoires: « Fagon, du fond de sa chambre et du cabinet du roi, voyait tout et savait tout. C’était un homme d’infiniment d’esprit et avec cela un bon et honnête homme. Une figure hideuse, un accoutrement singulier; asthmatique, bossu…. Il était l’ennemi le plus implacable de ce qu’il appelait : charlatans… »
[4] Fondateur, avec sa femme Guigone de Salins, des Hospices de Beaune : « Moi, Nicolas Rolin, chevalier, citoyen d’Autun, seigneur d’Authume et chancelier de Bourgogne, en ce jour de dimanche, le 4 du mois d’août, en l’an de Seigneur 1443… dans l’intérêt de mon salut, désireux d’échanger contre des biens célestes, les biens temporels… je fonde, et dote irrévocablement en la ville de Beaune, un hôpital pour les pauvres malades, avec une chapelle, en l’honneur de Dieu et de sa glorieuse mère… »

http://www.pommard.com/