la Raccourcisseuse patriotique

Louis XVI et Marie-Antoinette d'après F. Botero
Louis XVI et Marie-Antoinette d'après F. Botero

Alexandre Dumas Père a écrit l’histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Dans les trois tomes de l’édition de 1853, j’ai sélectionné ce texte sur les premiers essais de la guillotine :

C’est dans une des cours de Bicêtre que les premiers essais de la guillotine eurent lieu le 17 avril 1792. Il est sept heures du matin. Une petite pluie tombe fine comme un crêpe, tandis que cinq ou six ouvriers charpentiers, sous la direction d’un maître, s’occupent à dresser dans cette cour une machine d’une forme inconnue et étrange.

Disons comment se fit la modification qui conduisit l’instrument de mort à la perfection qui le distingue aujourd’hui. Le roi Louis XVI entendit parler de l’essai qui avait été fait dans la cour de Bicêtre, et l’on n’avait pu lui cacher le désagrément qu’avait éprouvé le docteur Guillotin. Le roi était assez bon mécanicien et surtout assez habile serrurier. La première fois qu’il eut occasion de se trouver avec le docteur Louis, il se fit expliquer par lui le mécanisme de la machine. Le docteur Louis prit une plume et tant bien que mal fit un dessin de l’instrument.
Le roi examina le dessin avec attention, et arrivé au couperet :
— Le défaut est là, dit-il, le couperet, au lieu d’être façonné en croissant, devrait être de forme triangulaire et taillé en biais comme une scie. Et joignant l’exemple à la démonstration, Louis XVI prit à son tour une plume et dessina l’instrument comme il l’entendait.
Neuf mois après, la tête du malheureux Louis XVI tombait sous l’instrument que lui-même avait dessiné.

En regardant aux ouvertures grillées pratiquées dans les quatre murailles qui formaient cette cour, on pouvait voir quelques têtes pâles et inquiètes, dont les regards plongeaient sur la machine qui allait s’élevant toujours. C’étaient les têtes des prisonniers réveillés par les coups de marteau. On a le sommeil léger en prison, et ils regardaient quel évènement inattendu allait se passer dans cette cour.

Quelques personnes entraient les unes après les autres ; et, malgré la pluie qui continuait de tomber, ils examinaient cette machine avec curiosité. Ce furent d’abord le docteur Philippe Pinel, puis le célèbre Cabanis, dans les bras duquel Mirabeau venait de mourir il y avait quinze jours.

On demandait naturellement des explications au maître charpentier qui s’appelait Guidon, et qui, il faut le dire, s’empressait de donner ces explications avec une complaisance parfaite. Et maître Guidon expliquait de son mieux les vertus de la machine, pour laquelle il paraissait avoir une prédilection toute particulière, et qu’il appelait en riant « sa demoiselle », attendu, disait-il, qu’elle était vierge.
Dans un coin de la cour se tenait un autre groupe de quatre personnes. Celles-là étaient vêtues fort simplement et portaient des cheveux non poudrés.Le chef de ces quatre hommes était un homme de cinquante à cinquante-cinq ans, dont la taille était haute, le sourire bienveillant, la physionomie ouverte. Cet homme s’appelait Charles-Louis Samson, il était né le 15 février 1738, et exerçait depuis vingt ans, sous la direction de son père, les fonctions de bourreau de Paris. Les trois autres hommes étaient son fils et ses deux aides.
Cette présence de M. de Paris, comme on appelait alors l’exécuteur des hautes œuvres du département de la Seine, donnait une terrible éloquence à la machine.
Aussi nous l’avons dit, le bourreau, son fils et ses deux valets formaient-ils un groupe à part, qui ne se mêlait point aux autres groupes.
Vers huit heures, deux hommes apparurent à la grille qui s’ouvrit devant eux.
D’un âge de soixante-dix ans, pâle, souffrant de la maladie dont il devait mourir bientôt, était le docteur Louis, médecin par quartier du roi. L’autre était l’inventeur de la fameuse machine, le citoyen Joseph-Ignace Guillotin.
Tous deux s’approchèrent, Louis lentement, Guillotin avec cette vivacité qui faisait le côté remarquable de sa personne. Ce dernier parut enchanté de la manière dont maître Guidon avait traduit sa pensée, aussi lui demanda-t-il combien l’instrument pouvait coûter.

On frappa à la grille, et une petite voiture traînée à bras, fut introduite dans la cour.
— Ah ! Voilà ce que nous attendons, s’écria le docteur Guillotin tout joyeux.
Cette voiture contenait trois sacs, et les trois sacs trois cadavres, envoyés par la direction des hospices.
Le bourreau, son fils et les deux valets s’emparèrent d’un des cadavres et le couchèrent sur la bascule. Puis on fit jouer le ressort. Le ressort se détendit, le couperet se précipita avec la rapidité de la foudre, et la tète du cadavre, séparée du corps, roula sur le pavé de la cour.

Guillotin poussa un cri de joie.
Quant à la guillotine, elle pouvait être appelée « Madame », car elle venait de perdre sa virginité.
Quelques applaudissements se firent entendre. Le docteur salua.

Un second essai fut tenté avec un succès égal.

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Louis XVI et Marie-Antoinette, Basilique Saint-Denis

J’ai relevé dans cette page d’Alexandre Dumas : « espérons que nous vivrons assez pour enregistrer dans cette même histoire le nom du dernier ».

Mon cher Alexandre, il eut fallu que vous viviez bien vieux. C’est Hamida Djandoubi qui fut le dernier guillotiné. C’était à Marseille, le 10 septembre 1977. La peine de mort a été abolie en France le 9 octobre 1981.

Mona encore toute sa tête