Coté « Cour »

J’ai toujours aimé les bons mots. D’ailleurs, vous savez bien qu’avec mon patron Lépicurien, je suis servi. Mais quand je trouve de belles répliques de jadis, j’ai plaisir à vous les faire partager.

Madeleine (1833-1900) était la cadette d’une dynastie de comédiennes aussi belles qu’intelligentes et talentueuses : les Brohan. Mère et filles étaient si spirituelles que l’on parlait de «l’esprit des Brohan».

Marcel Proust, dans « A la recherche du temps perdu« , retient Madeleine parmi les plus grandes actrices du second Empire :

« Je classais par ordre de talent les plus illustres : Sarah Bernhardt, la Berma, Bartet, Madeleine Brohan, Jeanne Samary… »

Un soir, elle fut abordée, à la sortie du Théâtre Français, par un admirateur un peu trop entreprenant :
– Vous faites erreur, Monsieur, je suis une femme honnête!

Puis, remarquant que l’inconnu était un fort joli garçon, elle ajouta :
– Croyez d’ailleurs que… je le regrette infiniment.

Comme Madeleine avait toujours dépensé sans compter, elle se trouva, après avoir quitté la scène, dans une situation financière peu florissante. Elle s’était retirée au quatrième étage d’un immeuble de la rue de Rivoli.
À un vieil ami qui arrivait tout essoufflé à hauteur de son palier et qui se plaignait de la raideur de l’escalier, elle dit  :
– Que voulez-vous, mon cher, à mon âge, c’est le seul moyen qui me reste
encore de faire battre les cœurs !

Mona-scenseur, c’est vous ? Cela n’empêchera pas mon cœur de battre.

Asperge moi de térébenthine

asparagi

Nous sommes en pleine saison des asperges. Je les aime beaucoup. Aussi, bien que deux articles lui aient été consacrés lors des derniers jours (le 4 et le 5 mai), je ne résiste pas au plaisir de vous relater quelques anecdotes savoureuses à son sujet.

Grimod de La Reynière, parle de ses propriétés aphrodisiaques : « Ce légume ne convient qu’aux riches parce qu’il n’est pas substantiel et légèrement aphrodisiaque. C’est un manger délicat ».

Si dans les guides de savoir vivre, il est permis de la manger à la main, on lit dans le « Manuel de civilité pour les petites filles », paru dans les années 1930 : « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire ».

Le fameux pot de chambre

Marcel Proust, dans « A la recherche du temps perdu », parle à plusieurs reprises de l’asperge. Il souligne notamment le parfum que prennent les urines après un plat d’asperges :

« Mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,-encore souillé pourtant du sol de leur plant,-par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »

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Le marquis de Cussy, préfet du palais de l’empereur Napoléon 1er, avait invité sa jeune maîtresse à une partie de campagne. Elle s’excusa en disant qu’elle devait se rendre à une fête familiale. Gourmand, le marquis alla aux Halles en vue de faire un bon déjeuner. Il vit deux bottes d’asperges, les seules arrivées du jour asperges-achatdans la capitale. Il voulut les acheter, mais il fut devancé par quelqu’un. Décidément, ce n’était pas son jour…
Le soir, sa maîtresse était de retour. Elle raconta avec moult détail sa journée. Au moment de l’étreinte, la jeune femme se soulagea d’un besoin naturel. C’est alors que le marquis s’énerva :
Julie ! Julie ! Tu me trompes !
– Mais enfin Louis, comment pouvez-vous penser cela ?
– Où as-tu déjeuné ?
– Chez ma mère… je vous l’ai dit.
– Ne me mens pas ! Tu as mangé chez l’ambassadeur d’Espagne.
– Mais…
– Oh, arrête, je sais que dans tout Paris, il n’y avait que deux bottes d’asperges. Et c’est son maître d’hôtel qui les a achetées devant moi ce matin. Or, le parfum de tes urines indique avec certitude que tu as mangé des asperges il y a peu de temps.

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Que ce soit Marcel ou Julie, ils auraient dû lire le « Nouveau Dictionnaire de Médecine » qu’avait publié au début du XIX° siècle, le Docteur Béclard, qui fut membre de l’Académie Royale de Paris. Il écrit :
« L’asperge communique à l’urine une mauvaise odeur qu’on change en celle de la violette par l’addition de quelques gouttes de térébenthine.« 

Donc Marcel, vous eussiez connu le truc, point d’odeurs désagréables dans votre chambre. Quant à vous, Julie, vous eussiez pu jouer des castagnettes  et croquer l’asperge espagnole sans risque de vous faire pincer…..

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Finissons (temporairement ?) notre balade au pays de l’asperge avec Charles Ephrussi. C’est un riche collectionneur d’art qui fréquente les ateliers de Degas, Manet, Monet, Renoir… et leur achète régulièrement des toiles.

En 1880, il commande à Manet un tableau représentant une botte d’asperges. Ephrussi est si content du tableau qu’au lieu de verser les 800 francs convenus, il envoie 1.000 francs à l’artiste. Ce dernier, en remerciement, lui adresse un second tableau, représentant une seule asperge. Manet lui aurait dit que pour ce prix là, il devait manquer une asperge dans la botte.

apserge-manet2-1880
Les deux tableaux de Manet (1880)

En attendant, régalez vous de blanche, de verte et de violette…

Votre Mona se perge