Un ver, des verres

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C’est vrai que vous nous écrivez plutôt pour nous parler de vos problèmes de couple, de prostate, d’enfantement ou de constipation que pour complimenter notre style. Il faut même dire que, rarement certes, nous recevons des missives attaquant notre morale, notre probité, notre vocabulaire jugé trop vert et trop leste.

Certes la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe, mais il arrive parfois que nous ayons envie de leur répondre avec véhémence. Mais en buvant un coup de jus de la treille, nous retrouvons cette sérénité que beaucoup d’entre vous nous envient.

Mais souvent nos lecteurs nous complimentent pour la poésie qui se dégage à chaque ligne de ce merveilleux Journal. Ainsi Guy Liguili nous gratifie de louanges à faire rougir un poivron vert. Il nous compare, tenez-vous bien à Frédéric Dard, Michel Audiard et Raoul Ponchon. C’est trop mon cher  Monsieur Liguili ! Certes nous sommes fiers de quelque prose çà et là dans les 1260 articles pondus à ce jour. Mais nous savons que la route est longue pour toucher ne serait-ce que le talon de nos Maîtres.

Et notre Muse est moins bavarde et nous abandonne trop souvent pour que nos mots illuminent vos esprits comme le soleil traverse les nuages de Maubeuge le 15 août à 16.00 heures.

Mais puique vous avez évoqué Ponchon, je vous livre franco une ode à sa Muse qu’il publia en 1905 :

Le sommelier, c’est un de vins

En notre qualité d’œnopote, œnophile, en un mot d’amoureux des bons vins, nous souhaitons rendre hommage à une bien belle profession : Sommelier.

L’ »ânée » est un mot bien connu des cruciverbistes. C’était jusqu’au XIX° siècle, la charge de vin que pouvait porter un âne (une cenpote, soit110 litres). Ce transport se faisait sans crainte puisque, depuis Buridan, nous savons que, si l’on propose à un âne un seau d’eau et un seau de vin, il boira l’eau, et c’est précisément en cela qu’il est un âne.

En Provence, la charge de la bête est appelée la sommée. Et tout naturellement, le sommelier désigne le conducteur de bêtes. Puis le mot se spécialise pour désigner l’officier chargé du transport des bagages dans les voyages de la Cour, puis celui en charge de la vaisselle, des provisions et de la cave… et enfin le monsieur vins que nous connaissons aujourd’hui. Le sommelier contrôle tout : chargement, déchargement, transvasement. Une vraie bête de somme !

Si dans certaines maisons, le sommelier était malheureusement considéré comme un simple manutentionnaire et un gestionnaire de stocks, les choses ont bien évolué et son statut s’est ennobli. Contrairement à une idée préconçue il n’est pas là nécessairement pour placer les bouteilles les plus onéreuses, mais pour vous conseiller. Aussi faites appel à lui. Écoutez-le, il deviendra le véritable complice de votre plaisir.

Et laissons la parole au poète. Raoul Ponchon, dans le Courrier Français du 25 février 1900 leur rendait hommage :

Que j’aime à voir autour de cette table
Des sommeliers, encor des sommeliers ;
Au monde il n’est rien de plus respectable
Qu’un sommelier, sinon deux sommeliers.

O sommeliers ! vous êtes tous des braves,
C’est bien certain, car ça n’est pas en vain
Que vous avez commerce avec les caves,
Que tous les jours vous fréquentez le vin.

Entre tous les métiers que l’on répute
Le vôtre, amis, est pour moi le premier ;
Si je n’étais simple joueur de flûte,
Je voudrais être un digne sommelier.

Parbleu ! les chefs ont bien leur importance
Pour un festin. Quant à moi, je m’en fous.
Non, non, les chefs, ils ne sont pas, je pense,
A beaucoup près importants comme vous.

C’est pour le mieux quand les deux vont ensemble.
Bonne chère et bon vin font amitié.
Mais un rata si bon qu’il soit, ce semble,
Mal arrosé, n’est-ce pas grande pitié ?

Ah ! donnez-moi pour toute nourriture
N’importe quoi, ne fût-ce qu’un pain sec,
Mais, nom de Dieu, d’un joli vin nature
Je veux au moins me barbouiller le bec.

Au temps jadis, quand les rois tenaient tables
Et qu’ils savaient boire comme des dieux,
Les sommeliers étaient grands connétables.
Et les celliers ne s’en portaient que mieux.

Les rois sont morts. Et notre République
Se meurt de soif, malgré son galoubet ;
Le moindre vin lui donne la colique.
Que voulez-vous qu’on boive chez Loubet ?

On voit aussi des médecins en vogue
Recommander à nos petits boyaux
De l’eau, du lait et d’autres sales drogues…
Est-il permis de pareils idiots ?…

La France, hélas ! deviendrait chose morte
S’il fallait croire en ces hurluberlus.
Zut pour leur eau, que leur eau les emporte !
Et nous, buvons du vin quatre fois plus.

Non, par Bacchus ! tant qu’elle aura des treilles,
La France encor vivra ; tant qu’elle aura
Des sommeliers pour les mettre en bouteilles
Et tel têtu gosier qui les boira.

Buvons nos vins jusqu’à ce qu’on en crève,
Le fin Bordeaux qui fleure le printemps,
Le Bourguignon en qui monte la sève,
Et le Champagne, excellent cure-dents.

Versez-nous-les toujours à pleine amphore,
O sommeliers ! Tous ces vins que voici.
Et puissiez-vous nous en verser encore
Et du meilleur dans cinquante ans d’ici.

Car quoi que puisse en penser le vulgaire,
Comme l’a dit si bien… Chose… Machin…
Le plus beau geste, à coup sûr, de la terre
C’est de verser à boire à son prochain.

Mon Dieu, parfois, en des cafés notables
Votre patron qui vous le dit tout bas,
Vous fait servir des choses discutables,
Dont, grâce à Dieu, vous, vous ne buvez pas…

Mais arrêtons ici ce radotage,
Je craindrais de vous causer de l’ennui.
Si j’ai parlé c’est pour vous rendre hommage
Et je remets ma lyre en son étui.

O sommeliers que le ciel accompagne,
Puisque aussi bien nous sommes au dessert,
Je bois à vous ce verre de Champagne
Qui plus que moi se montrera disert,

Le voyez-vous qui pétille et qui bouge ?
Il n’en est pas ainsi des milliers.
Vive donc le G.H. Mumm Cordon rouge !
Vive Jourdan et tous les sommeliers !

Rien à rajouter. Champagne !

Raoul, dit La Ponche

Novembre 1924, Léon Daudet écrivait :
Avant-hier, à deux heures de l’après-midi, chez Drouant, à l’issue d’un déjeuner excellent (turbotin rôti, poularde au sel, soufflé au fromage, …), Raoul Ponchon a été élu à une très forte majorité, membre de l’Académie Goncourt. L’histoire naturelle enregistrera qu’un Champagne naturel, le blanc de blancs, suivi d’un Hermitage empourpré, a célébré l’arrivée parmi nous du chantre immortel des vergers et des vins de France.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Raoul Ponchon, il faut rappeler qu’il fut le poète de la table et de la cave, le plus rabelaisien de nos versificateurs. C’est à lui que l’on doit cette célèbre formule :
Quand mon verre est vide, je le plains ; quand mon verre est plein, je le vide.

Buveur impénitent, il était ami de Verlaine et, comme ce dernier, l’absinthe fut sa muse verte.
Alors qu’il avait 62 ans, en 1910, il fut  convié par un ami à une conférence antialcoolique. Au cours de la soirée, un médecin, pour effrayer les plus rebelles pochards, injecta un verre de cognac dans les veines d’un jeune cochon qui creva cinq minutes après l’injection.
Raoul ne se démonta pas. Se levant, il dit :
C’est bien fait ! Le cognac n’est pas pour les cochons !
En 1937, il s’éteint à l’âge fort respectable de 89 ans.

ÉLOGE DU MOT « BOIRE »

Le joli mot que voilà :
Boire ! Qu’en pensez-vous ? Boire !
Moi je suis tout prêt à croire
Qu’aucun ne vaut celui-là !

Ivrognes, ô bons apôtres,
Que je porte dans mon cœur,
N’est-ce pas qu’à la rigueur
On peut se passer des autres ?

Boire ! Eh bien ! cela dit tout ;
Que voulez-vous autre chose ?
Tel un sourire de rose,
Cela se comprend partout.

C’est le seul mot du langage
Qui, par sa fraîche couleur,
A pour moi quelque valeur
Quelque évidence en partage.

Vous avez mille façons
De le prononcer, madame,
Ce mot délicieux, âme
De nos sublimes chansons !

Dites-le, pour moi, de grâce,
Gentiment, bien comme il faut ;
Ah ! pour l’amour de ce mot,
Souffrez que je vous embrasse.

Comme délicatement
La bouche éclot pour le dire !
C’est comme un fin Vau-de-Vire
Du vieux poète normand.

C’est un os rempli de moelle,
Et quand je le dis, parbleu !
Je crois manger du ciel bleu
Ou bien croquer une étoile !

C’est une rose pompon
Qui pare la plus farouche ;
Cela vous fond dans la bouche
Comme un suave bonbon.

C’est un rubis sur la langue,
Tout imprégné de soleil :
Auprès de ce mot vermeil
Toute fleur paraît exsangue.

On dirait, sur le printemps
De votre bouche mutine,
Une abeille qui butine
Le sucre blanc de vos dents.

Qu’il sorte d’un air aimable
De vos lèvres de velours ;
Hurlez-le comme deux sourds
Chez un tavernier du diable ;

Dites-le tout haut, tout bas ;
N’importe comment, je l’aime.
Il me semble inouï même
Lorsque je ne l’entends pas.

Le soleil, en quelque sorte
Le crie à l’immensité ;
La lune l’a répété
Tant de fois qu’elle en est morte.

C’est l’unique mot des dieux,
Le mot le plus vénérable.
Je me donne bien au diable,
Si ça n’est pas le plus vieux.

C’est le verbe d’excellence
Qui doit dissiper la nuit.
C’est tout ce que dit le bruit
Et que pense le silence !

Moi, je le dis constamment ;
La musique en est si tendre,
Que je veux toujours l’entendre,
Que je le rêve en dormant.

Un enfant qui vient de naître
Le dit comme vous et moi,
Car, selon l’humaine loi,
C’est le premier à connaître,

Et c’est aussi le dernier.
Quand survient la mort farouche,
Un moribond sur sa couche,
Cherche à le balbutier.

Vous demandiez, tout à l’heure,
Si j’avais quelque façon
À moi, de le dire ? Non
Car chacune est la meilleure.

Mais, pour parler sans détour,
Si vous désirez le dire
Simplement, comme on respire,
Dites-le cent fois par jour.

Mona, il faut boire un coup pour Raoul qui disait :
J’aime tout ce qui peut se boire, hormis l’eau.
Allez, je vous propose un Léoville Las Cases 1986. Un vin extraordinaire digne d’un si grand poète. Quand Saint-Julien produit des vins comme çà, il faut se taire et déguster!