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Il y a déjà presque cinq ans, comme le temps passe, je livrais à vos yeux ébahis un extrait du Banquet de Trimalcion. Le Satyricon de Pétrone souligne les débordements d’une civilisation romaine en pleine décadence. Toute ressemblance avec notre époque ne serait que coïncidence ou pur hasard.

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Je reviens sur ce texte. Au moment où Trimalcion organise cette bâfrerie, il a des soucis digestifs. Pour que vous profitiez pleinement des propos tenus par le maître de cérémonie, j’ai transcrit le passage de Pétrone en français de  nos jours. Avouez que vous êtes gâtés.

En sortant des cagouinces, Trimalcion s’astiqua la tronche pour enlever les parfums qui y dégoulinaient et il alla se laver les pognes pour passer à table tout en lâchant ces mots qui resteront gravés au pinacle des bonnes manières :

Je suis désolé les potes, mais j’ai le bide qui joue la Castadiore ; ça fait plusieurs jours que je suis aussi constipé qu’une nana et que j’envoie des gaz aussi nocifs qu’à Verdun. J’espère que me boyaux vont pas se mettre à faire de la musique pendant notre bouffe ou pire que je sois tenu de m’absenter toutes les cinq minutes pour arriver à en poser une, si Jupiter le veut… Purée de ta mère, mes toubibs, tout ce qu’ils me filent, ça a autant de résultat que si je bouffais en quantité du riz ou des bananes vertes. Enfin je vous préviens, je risque d’envoyer du méthane au même rythme qu’une vache en train de regarder passer les trains. Si ça chlingue, bouchez-vous le pif et attendez que mes sbires éventent mon fondement pour chasser les odeurs nauséabondes. Quand au bruit, je vous dis pas, un typhon sur le Japon ou une éruption de l’Etna, c’est de la noniote à coté. Heureusement que ma mère m’a donné une recette qui m’a un peu soulagé : une décoction de peau de grenade et de la résine de pin dans un verre de vinaigre. C’est dégueulasse, mais ça me permet d’être avec vous. Alors pour Maman : hip, hip…houra !

Bon, je vous mets à l’aise les gars. Si l’un de vous est gêné des boyaux comme moi, qu’il se gêne pas. Je n’oublie pas que nous sommes tous nés avec un sac à merde dans le ventre et il n’y a pas de plus grand supplice que de se retenir quand, enfin, on sent (si j’ose dire) que ça va descendre et qu’on va pouvoir repeindre les cagoinces. C’est même le seul truc contre lequel Jupiter ne puisse rien faire, vous dire ! Il n’y a qu’à l’entendre les soirs d’orage.
Et toi, ça te fait marrer, Fortunata, ma femme. Pourtant sans révéler notre vie privée, je dois te rappeler, ma chérie, que je ne compte plus les nuits où j’ai mal pioncé à cause des flatulences que tu dégages au rythme d’une mitrailleuse. Bon, donc si vous avez besoin de dégazer, vous gênez pas et si jamais, par chance, vous avez la grosse commission qui vient, j’ai tout prévu. Dehors vous trouverez de l’eau et tout le nécessaire pour vous laver le fion. Et n’oublions pas qu’une vesse qu’on empêche de se faire la belle perturbe tout le corps et peut même vous faire bouffer les pissenlits par la racine. Alors, pas de chichis (si j’ose dire) entre nous. Mettez vous à l’aise. Pour couvrir votre musique intestinale, je ferai rentrer mes musiquos qui couvriront vos mélodies gastriques. Allez bon app et mangez en paix.

Bon Mona, ça gaze ? Pét-rone, il dit bien les choses. Bon c’est pas tout ça mais j’ai la meule sèche. Faut que je boive un coup. Sortez en hâte deux verres. Le Saint-Joseph rouge 2008 de Jean-Michel Gerin est un délice. Un joli fruit et de la minéralité à souhait et pas de risque de vents avec ce joli vin.

Un homme de lard

La lecture du Satyricon nous renseigne sur la vie décadente des Romains. On y partage notamment le festin de Trimalcion. Esclave affranchi par son maître et ayant hérité de sa fortune, il est assez vulgaire. Il mène grand train et aime s’entourer d’une cour d’esclaves affranchis comme lui, qui rit et applaudit à toutes ses frasques. Ainsi, au cours de ce fameux banquet, après avoir servi moult plats, il demande à Gaius, son cuisinier, de préparer au plus vite un cochon. En quelques minutes, le porc est sur la table :

La compagnie aussitôt de se récrier sur la diligence du cuisinier ; chacun jurait qu’il aurait fallu plus de temps à un autre pour cuire un poulet ; et ce qui augmentait encore notre surprise, c’est que ce cochon nous paraissait beaucoup plus gros que le sanglier qu’on nous avait servi un peu auparavant. Cependant, Trimalcion l’examinant avec une attention toujours croissante :

– Que vois-je ? dit-il ; ce porc n’est pas vidé ! Non, certes, il ne l’est pas. Courez, et faites-moi venir ici le cuisinier.

Le pauvre diable s’approche de la table, et, en tremblant, confesse qu’il l’a oublié.

– Comment, oublié ! s’écrie Trimalcion en fureur. Ne dirait-on pas, à l’entendre, qu’il a seulement négligé de l’assaisonner de poivre et de cumin ? Allons, drôle, habit bas !

Aussitôt le coupable est dépouillé de ses vêtements et placé entre deux bourreaux. Sa mine triste et piteuse attendrit l’assemblée, et chacun s’empresse d’implorer sa grâce :
– Ce n’est pas, disait-on, la première fois que pareille chose arrive ; veuillez, nous vous en prions, lui pardonner pour aujourd’hui ; mais, si jamais il y retombe, personne de nous n’intercédera en sa faveur.

Trimalcion se dérida tout à coup :
– Eh bien ! lui dit-il en riant, puisque tu as si peu de mémoire, vide à l’instant ce porc devant nous.

Le cuisinier remet sa tunique, se saisit d’un couteau, et, d’une main tremblante, ouvre en plusieurs endroits le ventre de l’animal. Soudain, entraînés par leur propre poids, des monceaux de boudins et de saucisses se font jour à travers ces ouvertures qu’ils élargissent en sortant.
À la vue de ce prodige inattendu, tous les esclaves d’applaudir et de s’écrier : Vive Gaius ! Le cuisinier eut l’honneur de boire en notre présence ; de plus, il reçut une couronne d’argent.

Bon Mona, çà donne faim et soif. J’ai choisi un vin de Rully. Cécile et Vincent Dureuil ont réussi un grand vin avec ce 1er cru 2009. Un fruit magnifique et une trame d’une finesse à rendre jaloux une fille lors d’un défilé de mode…