On n’est pas toujours pressé pour dîner

Longtemps, l’Europe a mangé à la même heure sans que les différences climatiques ou sociales induisent des comportements originaux. Seules les exigences du travail aux champs, de la nourriture des enfants ou des vieillards nécessitent des collations intermédiaires Jusqu’à la Renaissance, on dîne donc aux alentours de midi avec un décalage de trente à soixante minutes en fonction des occupations de la journée, notamment si le déjeuner a été pris avant neuf heures. De même, on soupe à la tombée de la nuit.

Le premier glissement des horaires de table s’opère à la suite des Italiens qui, après avoir fait figure d’excentriques parce qu’ils déjeunaient à 14 heures et soupaient à 21 heures, donnent le ton. Encore convient-il de préciser qu’il s’agit des citadins de Florence ou de Rome et que les voyageurs français s’inspirent des habitudes d’une élite lettrée, s’attablant après le théâtre ou, plus tard, après le concert. Il n’en reste pas moins que le fossé se creuse régulièrement entre les gens du monde et ceux du labeur. Le phénomène reste homogène à l’échelle de l’Europe, puisque, les Anglais et les Espagnols dînent autour de 14 heures vers 1750, alors qu’ils commençaient entre 11 heures et 12 heures, un siècle et demi plus tôt.

Le deuxième glissement, propre à la France, intervient au tournant des années révolutionnaires. Entre 1780 et 1800, de nouvelles obligations encouragent les citadins à déjeuner plus tard dans la matinée. Ils le font avec plus de cérémonial pour favoriser la convivialité et l’établissement de rapports sociaux plus tôt dans la journée : le déjeuner sort de la sphère privée. Très rapidement, cette nouveauté est appelée le « déjeuner à la fourchette », par opposition au « déjeuner sur le pouce ». Pour éviter de passer toute la matinée le ventre vide, les tenants de cette nouvelle pratique prennent souvent une légère collation dès le lever: le « petit déjeuner » français est né. Ainsi, contrairement à une idée très largement répandue, ce qui caractérise notre rythme alimentaire, ce n’est pas petit déjeuner léger mais un dîner de mi- journée conséquent et surtout plus convivial. À la fin de l’Empire, la bonne société dîne autour de 18 heures et soupe avant minuit. Vers 1830-1840, les citadins des grandes villes de province se mettent au diapason des Parisiens. Enfin, la diffusion de l’éclairage domestique au gaz dans les quartiers bourgeois accroît encore les différences de comportements : il y a ceux qui dînent « à toute heure » et ceux que leurs horaires de travail et leurs moyens contraignent à respecter le rituel alimentaire de la mi-journée. Le dernier glissement s’esquisse, en deux temps, à partir des années 1960 : la « délocalisation » du repas s’accompagne d’une modification du temps passé à table. Cela est dû aux effets induits par la concentration industrielle, l’urbanisation avec l’allongement des temps de circulation et la scolarisation systématique autant que prolongée des enfants. Voilà qui explique le succès obligé des cantines pour le déjeuner. À cela s’ajoute, pour le dîner, l’impact de la télévision qui contribue à faire coïncider l’heure du repas avec celle du journal -d’abord 19 heures 45 puis 20 heures- puisque, dès 1965, plus de la moitié des ménages français dînent devant la télévision.

Depuis quelques années, imitant, comme des singes, les amerloques, nous sommes entrain de supprimer le déjeuner et avalons des hamburgers livrés au bureau dans des paper-bags.

Bacchus, viens à notre secours. Rappelle nous que nous sommes gaulois. Boute les habitudes saxonnes de notre territoire… et que reviennent sur nos tables : potée, ris de veau, queue de boeuf, confit de canard….

En attendant, Ma petite Mona, on va boire un coup et un bon coup : un Bourgogne 2005 du Domaine Mugneret Gibourg. Quelle expression du Pinot Noir. Tiens, çà vous donne envie de passer à table ma belle… Tant mieux et vive la France. Chante Coq, chante… et un de ces jours, tu finiras ta vie dans un bain de vin.

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