Bière tombe mal

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Le 11 mai 1880 un enterrement se déroule à Rouen. Quelques écrivains ont fait le déplacement depuis la capitale : Émile Zola, Alphonse Daudet, Edmond de Goncourt, Théodore de Banville et Guy de Maupassant. Zola immortalisera ce moment. Il est fort étonné du peu de monde qui assiste à l’inhumation de ce grand homme Gustave Flaubert, à croire qu’à la veille de sa mort, il était inconnu des quatre cinquième de Rouen, et détesté de l’autre cinquième. Voilà la gloire.

Après un office religieux ennuyeux, le cortège se rend au cimetière. Et là stupeur, le cercueil est trop grand pour rentrer dans le caveau :

Et, alors, s’est passé un fait qui nous a tous bouleversés. Quand on a descendu le cercueil dans le caveau, ce cercueil trop grand, un cercueil de géant, n’a jamais pu entrer. Pendant plusieurs minutes, les fossoyeurs, commandés par un homme maigre, à large chapeau noir, une figure sortie de Han d’Islande, ont travaillé avec de lourds efforts ; mais le cercueil, la tête en bas, ne voulait ni remonter ni descendre davantage, et l’on entendait les cordes crier et le bois se plaindre. C’était atroce ; la nièce que Flaubert a tant aimée sanglotait au bord du caveau. Enfin, des voix ont murmuré : «Assez, assez, attendez, plus tard.» Nous sommes partis, abandonnant là notre «vieux», entré de biais dans la terre. Mon cœur éclatait.

Décidément une journée noire pour ses amis…

Ma chère Mona, on ne rit pas dans des moments pareils, mais la situation fut cocasse. Et à la mémoire d’Emma Bovary, Salammbô, Frédéric, Bouvard et Pécuchet, portons un verre à cet auteur qui nous a laissé tant de chefs d’œuvre. Pour ce je débouche un Limoux, méthode ancestrale. A base de Mauzac ; au nez et en bouche des notes prononcées de pomme. On se croirait en Normandie…et puis c’est mieux que d’ouvrir une bière !

Pour avoir le bas chaud

La rentrée vient d’avoir lieu. Les étudiants ont souvent bien des difficultés pour se loger. Il semble que cela ne date pas d’aujourd’hui. Restif de la Bretonne, peu avant la Révolution décrivait une maison de la rue des Carmes à Paris[1] qui accueillait des étudiants en droit. Cette pension offrait le gîte, le couvert et plus si affinité.

Elles étaient quatre femmes : l’aïeule, la mère et deux filles. La grand-mère était encore ragoûtante, parce qu’elle était d’un beau sang ; la mère, veuve depuis longtemps, était une belle femme ; la fille aînée était une jeune personne charmante d’environ dix-neuf ans, et Madelon, la cadette, un tendron de quatorze à quinze. La grand-mère avait les nouveaux débarqués, environ les quinze premiers jours ; telle était la règle entre ces quatre femmes; c’était donc la grand-mère qui, ces quinze premiers jours, venait faire votre lit, pendant que vous y étiez, et vous agaçait si bien que ses beaux gestes vous tentaient. On avait grand appétit. Une gorge blanche, une jambe bien faite montrée jusqu’au genou, en se baissant, une croupe charnue, voluptueuse, lubriquement agitée.

Ensuite, quand les hôtesses voyaient que vous deveniez un peu au fait de la maison, la mère venait faire votre chambre. Vous l’aviez quelque temps, et c’était la manière d’agir avec elle qui déciderait si vous auriez les filles : un Trupelu[2] n’avait que l’aïeule, qui en préservait la mère; celle-ci préservait la fille aînée de l’homme douteux.

Mais après que le jeune homme comme il faut avait eu quelque temps la mère, la fille aînée, en déshabillé provocant, dessinant le nu, venait faire le lit du prédestiné. Elle faisait filer un peu l’amour; enfin, si elle était contente de ses sentiments et de ses procédés, elle le rendait heureux.

Il fallait être le chef-d’œuvre du mérite et de l’honnêteté pour parvenir au tendron de quinze ans : on arrangeait la jeune personne en habit de combat, l’heureux élu offrait une jolie collation, en fin de laquelle on lui disait :

– Vous êtes l’ami de la maison, vous avez mérité de posséder la houri[3], et nous vous la laissons pour une heure.

Bon Mona, vous qui êtes une maîtresse de maison au dessus de tout soupçon, voulez-vous bien rincer deux verres, je vous prie. Je vous invite à déguster l’Exception des Quatre Clochers 2009. A Limoux, on fait de grands Chardonnay. Qu’on se le dise !


[1] Rétif de la Bretonne : Monsieur Nicolas
[2] Vieux mot signifiant : enjoué, facétieux

[3]  Femme très attrayante venant de l’arabe : beautés célestes du paradis musulman