Veau de ville

Mona sait présenter ses abats.
Mona sait présenter ses abats.

Les frères Tarbé des Sablons furent des journalistes connus et reconnus du XIXe siècle. Ils collaborèrent aux principaux journaux parisiens. Puis en 1868, Edmond-Joseph, l’ainé fonda son propre journal «Le Gaulois». Il le dirigera durant une dizaine d’années avant de le céder pour se consacrer à la littérature.

Son frère Eugène se chargea d’organiser le lancement en invitant leurs futurs collaborateurs à un festival gastronomique dans sa propriété de Bougival.
L’invitation rappelait que le veau serait le roi de la fête :

Bougival, le 5 août 1868,
Monsieur,
Par ces temps de fortes chaleurs, rien n’est plus rafraîchissant que le V’EAU, ou trouve-t-on le plus de veaux ?
A Bougival, dont les prés fleuris, arrosés par la Seine, ont été chantés souvent.
Nous vous prions, Monsieur, de venir vous-même, le vérifier, dimanche 9 août 1868, afin que par l’appui de cette parole et la reconnaissance de votre estomac, cette célébrité, devienne bientôt un ARTICLE DE FOIE…
Veaux populi… Veaux Dei !
Une salade aussi… homérique… qu’aux pommes de terre facilitera la digestion des têtes, pieds rôtis, côtelettes, foies, rognons, fraises, tripes, qui composeront ce déjeuner VEAU—LUMINEUX !
Dominus Veaux-Biscum !
Eugène TARBE

N.B : Votre couvert sera mis, à moins que nous recevions un mou de veau… Pardon ! Un mot de vous!

Bravo Eugène, pouet, pouet ! Avec un tel humour, j’espère que notre homme est monté sur scène. Pouet, pouet !
Vous savez Mona que je n’ai pas pour habitude de me moquer de veaux semblables. Mais avouez que, sans être vache, il était difficile de s’esclaffer à la lecture de ce texte. Là où il y a Eugène, il n’y a pas de plaisir.
Ah, ah, ah ! Bon, Mona, le rire m’a donné soif et vous ? Allez, je verse le Bourgogne blanc 2011 de Geantet-Pansiot. Un domaine très réputé pour ses vins rouges qui nous régale avec ce blanc très aromatique et vif.

Faut pas péter plus haut que son cru

Mona, on voit que vous avez passé beaucoup de temps avec Charles...

Charles Monselet est un écrivain du XIX° siècle auteur d’une cinquantaine d’ouvrages de tous genres. Fort connu pour son coup de fourchette, il fut chroniqueur de la Revue des Gastronomes et du Gourmet. Il a laissé nombre de poèmes qui vantent les jolis produits de la cuisine Française. J’ai retenu celui dédié aux vins de :

BOURGOGNE ET BORDEAUX 

Au seul Bordeaux toujours fidèle, 
Buveur d’hier et d’aujourd’hui, 
j’admets que pour plus d’un rebelle 
L’éclair d’un autre vin ait lui. 

A quoi bon fuir le parallèle 
Avec un loyal ennemi? 
Disons que le Bordeaux c’est Elle, 
Et que le Bourgogne c’est Lui. 

A Lui les airs fiers et superbes ! 
Coquelicot parmi les herbes, 
Il se croit l’honneur du bouquet.

Elle, plus discrète en sa flamme, 
Sourit d’un sourire coquet… 
Le vin de Bordeaux, c’est la femme.

Même si cette habitude d’attribuer de la virilité aux Bourgognes et de la féminité aux Bordeaux est largement fausse. Tout amateur pourrait dire que les tannins des Bordeaux leur donnent une puissance que n’ont pas les vins de Bourgogne… Mais enfin, le plus important est qu’à cette époque, Monselet chantait le vin sans risque de rencontrer les ligues antialcooliques.

Mona, sortez donc deux verres, je vous prie et goûtons ce vin de Bourgogne : Gevrey-Chambertin 2001 de Geantet-Pansiot. Un vin fin, délicat. Alors Mona, féminin ou masculin ce Gevrey ?