Encore divin

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Charles Monselet fut un grand gastronome et il laissa nombre de poèmes sur les plaisirs de la table et les joies du vin. J’avais déjà eu le plaisir de vous faire lire quelques vers sur les Vins de Bourgogne et de Bordeaux. Aujourd’hui, je vous propose un hommage aux vins de ces deux régions viticoles connues dans le monde entier.

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C’est bien simple, j’en ai écrasé une larme (de vin, bien sûr). C’est beau comme une tête de veau ravigote ou le chant d’un rossignol. Pour nous remettre de ces émotions, ma Chère Mona, sortez donc deux verres. Un Bourgogne « Le Chapitre » 2009 de Sylvain Pataille est une petite merveille de vin gouleyant. Ce vin est tellement bon que j’ai peur que nous ne fassions son affaire à ce flacon. Retenez nous Mona !

Rêve parti ?

Nous avons déjà eu l’occasion de parler, dans ces lignes, de l’Almanach des Gourmands publié de 1803 à 1810 par Grimod de la Reynière, célèbre gastronome et célèbre excentrique.
Très vite ce journal devint culte et fut même réédité en 1828 sous la direction de son génial fondateur.

Deux ans plus tard, Paul Lacroix, connu sous le pseudonyme du Bibliophile Jacob, lance le premier numéro du Gastronome, journal universel du goût rédigé par une société d’hommes de bouche et d’hommes de lettres qui veulent unir gastronomie et littérature.

La publication ne durera qu’un peu plus d’un an malgré des signatures comme Théophile Gautier ou Gérard de Nerval (excusez du peu)..

Plusieurs tentatives pour relancer la revue ne dureront pas. Charles Monselet en fut notamment directeur en 1858.

Voici un texte bien étrange signé Gérard de Nerval tiré d’un numéro de 1831 :

Cauchemar  d’un mangeur

On ne croit plus aux histoires de revenants, et on a bien tort. Les époques de crise et de révolution sont ordinairement celles que ces messieurs choisissent pour remettre en question les plus simples idées du rationalisme et de l’incrédulité philosophique ; je veux vous citer un exemple étrange de terreur phénoménale et de digestion troublée, un véritable type d’aventures à caverne et de dîners malsonnants d’auberge. On peut croire à mon conte, je le tiens d’un Périgourdin.
Invité à une partie de chasse dans un vieux château près de Limoges, et naturellement peureux, il avait commencé par raffermir sa conscience de gentilhomme et son caractère de fier-à-bras contre les incidents nocturnes, au moyen d’une séance infiniment prolongée devant la table séculaire de son hôte ; après quoi il s’était couché, un peu lourd, mais fort intrépide. Il avait du cœur au ventre.
Pour la vérité de la chronique, nous devons dire que sa situation était très délicate et prêtait merveilleusement aux pressentiments les plus sombres. Il recevait pour gîte une  chambre où un Chouan était mort de ses blessures ; vous concevez quel champ ouvert à une craintive imagination ! Aussi,  notre  Périgourdin  craignit beaucoup en mettant son bonnet de nuit. Les murs étaient hauts et d’un gris repoussant ; des portraits noircis par la fumée en décoraient de façon sinistre les tapisseries et l’alcôve. On y voyait un lit en vieux damas, avec un ciel assez élevé pour orner un lit de parade, et puis quantité de pièces massives d’un antique ameublement. Il roula en tremblant devant le foyer un  énorme fauteuil ; n’osant se coucher, il s’assit en fixant les yeux sur la flamme et en attisant le feu, tandis que son esprit, visiblement inquiet, s’efforçait de ne penser qu’à l’œuvre digestive pour chasser toute autre préoccupation. Ce fut cela même qui le perdit. Le brave s’assoupit bientôt. Mais, soit réalité, soit illusion, il ne tarda pas à être en proie à la plus effrayante des songeries. Un souper et un dîner perfides se réunirent pour conspirer sans pudeur aucune contre le repos du Périgourdin. D’abord, il fut galopé par un succulent gigot de mouton qui talonnait de sa queue festonnée son dos trop tardif et ses jambes paralysées de terreur. Puis vint un pâté de lièvre, fantôme au front cornu, qui appuyait avec un rire amer sa main de plomb sur son estomac ; le croupion d’un chapon lui suggérait mille idées saugrenues, et une diablesse de cuisse de dinde se remuait sans cesse devant ses yeux écarquillés d’effroi, en affectant de revêtir les formes le plus infernales. Ce n’était pas tout ; une série indéfinissable de saucisses, entortillant ses membres avec une ténacité surnaturelle, semblaient vouloir venger, par un étranglement nouveau, la famille entière des boudins des mépris héréditaires du gentilhomme. Enfin, pour combler la mesure de ces cabalistiques inventions, une cuillère à pot, individu grêle et fantastique, venait par intervalle se pendre en dansant à son nez, comme le bec goulu de certains canards dont parle Pigault-Lebrun[1]. À ce dernier trait de la malice des êtres malfaisants, le pauvre chasseur ne résista plus ; et craignant à bon droit de perdre dans un rêve ce qui fait de la vie un si beau songe, il se réveilla en sursaut, empoignant avec vigueur l’indiscrète cuillère.
C’était sa pipe.

Bon Mona, ces grands auteurs me donnent envie de classicisme. Si vous daignez sortir deux verres, je vous sers un Château Haut-Marbuzet 2007. Bien que dans un « petit millésime », ce vin de Saint-Estèphe est un réel plaisir pour les sens d’un épicurien. Un vin à faire des rêves et non des cauchemars.


[1] Charles-Antoine Pigault-Lebrun (1753-1835), auteur de comédies à succès et de romans de veine anticléricale et licencieuse

L’avaleur des mets

Le baron Léon Brisse (1813-1876) est un gastronome célèbre sous le Second Empire. Il avait commencé une carrière au sein de l’office des Eaux et Forêts. Il quitta sa Provence natale pour monter à Paris et devint journaliste. C’est lui qui eut l’idée d’une rubrique gastronomique dans le journal auquel il collaborait, «La Liberté». Chaque jour, il faisait paraître un menu, et cela aboutit tout naturellement à un livre «Les trois cent soixante-cinq menus du baron Brisse», publié en 1867.

Gourmand devant l’Eternel, il était si gros qu’il devait payer double place dans les diligences et son embonpoint était encore accru des victuailles diverses qu’il fourrait dans ses poches. «Son chapeau lui servait même à l’occasion de garde-manger.». A son corps défendant, il faut dire qu’il avait épousé une maîtresse-queux : la cuisinière de Rossini…

Il fut, avec Grimod de la Reynière, Monselet et Joseph Favre, un des premiers journalistes gastronomiques et participa largement à la diffusion de recettes notamment avec un livre de «Cuisine à l’usage des ménages bourgeois et des petits ménages» sorti en 1868.

On lui a souvent reproché de ne pas savoir cuisiner, et ses recettes sont parfois fantaisistes, voire irréalisables, comme la macreuse[1] au chocolat. Je vous laisse juge en reprenant la recette telle qu’il l’a publiée :

Macreuse au chocolat : après avoir vidé la macreuse, la laver dans de l’eau de vie et la faire revenir sur la braise ; la cuire ensuite dans un vase de terre avec addition de vin blanc, sel, poivre, laurier et fines herbes. On a du chocolat préparé à la manière ordinaire ; on le verse sur la macreuse, et on sert.

A la fin de sa vie, il prit pension à Fontenay-aux-Roses, chez l’aubergiste Gigout, et c’est là qu’il mourut, juste avant de se mettre à table le 13 juin 1876, ce qui ne coupa nullement l’appétit aux autres convives, dont Monselet qui, après un moment d’émoi, eut l’horrible sang-froid de déclarer :

« Passons à table tout de même, il n’a jamais aimé les fricots[2]trop cuits. »

Chaque année, à la date anniversaire de sa mort, ses amis faisaient, toujours chez Gigout, un dîner en dressant le couvert du baron Brisse. Son nom est attaché à un certain nombre de recettes qui elles peuvent être cuisinées…

Mona, je pense que Léon aurait aimé nous voir déguster un joli flacon. Soyons fous, je vous verse une Grande Grue Glacée 2009 de François Villard. Ce merlot a des arômes confiturés, une belle harmonie en bouche.


[1] Espèce de canard plongeur marin
[2] Terme populaire pour désigner un ragoût

Faut pas péter plus haut que son cru

Mona, on voit que vous avez passé beaucoup de temps avec Charles...

Charles Monselet est un écrivain du XIX° siècle auteur d’une cinquantaine d’ouvrages de tous genres. Fort connu pour son coup de fourchette, il fut chroniqueur de la Revue des Gastronomes et du Gourmet. Il a laissé nombre de poèmes qui vantent les jolis produits de la cuisine Française. J’ai retenu celui dédié aux vins de :

BOURGOGNE ET BORDEAUX 

Au seul Bordeaux toujours fidèle, 
Buveur d’hier et d’aujourd’hui, 
j’admets que pour plus d’un rebelle 
L’éclair d’un autre vin ait lui. 

A quoi bon fuir le parallèle 
Avec un loyal ennemi? 
Disons que le Bordeaux c’est Elle, 
Et que le Bourgogne c’est Lui. 

A Lui les airs fiers et superbes ! 
Coquelicot parmi les herbes, 
Il se croit l’honneur du bouquet.

Elle, plus discrète en sa flamme, 
Sourit d’un sourire coquet… 
Le vin de Bordeaux, c’est la femme.

Même si cette habitude d’attribuer de la virilité aux Bourgognes et de la féminité aux Bordeaux est largement fausse. Tout amateur pourrait dire que les tannins des Bordeaux leur donnent une puissance que n’ont pas les vins de Bourgogne… Mais enfin, le plus important est qu’à cette époque, Monselet chantait le vin sans risque de rencontrer les ligues antialcooliques.

Mona, sortez donc deux verres, je vous prie et goûtons ce vin de Bourgogne : Gevrey-Chambertin 2001 de Geantet-Pansiot. Un vin fin, délicat. Alors Mona, féminin ou masculin ce Gevrey ?