Classement de 1855

Vous avez surement entendu parler du fameux classement des vins de Bordeaux en 1855. Rappelons que Napoléon III organisa, cette année là, une Exposition Universelle et souhaitait présenter au monde la richesse de la production nationale.

Le syndicat des courtiers en vins de Bordeaux est chargé de la sélection des meilleurs vins. Ils s’appuient sur les prix de ventes constatés sur près d’un siècle.

Les vins du Médoc retenus sont divisés en cinq rangs : la liste des 60 vins, écrite d’une même main en avril 1855, commence par un premier cru : Lafite et se termine avec un cinquième cru : Croizet Bages. Une ligne est tirée semblant indiqué que le sort en est jeté et qu’aucune ligne ne pourra être inscrite. Depuis cette date, tout semble inscrit dans le marbre.

Et pourtant, il y a deux exceptions. Commençons par la plus connue : le passage de second à premier cru en 1973 pour le Château Mouton Rothschild.

Mais une autre modification mérite votre attention : sous Croizet Bages, et avant la ligne fatidique, a été ajouté avec une autre plume et en plus petit : « Cantemerle, Mme de Villeneuve Durfort, Macau ».(voir ci-dessous page 6 document original du classement de 1855)

Ces mots qui changèrent la destinée de ce Château furent écrits en 1856. Alors pourquoi lui et pas un autre ?
Et bien, tout simplement parce que la propriétaire présenta un dossier reprenant les prix de vente de son domaine que les courtiers ignoraient. En effet, depuis fort longtemps, les vins étaient exportés vers la Hollande sans passer par les courtiers de Bordeaux même si la production de 1854 venait de passer par les courtiers à un prix égal à celui des cinquièmes crus…

Ma petite Mona, allez donc chercher deux verres, nous allons tester le bébé de Madame de Villeneuve Durfort. Je vous ai ramené Château Cantemerle 2001…

« Il est toujours joli, le temps passé… » (Georges Brassens)

lafite-rothschild-1960Avec mon cher patron, Lépicurien, j’ai la chance d’apprendre beaucoup de choses. Et notamment, le grand homme m’a appris que nombre de nos habitudes en matière de service des vins dataient d’au moins un siècle. Or, me dit-il, les vins du temps passé n’avaient rien à voir avec nos vins contemporains et nombre de dictons et d’habitudes devraient être rangés aux oubliettes.
Il est sûr que les vins d’autrefois dérouteraient, voire traumatiseraient plus d’un de nos palais ou de nos estomacs, devenus au fil des temps… de plus en plus délicats. Les goûts ont changé, les vins ont changé; et c’est tant mieux !

Au XIX° siècle, nos grands vins naviguaient entre 8,5° et 10° d’alcool. Un historien, nous apprend qu’en 1868, Le Château Haut-Brion titre 9° :  » c’est déjà très satisfaisant pour un vins de Graves et explique la force, la fermeté et l’excellente tenue de ces vins ». Un vin de 9° jugé fort !
Château Latour se hisse à 9,3°, Lafite et Margaux font 8,7°… Dans la première moitié du XX° siècle, la moyenne est de 11,2°; de 1950 à 1970, elle ressort à 12°. De nos jours, les vins de Bordeaux sont entre 12,5° et 13,5°.

L’acidité, bien sûr, était beaucoup plus importante et la tannicité omniprésente jusque dans les années 1950. Avec peu de douceur, de chaleur alcoolique, une pointe d’acidité et beaucoup de tannins, on conçoit aisément que les vins jugés durs et astringents ne pouvaient se consommer qu’après qu »une partie de leurs polyphénols eut fardé les parois de la bouteille. Cet excès de structure garantissait mais aussi condamnait à un long vieillissement avant dégustation.

L’acide acétique, cette acidité volatile qui picote désagréablement les narines, était très présent. Avec plus d’un gramme par litre, des vins considérés comme « sains » avant guerre, ne seraient plus loyaux et marchands aux normes actuelles. En 1950, 0,75 g/l était tolérable… de nos jours, c’est 0,40 g/l et on considère que, vers 0,60 g/l, l’olfaction est dénaturée, que le vin a subit un début d’altération bactérienne.

Mais revenons à notre Lafite 1868… imaginez le, avec ses 8,7°, sa verdeur, ses tannins presque tous tombés au fond de la bouteille, sa petite pointe piquante au nez et des notes « médicinales ». Son prix : 5.500 €. Une bouteille de 1986 coûte environ 700 € en salle des ventes et c’est un Lafite qui flirte avec le sublime !

lafite 1986

« Regrettera qui veut le bon vieux temps et l’âge d’or…
…Moi, je rends grâce à la nature sage qui, pour mon bien,
m’a fait naître en cet âge tant décrié par nos tristes frondeurs »

Voltaire

Mona prend bien quand elle aime…