« Il est toujours joli, le temps passé… » (Georges Brassens)

lafite-rothschild-1960Avec mon cher patron, Lépicurien, j’ai la chance d’apprendre beaucoup de choses. Et notamment, le grand homme m’a appris que nombre de nos habitudes en matière de service des vins dataient d’au moins un siècle. Or, me dit-il, les vins du temps passé n’avaient rien à voir avec nos vins contemporains et nombre de dictons et d’habitudes devraient être rangés aux oubliettes.
Il est sûr que les vins d’autrefois dérouteraient, voire traumatiseraient plus d’un de nos palais ou de nos estomacs, devenus au fil des temps… de plus en plus délicats. Les goûts ont changé, les vins ont changé; et c’est tant mieux !

Au XIX° siècle, nos grands vins naviguaient entre 8,5° et 10° d’alcool. Un historien, nous apprend qu’en 1868, Le Château Haut-Brion titre 9° :  » c’est déjà très satisfaisant pour un vins de Graves et explique la force, la fermeté et l’excellente tenue de ces vins ». Un vin de 9° jugé fort !
Château Latour se hisse à 9,3°, Lafite et Margaux font 8,7°… Dans la première moitié du XX° siècle, la moyenne est de 11,2°; de 1950 à 1970, elle ressort à 12°. De nos jours, les vins de Bordeaux sont entre 12,5° et 13,5°.

L’acidité, bien sûr, était beaucoup plus importante et la tannicité omniprésente jusque dans les années 1950. Avec peu de douceur, de chaleur alcoolique, une pointe d’acidité et beaucoup de tannins, on conçoit aisément que les vins jugés durs et astringents ne pouvaient se consommer qu’après qu »une partie de leurs polyphénols eut fardé les parois de la bouteille. Cet excès de structure garantissait mais aussi condamnait à un long vieillissement avant dégustation.

L’acide acétique, cette acidité volatile qui picote désagréablement les narines, était très présent. Avec plus d’un gramme par litre, des vins considérés comme « sains » avant guerre, ne seraient plus loyaux et marchands aux normes actuelles. En 1950, 0,75 g/l était tolérable… de nos jours, c’est 0,40 g/l et on considère que, vers 0,60 g/l, l’olfaction est dénaturée, que le vin a subit un début d’altération bactérienne.

Mais revenons à notre Lafite 1868… imaginez le, avec ses 8,7°, sa verdeur, ses tannins presque tous tombés au fond de la bouteille, sa petite pointe piquante au nez et des notes « médicinales ». Son prix : 5.500 €. Une bouteille de 1986 coûte environ 700 € en salle des ventes et c’est un Lafite qui flirte avec le sublime !

lafite 1986

« Regrettera qui veut le bon vieux temps et l’âge d’or…
…Moi, je rends grâce à la nature sage qui, pour mon bien,
m’a fait naître en cet âge tant décrié par nos tristes frondeurs »

Voltaire

Mona prend bien quand elle aime…

Chemin de Sainte Croix … du Mont

messeMonseigneur Gabriel appréhendait toujours un peu le petit séjour annuel qu’il effectuait dans la paroisse du père Vincent. Son inquiétude ne venait pas de l’accueil des paroissiens, de la nature bonhomme du curé …

Non ! Tout cela était très … bien, presque trop et c’est là où le bât blesse … Son statut de Prince de l’Eglise ne le dispensait pas des trois messes matinales. Il redoutait ce pieux et fastidieux exercice qui le laissait dans une coupable euphorie. En effet, le vin de la paroisse était particulièrement agréable.
Un jour, n’y tenant plus, il demanda explication au brave curé :

– « Dites moi, mon ami … quand je viens vous voir, je suppose que vous choisissez un vin spécial pour remplir les burettes ?
– Mais non, le même que d’ordinaire, Monseigneur.
– Et vous vous fournissez où ?
– Le chevalier Haut Brion a la bonté de me tenir une fois l’an quelques barriques de sa vigne « le Carme de Fieuzal » …
– Doux Jésus ! Mais, c’est le meilleur de nos crus de Graves… Père Vincent, honte à vous… Vous utilisez la sainte table pour sacrifier au péché de gourmandise !
– Que nenni, Monseigneur ! Cela n’est que respect : lors de l’offertoire, seul, face mon créateur, je ne veux en aucun cas être en situation de lui faire la grimace… »

Mona pas craché non plus

Talleyrand verse du vin

talleyrand-verreNapoléon ne supportait pas de rester longtemps à table lors des dîners officiels. Aussi, il demanda à Talleyrand de recevoir à sa place les hôtes de la France. La réputation, en matière de gastronomie, du Ministre des Affaires Etrangères n’est plus à faire. Avec son cuisinier, le célèbre Carême, il servait les meilleurs mets et vins à sa table.

D’ailleurs, en 1801, il se porte acquéreur du Château Haut-Brion. Et même, si le fameux classement n’existait pas encore, ce cru était déjà fort connu depuis plus de 150 ans

La famille de Pontac, créateur et propriétaire du domaine ouvre à Londres, en 1666, une taverne à « l’Enseigne de Pontac » qui devient rapidement l’établissement à la mode. Haut-Brion y est le premier vin du Bordelais vendu sous son nom. Dès le 10 avril 1663, dans son fameux journal[1], Samuel Pepys en parle : « Je bus une sorte de vin français appelé Ho-Bryan (Haut-Brion) qui avait un bon goût très particulier que je n’avais jamais rencontré… »

Talleyrand revendit Haut-Brion dès 1804, mais ce vin fut toujours servi régulièrement à sa table.

Comme tout amateur, Talleyrand ne se cantonnait pas aux vins d’une seule provenance. Ainsi, un jour qu’il avait fait servir un Châteauneuf-du-Pape. Un de ses hôtes vida son verre d’un trait. Trop courtois pour faire directement une leçon à un invité,  Talleyrand se tourna vers sa voisine :

« Quand un vin a une belle robe, chère Duchesse, il le faut contempler longtemps du regard. Puis vous l’approchez, vous le humez et d’un grand soupir, vous imaginez tout ce qu’il évoque en vous …chaleur, tendresse, apaisement… Alors… vous reposez le verre… pour en parler. Un peu plus tard, vous oserez le porter à vos lèvres, comme la main d’une jolie femme… et ce geste-là vous permettra d’aller plus avant… Ne pensez-vous pas qu’on ne jouit vraiment que de ce dont on sait se frustrer ?… »

Bravo, çà c’est envoyé, mon Charlot

Enfin une petite annonce : Monsieur le Président de la République, vous qui ne buvez pas de vin, si vous avez besoin d’une quelqu’une pour tenir place aux repas de la République, je suis disponible….

Votre Mona tend une réponse


[1] Ce journal couvre la période 1660-1669. Il est en langage codé. Ce n’est qu’en 1822, qu’il sera décrypté. Et c’est seulement depuis 1983, qu’il a été publié intégralement et non expurgé.

En Medoc, 57+1 = 60+1

1er-crusC’est par un décret impérial du 8 mars 1853, qu’est décidée la tenue à Paris d’une Exposition universelle où seraient exposés des produits agricoles et produits industriels. Pour sélectionner les meilleurs vins, Napoléon III demande à chaque région viticole d’établir un classement. C’est à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux qu’est confié le dossier pour le département de la Gironde.

A cette occasion, en 1855, année de l’ouverture de l’Exposition, furent listés, essentiellement sur des critères de prix de vente, 58 vins rouges du département répartis comme suit :

· Quatre premiers Grands Crus

· Douze seconds Grands Crus

· Quatorze troisièmes Grands Crus

· Onze quatrièmes Grands Crus

· Dix-sept cinquièmes Grands Crus

Ce palmarès est celui des “ vins rouges classés de la Gironde ” puisque 57 de ces crus sont sis en Médoc et un seul en Graves (Haut Brion), on l’appelle généralement et abusivement “Classement des Grands Crus du Médoc”.

Depuis lors, quelques changements sont advenus :

. Par la grâce de la révision de 1973, les « quatre » premiers sont maintenant « cinq » via la promotion de Mouton-Rotschild.
. Quant aux douze seconds, ils sont devenus quatorze ; certes Mouton a disparu de cette classe, mais l’immense Léoville s’est scindé en Léoville Barton, Léoville Poyferré et Léoville Las Cases et Pichon se décline en deux : “Baron ” et “ Comtesse ”.
. Les troisièmes sont toujours quatorze dans un statu quo virtuel : Dubignon a disparu, Cantenac-Brown est apparu.
. Les quatrièmes passent de onze à dix, un des deux Pouget a été absorbé par ses voisins.
. Les cinquièmes passent de dix-sept à dix-huit grâce à Batailley, dédoublé en Batailley et Haut-Batailley.

C’est comme cela qu’en un siècle et demi, l’on est passé de 57+1 à 60+1.

Pour mémoire, en 1855, furent également classés 27 vins liquoreux de la région de Sauternes, dont 10 à Barsac :

.Un premier Grand Cru supérieur

. Onze premiers Grands Crus

· Quinze seconds Grands Crus

Mais c’est une autre histoire…