Saints et millions

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Décidément Isabelle Saporta quand elle parle de ce que nous ingurgitons, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère. Rappelez-vous le Livre Noir de l’Agriculture. Rien qu’en le lisant vous pouviez perdre un max de poids. Après que je l’aie lu, moi c’est bien simple, que de gens ne me reconnaissaient plus. Ils pensaient que j’étais mannequin, genre porte-manteau anorexique chez Karl Lagerfeld, et que je partais pour un défilé tellement je faisais pitié. Il faut dire que je ne savais plus quoi mettre dans mon assiette et chaque plat me donnait la nausée.

Isabelle, dans son nouvel ouvrage, elle s’en prend au monde du vin. Et ça dégomme sec surtout dans la région de Saint–Emilion. Un gars comme Hubert de Bouard, il doit se dire qu’il sent le gaz, que les gens lui en veulent, qu’il est le mal-aimé. Il se fait bombarder au fil des pages à tel point qu’il doit avoir le bourdon à L’Angélus. Elle raconte par le détail les péripéties autour du dernier classement des vins de cette belle commune de Gironde dont le vignoble est classé au patrimoine de l’Unesco. A lire, on se dit que les choses n’ont pas été menées avec une grande impartialité et que tout a été fait surtout pour obtenir le classement de sa propriété en haut de l’affiche. Bon vous me direz, la journaliste n’a peut-être pas relaté les faits correctement. Dans ce cas, il est difficile d’imaginer que Monsieur de Bouard ne porte plainte car la charge à son endroit est vraiment lourde… Qui vivra verra !

Quand on visite Saint-Emilion, on est ébloui par la beauté des lieux. Tout dans cette appellation semble ordonné comme des rangs de vignes. Tout semble harmonie. Mais si on en croit l’auteur, cette tranquillité est troublée par des tirs genre Tontons Flingueurs comme si tout le monde ne s’aimait pas dans ce monde de gentlemen farmers. Fâcheux, non ?

Si le vin vous intéresse, je vous invite à lire sans attendre ce brulôt. C’est comme un roman policier. Quand vous aurez mis le nez dedans, difficile de s’arrêter ! Et vous ferez comme moi ; vous passerez une partie de la nuit à voyager en Bordelais, Champagne, Chine… mais ce sont surtout Pomerol et Saint-Emilion qui se partagent la vedette. Coté acteurs, Christian Moueix, Jean-Luc Thunevin, Stéphane Derenoncourt, Jean-François Quenin sont les vedettes de cette tranche de vie sans oublier les traitements phytosanitaires.

Mona souri encore une fois grâce à Pierre Lurton.

Peau… lissons

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Marc-Antoine Bragadin fut gouverneur de Famagouste (Chypre) dans les années 1570. Cette cité était sous la domination de la Sérénissime. La ville fut assiégée par les Turcs. Durant un an, le gouverneur résista et on prétend même qu’il envoya ad patres plus de 80.000 Infidèles. Mais n’ayant pas reçu de renforts de Venise, il dut capituler.  Il négocia la rémission de la ville avec Mustapha, Général de l’armée des Turcs. Après accord, les clés de la ville furent remises à ce dernier par Laurent Tiepoli, respectable Magistrat.
Mais Mustapha ne respecta pas les clauses et, à peine rentré dans la ville, il fit prisonnier Bragadin, Astor Baglioni qui commandait la garnison de Famagouste ainsi que les officiers. Immédiatement sous les yeux du gouverneur, ces soldats furent exécutés. Quant à lui, on lui réserva un supplice plus dur. Tout d’abord, on lui fit poser sa tête sur le billot et par trois fois, le bourreau leva l’épée et mima la décapitation. Puis, on lui coupa le nez et les oreilles. L’histoire ne dit pas si le pauvre bougre avait des lunettes. Il faut espérer que non, car il aurait du mal à les mettre…Oui, je sais, vous vous dîtes, il a osé. Mais cette blague digne des carambar a pour vocation de détendre vos zygomatiques alors que le récit devient de plus en plus lugubre, funeste, macabre, sombre, glauque. Mais après ce moment de détente bien mérité, revenons à notre héros avec son pif et ses esgourdes raccourcies et sanguinolentes. C’est surement à ce moment qu’il lâcha cette phrase en pensant à son blair et ses étiquettes fortement rognés : Ecoute mec, je me sens pas bien… ce qui fit bien rire ses tortionnaires. 

On le laissa croupir dans une geôle durant une dizaine de jours pour qu’il marine bien dans son raisiné. Après quoi, il fut ramené auprès du général Turc. On le mit à travailler aux réparations de fortifications en lui faisant porter des charges pesantes. Pour compliquer sa tâche, il devait baiser la terre à chaque fois qu’il passait devant l’officier Ottoman. Et enfin, on le dépeça à vif par petites touches. Bragadin rendit l’âme au moment où on s’attaquait au bas de sa ceinture… Savoir qu’on allait mettre à jour ses bijoux de famille, ça l’a chamboulé ; il a préféré recracher immédiatement son bulletin de naissance plutôt que de voir ses rognons prêts à être cuisinés en sauce Madère. Les bourreaux finirent de le dépieuter.

Sa peau fut envoyée à Constantinople comme trophée. Des Vénitiens la volèrent et la ramenèrent dans la Cité des Doges. Elle repose encore de nos jours dans l’Eglise Santi Giovanni e Paolo.

Ma chère Mona, que diriez-vous de boire un pot, si j’ose dire ! Je vous propose un Saint-Emilion Grand Cru : Château Tauzinat l’Hermitage 2008. Un grand vin qui donnera du plaisir à table… Qu’on se le dise !

Mona vous offre un vin bien seyant !

Mona au Château Beauséjour-Bécot

Les caves de Saint-Emilion sont souvent magnifiques. Certains Châteaux ont en effet accès aux galeries qui furent creusées pour l’extraction de la pierre qui servit à construire tant Libourne que Bordeaux.
Parmi les plus belles, on peut citer celles du Château Beauséjour-Bécot (1er Grand Cru Classé). Quand on rentre on est accueilli par un vitrail et par deux beaux textes qu’il serait presque impossible d’écrire aujourd’hui :

Buvez, buvez des vins de France, vins d’amour et de liberté !
Au cœur, ils mettent l’espérance ; aux lèvres, la félicité.
Versez ! Sa mamelle féconde fait jaillir mille vins divers !
Buvons, enfants de l’Univers, buvons les premiers vins du monde.
Athanase Vilmay[1]

 

Béni soit-il ce vin français qu’on nous envie
Vin de foi, vin d’amour, vin d’espoir, vin de vie !
Jean Richepin[2]

Certes le style nous semble un peu ampoulé, mais l’amour du vin et de la patrie ne devraient pas nous laisser indifférents.

Ma chère Mona, je n’ai pas de millésime assez vieux pour honorer ces deux écrivains épicuriens, mais je vous invite à déguster le millésime 1998 du Château Beauséjour-Bécot. Arrivé à pleine maturité, ce vin est grandiose !


[1] Chansonnier du XIX° siècle

[2] Poète et écrivain du XIX° siècle

Condamnée aux travaux forceps

M'enfin, Mona, uniquement des verres à pied pour Messire le Vin !

Henri IV approche des 50 ans et il n’a toujours pas d’héritier. Marié à Marguerite de Valois, mais vivant avec Gabrielle d’Estrées, il n’a pas d’enfants légitimes. En 1599, sa célèbre maitresse meurt et il obtient l’annulation de son mariage. La place est libre pour Marie de Médicis qu’il épouse en 1600. De cette union, naît un an plus tard un Dauphin, le futur Louis XIII. Comme c’est de tradition à la Cour de France, la Reine devait accoucher devant les Princes. Et pourtant, ce 27 septembre 1601, à Fontainebleau, le spectacle ne fut pas joli, joli. Les douleurs durèrent plus de 22 heures, accompagnées de coliques à répétition.

La sage femme Louise Bourgeois qui officia raconte par le menu cette naissance. Elle relate notamment une anecdote croustillante. Trouvant le bébé un peu chétif et peu vigoureux, elle s’adresse au Roi pour lui conseiller un remède. Mais laissons place à Louise :

«J’enveloppai bien l’enfant, ainsi que j’entendais ce que j’avais à faire. Le roi vient auprès de moi ; je regarde l’enfant au visage. Je le vis en grande faiblesse de la peine qu’il avait enduré. Je demande du vin à l’un des premiers valets de chambre du roi. Il apporta une bouteille, je lui demande une cuiller. Le roi prit la bouteille et je lui dis :
«Sire, si c’était un autre enfant, je mettrais du vin dans ma bouche et lui en donnerais, de peur que la faiblesse ne dure trop».
Le roi me mit la bouteille contre la bouche et me dit :
«Faites comme à un autre».
J’emplis ma bouche de vin et lui en soufflai ; à l’heure même, il revint et savoura le vin que je lui avais donné.

Héroüard, médecin du roi constata que le nouveau-né était « un enfant grand de corps, gros d’ossements, fort musculeux…les parties génitales à l’avenant du corps et le croupion tout velu« . 

Quand je pense que nos gouvernants actuels ne considèrent le vin que comme une drogue, çà me fend le cœur. Et vous, çà ne vous fend pas le cœur ?

Bon en attendant, ma Chère Mona, si vous voulez bien sortir deux verres, je vous invite à déguster le Château Pipeau 2007. Ce Saint-Emilion est une valeur sure de l’appellation. Et vous qui me semblez bien pâlotte, il vous donnera un bon coup de fouet…

Impression sur bristol…

Les Français sont souvent convaincus qu’ils sont à l’origine de toute la grande cuisine et de tous les grands vins. Et pourtant ! Sans les Anglais, nombre de vins n’auraient pas atteint la qualité qui leur est reconnue aujourd’hui. Sans les Anglais, pas de Bordeaux, pas de Porto, pas de Xérès, pas de Madère….

Aussi, je profite de ces colonnes pour rendre hommage à un pionnier : John Harvey. En 1796, alors que les Français « révolutionnent », John importe ses premiers vins d’Espagne et du Portugal. Dans les années 1860; ses descendants créent une crème à base de sherry connue encore de nos jours sous le nom de Harvey’s Bristol Cream. C’est un mélange savant de vins de Jerez (Fino, Amontillado, et Oloroso et Pedro Ximenez) pour obtenir une crème onctueuse, riche et pleine de douceur. Le mot crème est trompeur : elle ne contient pas de produits laitiers. Le succès est là. Les Harvey lancent une maison de négoce à Bristol. Bien que la famille ne soit plus présente dans la société, la marque est signe de qualité en matière notamment de sherry.

Il y a encore quelques années, un restaurant se situait au cours des caves de Bristol. Une de mes amies, Mélanie, y a travaillé. Et elle m’a montré une addition exceptionnelle. Régulièrement, les meilleurs employés pouvaient dîner en payant le vin avec une réduction de 93%.

En 2001, Mélanie a ainsi pu manger quelques mets de choix et boire un Château Cheval Blanc 1959 avec son compagnon pour 115 £…  dont 31,50 £ pour le vin. Or le millésime 1959 est considéré comme une des plus grandes réussites du 1er cru de Saint-Emilion.


Neuf années se sont passées… et pourtant le souvenir est toujours vivace. Alors patrons de restaurant, voilà une idée à lancer…

Encore une fois, Epicuriens, l’exemple vient d’ailleurs !

Ma chère Mona, je suis content de votre travail. Et vous avez le bonheur de déguster avec moi nombre de bons vins et pour vous, c’est gratis. Avouez que je suis un patron exceptionnel ! Bon. Bon, c’est pas tout çà, buvons un coup.  J’ai choisi un Fino de chez Alvear. Mettez donc quelque olives et amandes… Un vin sec et parfumé qui nous emmène tout droit en Andalousie.

Merlot

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C’est le cépage roi de Pétrus. Son fruité, sa précocité et son rendement sont parfois déétournés par les « pistrouilleurs » pour en faire un vin facile et délavé apprécié des buveurs.

En France sa zone d’élection est la région de Libourne avec notamment St Emilion, Pomerol et globalement la rive droite de la Garonne-Gironde. En Languedoc, sa plantation en vue de se substituer au Carignan donne des résultats fort disparates..

Une maturation lente et un rendement raisonnable, sont indispensables pour obtenir de bons résultats. C’est certainement un des cépages les plus plantés au monde avec des résultats très divers selon les régions car des vendanges précoces et des rendements pléthoriques en font des « sacs d’os » à la Bernard Buffet.

Fruité, il l’est en diable : toute la palette des petits fruits rouges (cerises, mûres,…) parfois traces d’agrumes ; au vieillissement il développe des arômes de cuir neuf de sellerie, d’humus, de sous-bois. En bouche il allie puissance et velouté, finesse et volupté. C’est sa couleur: noir bleuté et moiré qui lui aurait donné son nom. En Médoc le merlot c’est le « petit oiseau noir », le petit merle, qui ne se gène pas pour picorer son homonyme! Toutes choses étant égales (sol, climat …) à la même époque il est moins tonique, plus sacré et moins acide que le Cabernet Sauvignon. Sur la rive gauche (Graves et Médoc) il ne serait qu’un « faire-valoir » des cabernets. La réalité est tout autre: sur les terroirs qui lui conviennent (graves peu profondes, argilo-calcaire, de Blaignan, de St Laurent ou de St Seurin de Cadourne …) avec porte-greffe adéquat et rendements raisonnables, il produit des vins qui allient concentration et profondeur aromatique. Dans certaines zones, pour certains crus, s’entêter à avoir 70 % de Cabernet et 30 % de Merlot pour respecter une proportion plus administrative qu’idéale est une impasse. Le terroir, seul, doit énoncer ses diktats … Des crus à 60 voire 70 % de Merlots produisent des vins de garde bien typés pour le plus grand plaisir de l’amateur et au grand dam des agronomes en chambre.

Mona pas bu encore de Petrus, Monsieur Moueix….