En proie à tous les désirs

lamproieC’est vraiment un drôle de poisson ! Toute personne qui ne connait pas la bête et qui se régale dans ce plat, pousse des cris d’horreur et d’effroi en découvrant à quoi ressemble ce monstre sanguinaire et comment il est saigné avant d’être cuisiné

Ce vampire visqueux, limoneux, à la bouche-ventouse, est un vrai plat de roi. D’ailleurs, Henri I d’Angleterre, s’en fit « péter la sous-ventrière ». Mourir d’indigestion n’est pas donner à tout le monde et n’est pas chose commune.

On la nomme « fifre » ou « flûte » en raison de sa forme, « sept trous » ou « sept œil » à cause de ses branchies rondes de part et d’autres de sa gueule.

lamproieDu Val de Loire à l’Aquitaine, la « suce-pierres » ou « suce cailloux  » aspire surtout le sang des autres poissons ; ce qui lui confère cette sapidité qui en fait plus une viande qu’un poisson. La lamproie, parfois si rare en nos contrées, est un véritable fléau dans les grands lacs canadiens : plusieurs centaines de produits toxiques « lamproïcides  » ont été homologués. A quand un transport transatlantique pour ramener ces vilaines bêtes dans nos faitouts.

Pour la cuisiner ne comptez pas sur moi, mais de gentilles mamies ou de jeunes cuistots délurés ont toujours eu la gentillesse de me les préparer… Un Saint-Emilion  ou un Pomerol fera sans problème un compagnon de choix.

Mona. Parce que je le vaux bien

Veni, Vidi… vomis

Suétone (1er siècle après JC)  a écrit « La Vie des Douze Césars« , à savoir la vie des empereurs romains de Jules César à Domitien. Voici le portrait de l’un d’entre eux , Vitellius qui règna du 2 janvier 69 au 22 décembre de la même année  :

Vitellius
Vitellius

« Ses vices principaux étaient la gourmandise et la cruauté; il prenait toujours trois repas, quelquefois quatre, car il distinguait le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner, l’orgie, et son estomac suffisait sans peine à tous, grâce à son habitude de se faire vomir. Il s’invitait tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, dans la même journée, et ses hôtes dépensèrent des fortunes pour un seul de ces festins. Le plus fameux de tous fut le banquet de bienvenue que son frère lui offrit : on y servit, dit-on, deux mille poissons des plus recherchés et sept mille oiseaux. Lui-même surpassa encore cette somptuosité en inaugurant un plat qu’il se plaisait à nommer, à cause de ses dimensions extraordinaires, le bouclier de Minerve, protectrice de la Ville. Il fit mêler dans ce plat des foies de scares, des cervelles de faisans et de paons, des langues de flamants, des laitances de murènes, que ses capitaines de navire et ses trirèmes étaient allés lui chercher jusque dans le pays des Parthes et jusqu’au détroit de Gadès. Non seulement sa gloutonnerie était sans bornes, mais elle ne connaissait point d’ heure ni de répugnance, car même durant un sacrifice ou en voyage, il ne put jamais se retenir de manger aussitôt, sur place, devant l’autel, les entrailles et les pains de froment, qu’il arrachait presque du feu, et dans les cabarets, le long de la route, les mets encore fumants ou les restes de la veille et les victuailles déjà entamées. « 

porteurs7311xvAlexandre Dumas m’a fait découvrir un empereur -de 218 à 222- du nom de Héliogabale (ou Elagabal) qui fut plus connu pour ses frasques que pour son pouvoir qu’il laissa, d’ailleurs, à sa mère. Lui passait  son temps en « amusements de tous genres ». Ainsi, il rentra un jour dans Rome porté par quatre femmes entièrement nues. Il engagea un historiographe uniquement pour décrire ses repas. Il faut dire, qu’à l’unisson des grands de cette époque décadente, il dépensait des fortunes. Monsieur aimait beaucoup les pâtés originaux : pâté de langues de paons, de langues de rossignols et de perroquets. Ayant entendu parler d’un oiseau unique en Lydie (région occidentale de l’Asie Mineure, actuellement en Turquie ), il offrit une petite fortune à qui lui ramènerait le spécimen pour le goûter. Extravagant jusqu’au bout, il donnait uniquement des paons ou des perdrix à ses chiens et ses fauves. Il ne buvait jamais deux fois dans le même vase bien qu’ils fussent tous en or ou en argent.
Lassé, le peuple envahit son palais ; et c’est dans les latrines qu’il fut assassiné. Pas de pot, si j’ose dire !! Son corps fut ensuite traîné dans les rues de Rome, dépecé, avant de finir dans le Tibre.

O tempora, o mores !!

Le roman du Camembert

camembert-3Le Camembert tire son nom d’une commune de l’Orne, du canton de Vimoutiers, où dit-on, l’inventa  au cours de la Révolution, une fermière appelée Marie Fontaine épouse HAREL. Son origine, mais sous une forme différente, est plus lointaine. En effet, un siècle plus tôt, les archives paroissiales du village de Camembert font mention de cette spécialité fromagère.

Cependant l’apport de Marie Harel est incontestable : la forme et le goût du fromage ont été fortement modifiés en 1791. Un prêtre réfractaire, fuyant la Terreur, trouve refuge chez la fermière Marie Harel. Originaire de la Brie, l’ecclésiastique lui enseigne la manière briarde de faire le fromage. Vendus sur les marchés alentours, le succès est immédiat. La production de Marie se trouve vite insuffisante pour répondre à la demande.

C’est le mari de sa fille, Victor Paynel qui lance la première fabrique du fameux fromage. Il faudra attendre 1890, pour qu’un négociant havrais, Monsieur Rousset, donne au camembert un second souffle en lançant la boîte en bois qui permettra de l’acheminer sans problème sur de longues distances. Jusqu’à cette date, il voyageait sur un lit de paille. Le développement des chemins de fer fera le reste. Il devint l’un des fromages les plus vendus aux Halles de Paris. Copié avec plus ou moins de succès dans de très nombreux pays, symbole des fromages français, il faut en 1983, le protéger par une AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). Ainsi sur l’étiquette, pour être sûr d’en déguster un authentique, il est est indispensable de lire sur l’étiquette “Camembert de Normandie” avec comme précision complémentaire “au lait cru, moulé à la louche”.

Or, depuis mars 2007, les principaux industriels (Lactalis), avec leurs marques plus que centenaires comme Lepetit, ont abandonné l’AOC en arêtant la production de camemberts  au lait cru. Ces groupes étaient persuadés que, compte tenu de leur poids économique, ils arriveraient à récupérer l’AOC. Mais les tribunaux en ont décidé autrement.

Alors, épicuriennes, épicuriens, la survie du vrai camembert est entre vos mains. Regardez bien la photo ci-dessous : vous y voyez, à droite, la boîte de Lepetit telle qu’elle était avant mars 2007 et à gauche, créée mars 2007. Combien de consommateurs n’ont pas remarqué la transformation :  et pourtant, le logo d’AOC, la mention au lait cru et camembert de Normandie ont disparu et ce sans que personne ne s’en soucie.

camembert-lepetitEn boycottant ces produits, nous permettrons aux fromagers qui respectent le cahier des charges de l’AOC de survivre. Et si on le faisait !!! Sélectionnez uniquement les camemberts avec le logo de l’appellation. Il faut mieux en manger moins, mais manger du vrai.

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Sauce, hissons notre programme

Jacques Dupont, grand dégustateur et spécialiste des vins au journal Le Point et Philippe Bourguignon, meilleur sommelier de France en 1978 et chef sommelier du prestigieux restaurant Laurent ont fondé un comité qui reste trop ignoré des grands médias alors que son objet est d’une importance capitale.

poulette-copieVous avez évidemment compris que je parle du Comité de Défense des Plats en Sauce qui a pour vocation de dénoncer les agressions répétées du light, du fast, du short et de tout ce qui préfixe le food en rabaissant le repas à une simple nourriture trop vite expédiée. Le CDPS, qui jusqu’à présent n’avait pas souhaité montrer sa puissance lors des précédentes consultations électorales, entend aujourd’hui, devant l’inaction des pouvoirs publics, sortir de la réserve citoyenne qu’il avait jusque-là scrupuleusement respectée. On ne peut rester muet devant les attaques répétées dont est victime le plat en sauce.  Il est accusé de tous les maux qui accablent nos sociétés modernes. Combien de fois de lâches et anonymes délateurs n’ont-ils pas proféré de rumeurs, malveillances, médisances, au passage d’un innocent rondouillard accusé d’abuser des plats en sauce. Est cela la justice ? Aux Etats Unis, pays des gros et des gras si l’on en croit la télé, que mange-t-on ? Toujours de source petit écran (source feuilletons) : du chicken grillé, du pop corn, des hamburgés, des pizzas à peine décongelées. Le tout arrosé de liquide effervescent glucosé dont l’aspect n’est pas sans rappeler la désinfectante Bétadine, qui chez nous est prisée surtout en milieu hospitalier. Mais de boeuf en sauce aux States, nenni. Pas l’ombre d’une crête de coq au vin, pas un soupçon de mironton.

C’est aux mêmes Etats Unis que l’on a découvert que vin rouge et foie gras avaient des vertus insoupçonnées. Quelle tête feront nos Saint-Just de l’allégé, le jour où ils découvriront que le boeuf bourguignon pare à certaines défaillances mieux que le Viagra. D’ailleurs, des recherches très prometteuses sont en cours au sein d’une des nombreuses sous-commissions du CDPS.

LE PROGRAMME DU CDPS

La pratique du plat en sauce agit en matière de :

sauceEnergie et Environnement

La cuisson lente et longue procure une douce chaleur dans la maison. Elle évite ainsi la surnucléarisation de la France et protège la couche d’ozone (le fumêt remplaçant avantageusement les désodorisants : le plat en sauce odorise, lui…)

Economie et social

Pour réaliser ces plats, on utilise généralement les bas morceaux du boeuf, du veau, du cochon; les poules “hors d’usage” ou les coqs de réforme.

Solidarité

Le plat en sauce est un vecteur évident de convivialité. Il réunit les familles déchirées par le tiercé, les matchs de foot. Il rassemble amis et frères autour de valeurs de notre riche passé en compensant la pauvreté de nos programmes télé.

Culture et agriculture

La consommation de plats en sauce permet le maintien de races anciennes qui donnent des morceaux adaptés, géltineux, gras. Sans cette cuisine, seules les races de viande à rôtir subsisteraient. Un monde uniquement peuplé de Charolais et de mangeurs de « hamburgérs » (prononcez à la française), non merci !

COMMENT DEVONS NOUS AGIR ?

cocotte31En créant une cellule chez chaque Epicurien. En effet la difficulté du CDPS est la suivante : le nombre de militants est réduit à huit par section. Au delà de ce nombre, les fondateurs n’ont pas trouvé de cocotte de qualité suffisante.  Aussi, c’est par la réunion de huit convives autour d’un plat longuement mijoté que nous ferons avancer nos idées et rallierons de nouveaux membres. C’est en nombre que nous pèserons lors des prochaines élections. La victoire est au bout de la cocotte.


A vos cocottes, citoyens épicuriens, le jour de gloire n’est pas loin. Marchons, marchons, qu’un joli fumêt parfume nos habitations. Vive “la Sauce Tranquille”.


Ce programme est paru dans « Les vins de l’hiver » de Philippe Bourguignon et Jacques Dupont chez Hatier : un livre hautement recommandable.

L’esprit dès l’oie

confit-oieAu début du XVIII° siècle, existaient à Bordeaux deux académies réunissant les personnalités des arts et des lettres les plus connues et les plus reconnues. Ces notables se réunissaient, les uns, dans une auberge des environs où l’on préparait d’excellents escargots, les autres, chez un restaurateur célèbre pour les cuisses d’oie qu’on y servait. Le petit peuple se moquait de ces réunions à la fois doctes et gourmandes et avait baptisé la seconde de ces compagnies “l’académie de l’austi roustit” (l’oie rôtie). De cette dernière, devait naître l’Académie des sciences, belles lettres et art de Bordeaux dont Montesquieu fut l’un des membres les plus respectés

Fourchette et fraise

henry_iii_of_france_and_the_princess_margart_of_lorraineSelon certaines sources, c’est le roi Henri III qui la ramena de Venise, en 1574, selon d’autres, c’est sa mère, Catherine de Médicis qui l’avait apportée de Florence dans ses bagages.  Ce qui est certain, c’est qu’elle ne s’imposa pas vite dans notre pays. Seuls les Grands l’utilisaient et encore uniquement pour piquer l’aliment et… l’attraper avec les doigts pour le porter en bouche ! La Fraise, ce tour de cou de dentelle, devenant de plus en plus encombrant, l’on passa le morceau directement du plat à la bouche, via la fourchette, pour contourner l’obstacle…

Cela devenait urgent. Examinant l’imposante fraise et le pourpoint d’un courtisan, un marquis lui déclara :

– « Vous avez mangé du ragoût au dîner ! « 

– « Vous vous trompez, c’était pour souper… et c’était, il y a bien quinze jours ! « 

Les dimensions de la fraise subirent une telle inflation que les serviettes, bien que de taille respectable, ne tenaient guère autour du cou…

Il nous en est resté l’expression : « Avoir des difficultés à joindre les deux bouts ! « 

Ponte du jour

napoleon_apres-bataille-waterloo-flameng_francoisAu col du Pin-Bouchain[1], à une trentaine de kilomètres de Roanne, était établie l’auberge du Perroquet. C’est là que Napoléon s’arrêta un jour et y demanda deux œufs. Ayant mangé, il demanda le prix. Surpris par le montant anormalement élevé de l’addition, il s’adressa à l’aubergiste :

– Les œufs sont t-ils si rares dans la région qu’ils fassent l’objet d’une telle note ?

– Ce ne sont pas les œufs qui sont rares, Majesté, répondit l’homme, ce sont les Empereurs.


[1] Pin Bouchain est un col, situé à la limite des départements du Rhône et de la Loire. Considéré très dangereux encore de nos jours, Madame de Sévigné écrivait à son sujet : « Cette montagne qu’on ne passe jamais qu’entre deux soleils« .

En deux coups de cuiller à pot

suppeLa cuiller à pot était une sorte de louche à manche court perpendiculaire au cuilleron. Elle servait à verser le bouillon.

Deux ou trois coups suffisaient pour remplir rapidement une écuelle de potage; ou une gamelle de bagnard ou de militaire, car l’expression attestée en 1920 semble avoir été employée à l’origine dans ces milieux.

Certains ne se satisferont pas de cette explication. Ils voudront voir dans la cuiller à pot, celle des typographes ou le sabre d’abordage à coquille des marins. Hypothèse qui ne s’appuie sur aucun texte. Pour la petite histoire, retenons celle du futur Henri IV, annonçant à ses officiers : “La Reine Margot nous a donné un prince, en trois coups de cul, hier à Pau”

Extrait de Bernard Galey “Du coq à l’âne” –  Editions Tallandier

L’épinard, mais sans pinard

Souvent les souvenirs de cantines scolaires ou de restaurants universitaires nous font bannir l’ « herbe de Perse » de nos assiettes. Venue d’Afghanistan, ce sont les Arabes au XII° siècle qui l’ont introduite chez nous pour soigner crises de foie et dérangements gastriques. A la suite d’une grossière erreur la secrétaire d’un chercheur fit une erreur de virgule (30 mg au lieu de 3) conférant aux épinards une dose epinardsexceptionnelle de fer et avant que les scientifiques puissent rétablir la vérité, notre célèbre héros de dessins animés avait déjà puisé toute sa force dans les épinards. Combien de mères de famille ont utilisé le marin pour faire avaler à leur progéniture un plat d’épinards…  » C’est plein de fer, mange !! ».

Les jeunes pousses tendres se consomment en salade. Lorsqu’il monte, il devient amer. Alors, on le cuisine. Il existe moult recettes d’épinards cuits à l’étuvée (riche en acide oxalique, il peut être. Avril, mai et octobre, novembre sont les mois où on trouve le plus facilement de jeunes pousses. Cru, en salade, avec un vinaigre aromatique, huile d’olive, Roquefort ou Bleu de Bresse ou des Causses et quelques cerneaux de noix… et c’est l’occasion rare, unique, inespérée, mais justifiée de louer un verre d’eau.

Bien sûr, mettre du beurre dans ses épinards, c’est améliorer l’ordinaire (quoique la crème fraîche…).
En langue « verte », « passer aux épinards « , c’est relever les compteurs, activité de « hareng », ou de « maquereau »». On le dit aussi d’un homme qui vit au dépens de sa « régulière  » d’un « julot casse-croûte » qui vivote en mangeant du « pain de fesses ».
« Raccommoder les épinards », c’est rabibocher les gens, faire la paix. En Provençal, « fracassa lis espinare » est plus bucolique : c’est conter fleurette.

Mont-d’or

26917Ce fromage saisonnier, appelé également vacherin, s’élabore du 15 août au 31 mars. Après un affinage minimum de trois semaines, il arrive sur l’étal du fromager. Au XIIème siècle des moines des Abbayes de MontBenoit, de Saint Claude dans le Haut Doubs défrichent et élèvent une race de vache laitière particulièrement rustique et résistante aux grands froids : la Montbéliarde. C’était le fromage préféré de Louis XV. Dés le haut moyen-âge, des “ fruitières ”produisent l’ancêtre de ce fromage devenu A.O.C. en 1981.

Fruitières et producteurs indépendants en produisent 2000 tonnes. Huit litres de lait sont nécessaires pour en faire un kg. Le lait est chauffé en une seule fois à 40°C. Après démoulaimage_1_bigge le caillé est mis dans des cercles d’écorce d’épicéas. Retourné périodiquement on les frotte avec de l’eau salée ; la croûte fleurit et prend des couleurs beiges à reflets orangés. Mis dans une boîte plus petite que son diamètre il va “ s’avachir ”, se plisser et continuer sa maturation. A l’intérieur de cette boîte, est glissée une sangle d’épicéa fabriquée par l’un de la trentaine de « sangliers » exerçant dans le massif jurassien (http://www.filmsdocumentaires.com/films/318-mont-d-or).

On le mange “ à la petite cuiller ”. Il participe à de goûteux gratins de pommes de terre et jambon… Un Jura sec bien sûr mais aussi le Jurançon sec sont de bons compagnons.

On peut élargir la gamme à tous les vins blancs secs et fruités, les rosés vifs et gouleyants, les rouges légers et fruités du Val de Loire, de Savoie…