Sens-tu, ce bleu émane…

Vivent les fromages qui puent

Encore une fois les autorités européennes veulent faire rentrer les fromages dans le rang. Ils veulent être certains qu’aucun des micro-organismes qui font le goût unique de chaque fromage sont totalement inoffensifs pour notre santé. Pour ce, l’agence européenne de sécurité alimentaire a demandé à la communauté scientifique d’évaluer bactéries, levures et moisissures qui interviennent dans le processus de fabrication et d’affinage des fromages.

Déjà que l’industrie fromagère utilise des laits tellement aseptisés que le  goût des fromages ressemble plus à celui du plastique qu’à celui de l’étable, il est possible qu’au terme de ces études scientifiques, une partie de notre patrimoine fromager disparaisse au nom du risque zéro. En effet, chaque micro-organisme devra obtenir le statut de «présomption d’innocuité reconnue» pour pouvoir continuer à fleureter avec les fromages.

Même si nos gouvernants ont vendu leur âme depuis bien longtemps aux commissions de Bruxelles, nous devons exiger de pouvoir perpétuer nos traditions Que seraient nos repas de famille sur le territoire national, sans un joli plateau de fromages qui puent ? Que les européens n’en veuillent pas dans leurs assiettes, ne doit pas nous priver de déguster ces fromages au lait cru qui font notre nation. Empêchera-t-on les petites productions de fromages goûteux ? Pas plus tard que la semaine dernière, avec Mona, nous avons mangé un vrai coulommiers qui fleurait tellement l’étable que j’ai eu l’impression d’être plongé dans une ferme avec ses odeurs de vaches. Elles rodaient autour de la table. Manger un tel fromage, ce n’est pas pour se nourrir, c’est pour rêver, s’évader, se plonger dans son passé. C’est vivre en harmonie avec tous ces paysans qui nous ont précédés. Autant dire, toutes ces choses que les technocrates européens ne peuvent pas comprendre.

Epicuriennes, Epicuriens, ne laissez pas mourir nos fromages. C’est un bout de notre histoire, de notre civilisation qui partirait avec…

Vive le fromage, vivent les bactéries fromagères et vive la France.

Mona, j’ai eu des accents gaulliens. Ce que je peux vous dire, c’est que çà libère, mais çà donne soif. Vite un gorgeon, ma chère Mona. François Villard est un des grands de l’appellation Saint-Joseph. Son Mairlant 2010 est un vin blanc qui nous fera l’apéritif. Mais si un chèvre passe à coté de vous, vous pourrez lui faire son affaire.

L’avaleur des mets

Le baron Léon Brisse (1813-1876) est un gastronome célèbre sous le Second Empire. Il avait commencé une carrière au sein de l’office des Eaux et Forêts. Il quitta sa Provence natale pour monter à Paris et devint journaliste. C’est lui qui eut l’idée d’une rubrique gastronomique dans le journal auquel il collaborait, «La Liberté». Chaque jour, il faisait paraître un menu, et cela aboutit tout naturellement à un livre «Les trois cent soixante-cinq menus du baron Brisse», publié en 1867.

Gourmand devant l’Eternel, il était si gros qu’il devait payer double place dans les diligences et son embonpoint était encore accru des victuailles diverses qu’il fourrait dans ses poches. «Son chapeau lui servait même à l’occasion de garde-manger.». A son corps défendant, il faut dire qu’il avait épousé une maîtresse-queux : la cuisinière de Rossini…

Il fut, avec Grimod de la Reynière, Monselet et Joseph Favre, un des premiers journalistes gastronomiques et participa largement à la diffusion de recettes notamment avec un livre de «Cuisine à l’usage des ménages bourgeois et des petits ménages» sorti en 1868.

On lui a souvent reproché de ne pas savoir cuisiner, et ses recettes sont parfois fantaisistes, voire irréalisables, comme la macreuse[1] au chocolat. Je vous laisse juge en reprenant la recette telle qu’il l’a publiée :

Macreuse au chocolat : après avoir vidé la macreuse, la laver dans de l’eau de vie et la faire revenir sur la braise ; la cuire ensuite dans un vase de terre avec addition de vin blanc, sel, poivre, laurier et fines herbes. On a du chocolat préparé à la manière ordinaire ; on le verse sur la macreuse, et on sert.

A la fin de sa vie, il prit pension à Fontenay-aux-Roses, chez l’aubergiste Gigout, et c’est là qu’il mourut, juste avant de se mettre à table le 13 juin 1876, ce qui ne coupa nullement l’appétit aux autres convives, dont Monselet qui, après un moment d’émoi, eut l’horrible sang-froid de déclarer :

« Passons à table tout de même, il n’a jamais aimé les fricots[2]trop cuits. »

Chaque année, à la date anniversaire de sa mort, ses amis faisaient, toujours chez Gigout, un dîner en dressant le couvert du baron Brisse. Son nom est attaché à un certain nombre de recettes qui elles peuvent être cuisinées…

Mona, je pense que Léon aurait aimé nous voir déguster un joli flacon. Soyons fous, je vous verse une Grande Grue Glacée 2009 de François Villard. Ce merlot a des arômes confiturés, une belle harmonie en bouche.


[1] Espèce de canard plongeur marin
[2] Terme populaire pour désigner un ragoût

Manger en posthume

Louis_XVIII_Best

Louis XVIII à peine installé aux Tuileries, remet en vogue les traditions de table de l’ancien régime. Obèse, infirme, le corps déformé par la goutte et rongé de gangrène, le Roi trouve réconfort dans les plaisirs de la table. Il n’était pas Bourbon pour rien !

Il partage nombre de repas avec Jean-François de Peyrus, duc d’Escars. Au cours de ces dîners interminables en tête à tête, ils épuisent les recettes de la gastronomie et n’hésitent pas à en créer : ainsi l’ortolan en cercueil de perdreau et la côtelette d’agneau à la martyre. Pour cette dernière, il faut trois belles côtelettes que l’on ficelle ensemble. Grillées, on ne mange que celle du milieu qui a absorbé les sucs des deux autres. Il ne reste plus qu’à jeter les restes.

Le 8 septembre 1822, les deux commensaux se régalent de truffes à la purée d’ortolans. De retour chez lui, le Duc se couche avec l’estomac un peu lourd. En pleine nuit, il se réveille brusquement. Il sonne. Un médecin est appelé. Ses traitements n’auront aucun effet.

– Le Roi …,vite … que l’on …  voie … si … le Roi … a bien sup …porté…

Ce furent les dernières paroles du Duc. Le Roi fut immédiatement prévenu.

– Je savais bien qu’il avait moins d’estomac que moi, dit le Souverain dans un demi-sommeil.

Mona, voilà deux épicuriens qui méritent le respect. Je débouche Les Contours de Deponcins 2007. Ce Viognier de François Villard leur fera un bel hommage.