Qui se marie par amour, a bonnes nuits et mauvais jours.

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Une mariée généreusement dotée

De nos jours, il semble évident que l’on se marie le plus souvent par amour. Mais vous savez bien qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Notamment pour la noblesse, le mariage était l’occasion de protéger voire d’augmenter le patrimoine. Aussi ce sont donc les parents qui choisissaient pour leurs enfants le conjoint idéal pour la famille. Une fille bien dotée était l’assurance de revenus réguliers pour le couple. Aussi même si la dulcinée était un laideron, son capital lui donnait une certaine beauté et puis de toute façon, le mari allait chercher ailleurs ce qu’il n’avait pas chez lui. Oscar Wilde disait cela très bien «La meilleure façon de se conduire avec une femme, c’est de lui faire l’amour si elle est belle, et de le faire avec une autre si elle est laide.»

Et j’aime beaucoup ce conseil que Madame de Flahaut distillait à son fils Charles pour le dissuader de faire un mariage d’amour : «Souvenez-vous, mon fils, qu’il n’y a qu’une chose qui revienne chaque jour dans le ménage, c’est le dîner». Et elle en savait quelque chose, elle qui avait épousé à 18 ans, le comte Charles-François de Flahaut de la Billarderie, maréchal de camp, intendant des jardins et du cabinet du roi. Elle rapporta dans ses écrits que ce mari ayant 36 ans de plus qu’elle, la laissa bien seule dans son lit ; en un mot, le mariage ne fut jamais consommé.

Diantre, fichtre et corne de bouc, me diront les plus observateurs d’entre vous. Vous venez de dire que Madame de Flahaut donnait conseil à son fils … Mais alors qui est le père, comme dirait Rachida ? Surement l’homme avec qui elle vécut maritalement durant plus de 10 ans, celui qui fut évêque d’Autun, homme d’Etat, diplomate, Prince de Bénévent : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

Mona pas de dot, mais est tellement bien dotée par la nature… Qu’on se le dise !

Bouche de goût

Nous avons eu l’occasion de vous parler dans ces lignes de Napoléon qui n’aimait pas rester à table. Il avait chargé Talleyrand des réceptions. On ne peut oublier qu’il avait demandé la même chose à Cambacérès. Les deux hommes se divisèrent les dîners officiels. Pour ce faire, Talleyrand s’appuyait sur un cuisinier hors-pair du nom de Carême.

La tombe du Marquis ?

Cambacérès, lui, faisait confiance à son officier de bouche, Monsieur d’Aigrefeuille. Ce dernier accompagnait partout son maître et de plus faisait office de «goûteur». Non que le Consul eût peur d’être empoisonné, mais il demandait à Aigrefeuille son avis sur un nouveau mets avant d’en manger. Célèbre gourmand, Monsieur d’Aigrefeuille était connu pour ses dons de bouche extraordinaires. Son art de découpeur était si consommé qu’il réussissait à cacher dans un coin du plat, sous les autres tranches, le morceau de son choix, pour le retrouver quand venait le moment pour lui de se servir.

Son aura était telle que Grimod de la Reynière, le célèbre amphitryon, lui dédia le premier exemplaire de son «Almanach des Gourmands». Il reçut également le titre très envié de «Roi des Gourmands».

Dans ses mémoires[1], la Baronne de Saint Estève, née de Vacharde peint le personnage :
«Le marquis d’Aigrefeuille, Chevalier de Malte, ancien procureur à la cour des aides de Montpellier, un gros homme de petite taille, vient de se faire faire une épée de prestige. Suspendue à son énorme ventre, celle-ci ressemble en fait à une broche !».

En 1814, juste avant la chute de l’Empire, le Marquis d’Arfeuille, fut congédié par Cambacérès. Il s’était aperçu que son protégé était un espion de Fouché, ministre de la police de l’Empereur. L’officier de bouche se retrouva rapidement sans ressources suffisantes pour continuer à faire bombance. Sa chute lui valut le couplet d’une chanson de rue :

 «  D’Aigrefeuille, de Monseigneur
Ne pouvant plus piquer l’assiette,
Pour en témoigner sa douleur
A mis un crêpe à sa fourchette »

 Mona, quand je lis des trucs comme çà, j’ai soif. J’ai les amygdales qui sèchent. Vite, ouvrez donc ce flacon qui va nous faire vibrer. Pour une libation, direction le Liban : Château Musar 2002 est un vin extraordinaire. Après un passage obligatoire en carafe, ce breuvage vous mènera vers un univers de plaisir.


[1] Bruits de Cour et Potins Mondains 1805 -1809

Veuillez abréger, Mademoiselle, mes érections distinguées

Encore une anecdote sur le Prince de Bénévent [1], me direz-vous. Mais le personnage est si riche que quelques lignes supplémentaires ne sont pas de trop.

caylusTalleyrand, avec l’âge devint un vieillard libidineux. Et il ne se résignait pas à cesser de plaire. Il s’était entiché de la belle et charmante comtesse de Caylus, qu’il bombardait sans cesse de madrigaux enflammés [2].

Devant l’abondance des missives, la jeune femme, excédée, lui répondit vertement d’arrêter immédiatement sa cour et de s’abstenir de lui envoyer de tels poèmes, … « étant donné l’usage que j’en fais » !

Le Prince, dont la vivacité d’esprit était intacte malgré son âge, lui adressa un ultime billet qui se terminait par ces mots :

Allez, petits papiers, suivez votre destin,
Mais, en passant, veuillez m’annoncer au voisin!

Mona, je vous propose un vin blanc de Valençay dont Talleyrand avait acheté le château en 1803. Ces vins de Sauvignon et de Chardonnay sont légers et frais.


[1] Le 5 juin 1806, Talleyrand devient duc de Bénévent. Dans une lettre à Joseph, son frère roi de Naples, Napoléon écrit le 5 juin 1806 : « J’ai pensé qu’en tout état de choses les enclaves de Bénévent et PonteCorvo ne pouvaient être que des sujets de troubles pour votre royaume. J’en ai fait deux duchés : celui du Bénévent pour Talleyrand, et celui de PonteCorvo pour Bernadotte. Je sais que ces pays sont peu riches ; mais je suppléerai à la dotation de ces duchés. Talleyrand est assez riche pour n’en avoir point besoin. Je me chargerai de la dotation de celui de Bernadotte. »

[2] Madrigal : compliment galant

Talleyrand forme Grand

Hier, Mona a évoqué avec panache le boiteux. Je vais, si j’ose dire, lui emboiter le pas.

de gauche à droite : Madame de Staël, Talleyrand, Madame Grand
de gauche à droite : Madame de Staël, Talleyrand, Madame Grand

Madame de Staël avait exercé une forte influence sur Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. En effet, durant la révolution, ce dernier dut s’exiler en Angleterre, puis aux Etats Unis. C’est Madame de Staël (elle fut sa maîtresse) qui le fit rayer de la liste des émigrés et sollicita de Barras, membre du Directoire, le poste de ministre des Affaires Etrangères pour son protégé.  Mais Catherine Grand, rencontrée aux Etats-Unis d’Amérique, avait fait tourner la tête du « diable boiteux. » Or tout opposait les deux femmes : Madame de Staël était considérée comme une intellectuelle mais franchement laide. Madame Grand, quant à elle, était d’une grande beauté[1]. Par contre, elle semblait incapable d’avoir une idée pouvant rivaliser avec celui qu’elle avait su charmer. On demanda à M. Talleyrand comment il pouvait rester avec une personne si peu « intelligente ». – « Cela me repose, » répondit-il.

Il faut dire que Catherine Grand semble avoir été la seule femme à le rendre heureux « physiquement ». Madame de Flahaut, qui fut une des maitresses du grand homme, disait de lui « Il n’est pas fort dans la chose mais suave dans la manière ».
D’ailleurs, c’est bien Catherine qui devint sa femme et Princesse de Bénévent.

On raconte que Madame de Staël, plutôt jalouse de la belle, demanda un jour à Talleyrand laquelle il sauverait d’elle ou de Madame Grand si elles tombaient à l’eau.
Cette demande n’avait été faite que pour l’embarrasser ; cependant Talleyrand ne le fut pas. Il lui répondit du tac au tac :
« Je suis sûr, Madame, que vous nagez comme un ange. Aussi, c’est Madame Grand que je sauverai ».

Bon c’est pas tout çà, Mona, débouchons la dive bouteille et buvons le jus de la treille.


[1] La Duchesse d’Abrantès écrit à son sujet: « Elle était grande, parfaitement faite, et ses cheveux, du plus beau blond cendré, tombaient en chignon flottant sur ses épaules. Ils la doublèrent et furent charmés en la voyant : une peau de cygne, des yeux bleus admirables de douceur, un nez retroussé et un ensemble parfaitement élégant. »

Talleyrand verse du vin

talleyrand-verreNapoléon ne supportait pas de rester longtemps à table lors des dîners officiels. Aussi, il demanda à Talleyrand de recevoir à sa place les hôtes de la France. La réputation, en matière de gastronomie, du Ministre des Affaires Etrangères n’est plus à faire. Avec son cuisinier, le célèbre Carême, il servait les meilleurs mets et vins à sa table.

D’ailleurs, en 1801, il se porte acquéreur du Château Haut-Brion. Et même, si le fameux classement n’existait pas encore, ce cru était déjà fort connu depuis plus de 150 ans

La famille de Pontac, créateur et propriétaire du domaine ouvre à Londres, en 1666, une taverne à « l’Enseigne de Pontac » qui devient rapidement l’établissement à la mode. Haut-Brion y est le premier vin du Bordelais vendu sous son nom. Dès le 10 avril 1663, dans son fameux journal[1], Samuel Pepys en parle : « Je bus une sorte de vin français appelé Ho-Bryan (Haut-Brion) qui avait un bon goût très particulier que je n’avais jamais rencontré… »

Talleyrand revendit Haut-Brion dès 1804, mais ce vin fut toujours servi régulièrement à sa table.

Comme tout amateur, Talleyrand ne se cantonnait pas aux vins d’une seule provenance. Ainsi, un jour qu’il avait fait servir un Châteauneuf-du-Pape. Un de ses hôtes vida son verre d’un trait. Trop courtois pour faire directement une leçon à un invité,  Talleyrand se tourna vers sa voisine :

« Quand un vin a une belle robe, chère Duchesse, il le faut contempler longtemps du regard. Puis vous l’approchez, vous le humez et d’un grand soupir, vous imaginez tout ce qu’il évoque en vous …chaleur, tendresse, apaisement… Alors… vous reposez le verre… pour en parler. Un peu plus tard, vous oserez le porter à vos lèvres, comme la main d’une jolie femme… et ce geste-là vous permettra d’aller plus avant… Ne pensez-vous pas qu’on ne jouit vraiment que de ce dont on sait se frustrer ?… »

Bravo, çà c’est envoyé, mon Charlot

Enfin une petite annonce : Monsieur le Président de la République, vous qui ne buvez pas de vin, si vous avez besoin d’une quelqu’une pour tenir place aux repas de la République, je suis disponible….

Votre Mona tend une réponse


[1] Ce journal couvre la période 1660-1669. Il est en langage codé. Ce n’est qu’en 1822, qu’il sera décrypté. Et c’est seulement depuis 1983, qu’il a été publié intégralement et non expurgé.