En Normandie, les grogs sont pleins de tiques

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Même si cette tradition se perd au fil du temps, le trou normand fait parti intégrante des grands repas à la française. Mais, pourquoi parle-t-on de trou normand ?

De nos jours, c’est généralement au milieu du menu que l’on mange un granité de pommes arrosé de calvados. Mais il n’en pas toujours été ainsi. Si j’en crois Brillat-Savarin, c’est du coté de Bordeaux qu’il faut chercher l’origine de cette pratique :

La ville de Bordeaux nous a donné le coup du milieu, cette merveilleuse invention, trait de génie qui met à même de faire un second dîner.
Entre le rôti et les entremets, c’est-à-dire vers le mi lieu du dîner on voyait s’ouvrir les portes de la salle à manger, et apparaître une jeune fille de dix-huit ans, grande et bien faite, dont les traits portaient l’empreinte de l’engageance. Portant d’une main un plateau chargé de verres, de l’autre un flacon de cristal rempli de rhum de la Jamaïque, de vin ou d’absinthe, notre Hébé[1] faisait le tour de la table. Elle versait un verre de nectar amer à chacun, en commençant par le plus gourmand ou le plus qualifié des convives ; ce ministère accompli, elle se retirait en silence. Aujourd’hui la jeune fille a disparu, mais le coup du milieu nous reste : son effet est magique; chaque gourmand se sent alors dans les mêmes dispositions qu’en se mettant à table ; et si le coup du milieu venait trop tard, chacun en sortirait avec de l’appétit de reste. A Paris comme à Bordeaux, d’ailleurs, les dames font un cas particulier du coup du milieu.

Selon certains historiens, le coup du milieu était déjà pratiqué par les Romains. Ouf, une guerre de clocher franchouillarde ne se déclarera pas ! Enfin, ptete ben qu’oui, ptete ben qu’nan.

Bon, ben, reste plus qu’à boire un Calvados 1994 d’Eric Bordelet. Même si c’est pas le coup du milieu à cette heure là, ça reste un grand moment de dégustation.  


[1] Dans la mythologie grecque, Hébé était la plus jeune fille de Zeus et d’Héra. Elle personnifiait l’éternelle jeunesse.

Faîtes chauffer l’alcool

La table Française est hantée par deux grandes figures de la fin du XVIII° : Brillat-Savarin et Grimod de la Reynière. Je dois vous dire que j’ai toujours eu un faible pour le second. Plus Epicurien, tu meurs ! Et je crois que le bougre doit se retourner dans sa tombe quand il voit avec quelle vitesse tout fout le camp en matière de gastronomie au pays des Gaulois. Bien sûr, il reste quelques temples que le monde entier vient fréquenter, mais que de lieux où seuls les plats de l’industrie agro-alimentaire ont droit de cité : restaurants indignes de porter leur enseigne ; maisons vendues à Picard et consorts…

Ce jour, je vais aborder un sujet que seuls les plus anciens d’entre nous ont connu : le trou normand. Jusque dans les années 1970, il n’était pas concevable de ne pas boire un « coup de calva » au milieu du repas. Ce verre avait pour fonction de faciliter la digestion. De nos jours, tout çà est fini. C’est au mieux une glace à la pomme qui est servie.  Pauv’ Grimod.


Dans « L’Almanch Gourmand ou l’art de bien vivre » Alexandre-Balthazar fait l’éloge de ce qu’à l’époque on nommait le « coup du milieu » :

Un petit verre de vin de Madère ou d’absinthe, que l’on avale entre deux services pour précipiter la digestion. Mr Armand-Gouffé a fait une fort jolie chanson sur ce coup du milieu:

Nos bons aïeux aimaient à boire :
Que pouvons-nous faire de mieux ?
Versez, versez, je me fais gloire
De ressembler à mes aïeux.
Entre le Chablis que j’honore,
Et l’Aï dont je fais mon dieu,
Savez-vous ce que j’aime encore?
C’est le petit coup du milieu.

Je bois quand je me mets à table,
Et le vin m’ouvre l’appétit ;
Bientôt ce nectar délectable
Au dessert m’ouvrira l’esprit.
Si tu veux combler mon ivresse,
Viens, Amour, viens, espiègle dieu,
Pour trinquer avec ma maîtresse
M’apprêter le coup du milieu.

Et, quelques lignes plus loin, il nous propose ces vers

Ce joli coup, chers camarades,
A pris naissance dans les cieux;
Les dieux buvaient force rasades;
Buvaient enfin comme des dieux.
Les déesses, femmes discrètes,
Ne prenaient point goût à ce jeu :
Vénus, pour les mettre en goguettes,
Proposa le coup du milieu.

Aussitôt cet aimable usage
Par l’Amour nous fut apporté
Chez nous son premier avantage
Fut d’apprivoiser la beauté :
Le sexe, a Bacchus moins rebelle,
Lui rend hommage en temps et lien,
Et l’on ne voit pas une belle
Refuser le coup du milieu.

Buvons à la paix, à la gloire ;
Ce plaisir nous est bien permis ;
Doublons les rasades pour boire
A la santé de nos amis.
De Momus, disciples fidèles,
Buvons à Panard, à Chaulieu ;
Mais pour la santé de nos belles
Réservons le coup du milieu.

Fasse que nous n’oublions pas : nous sommes les héritiers d’Alexandre-Balthazar ; aussi n’abandonnons pas tout ce qui fait notre identité…
Bon Mona, impossible d’y échapper. Nous allons boire un Madère, mais un vrai ; pas un de ces trucs qui ne servent qu’à dissimuler l’odeur de pisse des rognons de porc mal lavés.

Mona, amenez deux verres, je vous prie et goûtez moi ce Barbeito Verdelho Reserve. Un bouquet mêlant miel, vanille et amandes. Une finale en bouche d’une longueur exceptionnelle.