Je dis Banon

Un certain nombre de fromages sont emballés dans des feuilles (le Cornish yarg des Cornouailles dans des orties, le Pecorino d’Italie dans une feuille de noyer…).

Tout cela ne manque pas d’allure. Après avoir été longtemps de précieux auxiliaires pour les producteurs de fromages, les feuilles et autres végétaux utilisés ont aujourd’hui un rôle purement décoratif. Ils permettaient jadis de conserver les produits fabriqués en excès lors des fortes périodes de lactation.

436253595_8f71eb0def_obanon_titreLe plus pittoresque des fromages conservés sous feuilles est le Banon, fabriqué dans les garrigues des Alpes de Haute Provence. Ce fromage pudique s’est longtemps caché dans une feuille de vigne. L’épidémie de phylloxera ayant coupé court à cet approvisionnement, on s’est reporté sur les feuilles de châtaignier. Il en faut jusqu’à 6 à 7 assouplies dans de l’eau vinaigrée, imbibées d’eau de vie et ficelées de ratafia. Traditionnellement, c’est le Banon lui même que l’on enrobait de divers aromates et épices (poivre, clous de girofle, thym, laurier) avant de le plonger dans une jarre de terre où il macérait très lentement. Inutile de préciser que son goût était particulièrement prononcé. La mise sous feuille lui permettait de ne pas se dessécher et contribuait à lui conserver une pâte onctueuse. A l’abri de l’air, le fromage pouvait se garder longtemps. De nos jours, un affinage court donne un fromage à la saveur agréable qui s’apprécie avec un vin blanc de Cassis.

La collecte des précieuses feuilles de châtaignier ne relève pas de l’improvisation. Elle s’effectue à l’automne, soit à même l’arbre avant qu’elles ne tombent, soit juste à la tombée. Ce qui oblige à un travail journalier durant trois mois. Les feuilles doivent être ramassées quand elles ne sont ni trop sèches ni trop humides. Les feuilles sont mises à sécher. Pas question d’utiliser des feuilles encore vertes qui donneraient trop de tannins à la pâte et la rendraient acre.  Le banon est l’un des très rares fromages à utiliser véritablement les vertus des feuilles.

Pour beaucoup d’autres, comme le fougeru, il ne s’agit plus que d’un héritage décoratif. Ainsi les joncs qui ceinturent le livarot ne servent plus depuis longtemps à empêcher le fromage de s’affaisser. Il lui reste le surnom de colonnel (5 joncs par livarot).

Dans le centre de la France, le sainte-maure de Touraine, long fromage de chèvre arbore encore une paille qui le traverse de bout en bout. Elle servait initiallement de tuteur aux fromages un peu fragiles qui menaçaient de se rompre. Le perfectionnement de l’art fromager rend inutile cet usage. D’ailleurs le décret d’appellation d’origine contrôlée n’exige pas sa présence.

Le long de la frontière suisse, dans le sud du massif jurassien, est né le mont-d’or. La pâte est tellement onctueuse que les paysans n’ont eu d’autre choix que de ceinturer leurs fromages avec des sangles d’épicéa avant de le mettre en boîte. Et là, il s’agit bien d’une alliance du fromage et du bois. Ce n’est en rien un mariage de circonstance. Au contact direct de la boîte qui contient ses épanchements généreux et de la sangle d’épicéa qui l’entoure, le mont-d’or s’imprègne d’un doux parfum balsamique. La récolte des sangles relève d’un métier à part entière : le sanglier, profession exercée par une vingtaine de personnes qui prélèvent la couche située sous l’écorce. Pour le déguster, il faudra patienter. C’est un fromage de fin d’automne et d’hiver qui se marie avec un vin blanc du Jura.

Difficile de ne pas parler du Morbier. Issu du Jura lui aussi, les paysans, durant l’hiver, stoppaient la fabrication du comté faute de lait en quantité suffisante et utilisaient les moindres traites pour préparer des fromages plus petits  : Morbier. Ils faisaient prendre le lait d’une traite et dans l’attente de la prochaine recouvraient le caillé de cendres pour le protéger des insectes. Aujourd’hui reste cette raie noire de charbon de bois.

Ma petite Mona, alors avec ce Sainte-Maure, quel vin blanc me proposez vous ? Un Monlouis ? Hé, ben, je dis banon. Servez…

Elle conserve Du Barry

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Madame du Barry et Louis XV

La  comtesse du Barry, maîtresse de Louis XV, aimait préparer pour son royal amant des mets aphrodisiaques. Ainsi, elle lui fit servir un apprêt d’œufs de vanneau, volatile réputé au sang chaud, comme le pigeon, champion infatigable du coït, selon Aristote qui dit de lui : « il copule, en une heure 83 fois…! ».

Il faut dire que ce légume avait la réputation d’être si émoustillant qu’on le déconseillait formellement aux pucelles, comme en témoigne la confession timide d’une héroïne du « Roman bourgeois » d’Antoine Furetière (1666) :
« Si quelqu’une de nous eût mangé des asperges et des artichauts, on l’aurait montrée du doigt ; mais aujourd’hui, les jeunes filles sont plus effrontées que des pages de Cour ! ».

Revenons à la du Barry. On dit qu’elle avait obtenu la recette ci-dessus auprès d’une dame qui s’y connaissait : Marguerite Gourdan, dite la Petite Comtesse. Elle tenait une maison entièrement vouée au « culte de Vénus ». Elle publia même à l’intention de ses protégées un ouvrage au titre évocateur : « Instructions pour une jeune demoiselle qui veut faire fortune avec les charmes qu’elle a reçus de la nature« . Son établissement fut fréquenté par tout le beau linge parisien. Un passage secret permettait aux nobles et gens d’Eglise de rentrer sans attirer l’attention.
A son décès, bien que sa maison ait disparu depuis plusieurs années, les chanteurs populaires firent une chansonnette aux paroles si crues que je ne publierai que la première strophe :

Nobles maquereaux et véroles,
Versailles, Paris sont affolés !
Tous prenons le deuil dès ce matin
Pour cette tant renommée catin.
Oui, Gourdan la maquerelle est morte,
Est morte comme elle avait vécu,
La pine au cul
Le corbillard est à sa porte
Escorté par trois cents putains
La pine en mains.

Et au fait, Mona, mon petit pigeon, si vous sortiez l’assiette d’asperges et d’artichauts, moi je m’occupe de déboucher le muscat…

Dents déchaussées et plus si affinité

cure-dentHonni par les dentistes, ce petit objet est omniprésent en péninsule ibérique ; tapas et olives obligent ! En Belgique, les restaurants n’en mettent plus sur les tables sous prétexte que les clients ne les remettaient pas ; au prix que çà coûte, allez, une fois !
Aux États-Unis, en 1862, un restaurant à Boston proposait des cure-dents à ses clients. Il faut dire que le propriétaire avait importé un gros stock de cure-dents d’Amérique du Sud. Pour sa promotion, il offrit le déjeuner à des étudiants de l’Université de Harvard sous réserve qu’ils demandent des cure-dents en fin de repas.
En France, qu’il soit de bois, de plastique ou en plume d’oie, son usage est circonscrit à la sphère privée. En public, une discrétion extrême est de mise. Cette activité exploratoire de fin de repas est peu ragoûtante lorsqu’elle s’effectue avec la pointe du couteau ! Excédé par les contorsions de ses contemporains, Richelieu imposât à la table royale puis à la Cour l’usage de couteaux épointés. Depuis le couteau à bout rond est de mise dans nos ménagères. Sage précaution dans un pays où, parfois, des repas de famille un peu trop
arrosés se terminent à … « couteaux tirés ».

cure-dent-gouroSi vous vous rendez en Côte d’Ivoire, Messieurs, évitez de demander à une dame un cure dents. Vous la feriez hurler de rire. En effet, depuis des millénaires, les racines d’un arbustre nommé « cure-dent Gouro » sont utilisées pour soigner les problèmes d’érection… C’est quand même plus sympa de machouiller cette racine que d’ouvrir la boîte aux cachets bleus… ; d’autant plus qu’au dire des utilisateurs, çà marche plutôt bien :

« Avec le cure-dent, on ne peut pas dormir sans toucher son épouse. » Michel sait de quoi il parle : il en a fait l’expérience : « j’ai mâché le cure-dent pour en sucer le jus. Un jus amer. J’ai commencé à ressentir les premiers effets en moins d’une heure. La situation me paraissait intenable. L’érection s’est déclenchée et a duré presque toute la journée. Une érection accompagnée d’une irrépressible envie sexuelle ».

Elle est raide celle là, non ? En voilà, une idée de cadeau ….  C’est quand même plus discret d’offrir un cure-dent  de Côte d’Ivoire que du bois bandé des Antilles.

Mona fric, c’est vous…

Humeur au cerveau

gorter-hippocrateDans un article de ce blog, fut abordé « l’alimentation durant les jours maigres » (voir  avril). A la lumière des textes sur la « théorie des humeurs », on comprend mieux le choix du poisson durant le Carême car pour les hommes du Moyen Âge, la nourriture participe de l’équilibre de l’univers.

Selon la science et la médecine antiques (théorie hippocratique) encore en vigueur jusqu’au XVII° siècle, le monde est conçu comme la combinaison de quatre éléments essentiels : l’eau, le feu, l’air et la terre. Chacun a des propriétés de chaleur et d’humidité bien définies. Ainsi, le feu est chaud et sec, mais l’eau est froide et humide …
Or l’homme est un « microcosme » qui concentre en lui-même les qualités et les éléments du monde macrocosmique.

L’élément dominant en chaque être humain permet de définir son tempérament. La femme est colérique lorsque domine l’humeur sèche et chaude, elle est sanguine lorsque s’impose l’humeur chaude et humide ; l’homme est flegmatique lorsque froid et humide dominent ou mélancolique lorsque sec ethumeurs froid l’emportent.

Les aliments sont eux aussi plus ou moins chauds et humides, secs et froids … et donc appelés à maintenir l’équilibre des humeurs. Ils peuvent même corriger les dérèglements. C’est pourquoi les médecins, qui définissent le degré d’humidité ou de chaleur des aliments, interdisent certains aliments, ou au contraire en conseillent d’autres, en fonction de l’humeur dominante de chacun. Les colériques, par exemple,  n’ont ainsi guère intérêt à abuser d’épices qui sont très chaudes et très sèches, humeurs dominantes chez eux mais au contraire à rechercher des produits frais et humides.

De même, durant le Carême, manger du poisson c’est absorber un aliment froid et humide qui refroidit notamment les pulsions et facilite l’abstinence sexuelle exigée durant cette période.

La théorie des humeurs, formulée par les médecins antiques, influencera la diététique jusqu’au XVIIe siècle au moins.

Voilà, un sujet qui met de bonne humeur. Mona, servez moi calmement un coup chaud et humide… Comment ? Ben évidement un coup de rouge.

Coeur d’artichaut

Ce fut un chardon originaire soit d’Afrique du Nord, d’Egypte ou d’Ethiopie ! Via l’Italie, il fut introduit sur la table royale par Catherine de Médicis. Pierre de l’Estoile (auteur  Registres Journaux qui sont un précieux témoignage sur les règnes de Henri III et Henri IV) rapporte que la Reine s’en « gava » tellement au cours d’un mariage que ce fut au point d’avoir une terrible indigestion. Il faut dire que le plat était accompagné de crêtes et de rognons de coq (aphrodisiaque très recherché au XVI° siècle). Elle faillit « en crever ».

artichautDe couleur violette (violet de Provence, Romanesco, Chrysanthème) ou vert cendré (Camus, blanc Hyérois, blanc d’Espagne) il nous vient beaucoup du Finistère et un peu de la Provence et du Roussillon. Le bordelais, lui, ne jure que par celui de Macau. Mon cher Lépicurien profite toujours d’aller faire ses amplettes à Macau pour goûter les vins des Châteaux Maucamps ou Cantemerle (Châteaux du Haut-Médoc)…. Il faut dire que c’est un connaisseur, mon patron, ah (soupir langoureux) !!

Cru, on le sert au gros sel, à la vinaigrette ou hachis de basilic.

Cuit, les fonds accompagnent la sauce blanche pour le veau. Mixés avec de la crème fraîche et des échalotes, ils sont une garniture raffinée pour viandes et volailles. Un Quincy, un Bourgogne Irancy, un Crozes Hermitage blanc, un Arbois blanc, un Savoie devraient permettre à chacun de trouver son plaisir.

Avant guerre, les “clochards” et autres “S.D.F.” étaient très mal tolérés dans Bordeaux intra muros … La Maréchaussée faisait des rafles : après les avoir copieusement rossés, elle abandonnait ces marginaux dans la nature du côté de Macau. Ils n’avaient plus qu’à s’en aller ou à revenir à Bordeaux à travers champs. Il en est resté une expression typiquement “bordeluche” : “aller aux artichauts !”.

Et comme disait Coluche, l’artichaut, c’est un vrai plat de pauvre : t’en as plus dans l’assiette après l’avoir mangé. N’oublions pas qu’il favorise le transit urinaire et intestinal. Cependant, consommé en trop grande quantité, il peut provoquer des ballonnements.

Mais surtout, les effets bénéfiques de l’artichaut sur le foie et la vésicule biliaire sont connus depuis longtemps. Ils sont particulièrement appréciés au lendemain d’agapes bien arrosées.

Votre Mona …rtichaut s’éffeuille pour vous…

Avec ou sans philtre ?

love_philtre_studyDe tout temps, l’homme et la femme ont cherché des produits capables d’attirer l’être convoité, de stimuler leur libido, d’augmenter leurs performances… Si de nos jours les sites de rencontres et le viagra règnent en maître, jadis, les moyens utilisés étaient peut-être moins efficaces mais tellement plus poétiques.

Ainsi, Louis XIII épousa, le 21 novembre 1615, Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne, Philippe II, et de Marguerite d’Autriche. Anne avait quatorze ans et les jeunes époux attendirent quatre années avant de consommer le mariage. Il faut dire qu’ils étaient jeunes mais surtout ils s’entendaient plutôt mal. Le roi avait adopté les us de son père, Henri IV, et papillonnait de maîtresse en favorite pendant que la reine, délaissée, cherchait hors du lit conjugal ce qu’elle ne trouvait pas dans les bras de Louis.

Un soir que le roi se trouvait au Louvre, où Anne dormait d’habitude seule (en effet, le Roi, pour se livrer plus librement à ses fantaisies, passait souvent ses nuits à Saint-Germain), un formidable orage s’abattit sur Paris et Louis XIII se vit contraint de rester au palais. Après l’avoir savamment mis en condition grâce à une infusion de sa fabrication, un courtisan habile le persuada de s’introduire dans la chambre de la reine. De cette rencontre quasi fortuite un enfant naquit neuf mois plus tard, en 1638, le futur Louis XIV, l’éblouissant Roi-Soleil conçu après vingt-deux ans d’union stérile…

On s’interroge aujourd’hui sur la composition du philtre qui fut probablement à l’origine de la naissance du monarque. Sans doute ressemblait-il assez à cette recette :

PHILTRE ROYAL

Pour 1 personne

1/2 l de vin blanc sec, 30 g de cannelle en bâtonnets, 1 gousse de vanille, 30 g de gingembre râpé, 5 g de teinture d’ambre gris, 50 g de sirop de sucre, 2 oeufs de vanneau (ou de caille), 1 petit verre de cognac, 1 pincée de noix de muscade râpée

gobeletetainPréparez une décoction en laissant macérer quarante-huit heures la cannelle, la vanille et le gingembre dans le vin blanc.

Filtrez ce mélange puis enrichissez-le avec l’ambre gris, le sirop de sucre auquel vous aurez préalablement ajouté les oeufs de vanneau, le cognac et la muscade. Battez énergiquement tous ces ingrédients, laissez reposer et avalez une heure environ avant la rencontre. A essayer sans modération.

Quant à la mère de Louis XIII, Marie de Médicis, qui donna quatre enfants à Henri IV, elle consommait une part de la « mixture d’amour », ci-dessous décrite, une bonne heure avant le moment crucial et le reste une petite demi-heure avant :

LAIT DE POULE MEDICIS

Pour 2 tasses

philtre_amour12 jaunes d’œufs frais, 180 g de sucre, 4 verres de madère, 1 bonne pincée de cannelle en poudre

Dans un grand bol, battez énergiquement les jaunes et le sucre, ajoutez le madère et, sans cesser de fouetter, placez sur le feu dans un bain-marie très chaud. Saupoudrez de cannelle. Dès que la mousse commence à épaissir, versez la dans un compotier, laissez-la tiédir en la remuant de temps en temps. Servez tiède ou froid selon la saison.

Certes, le temps de préparation est plus long que d’avaler un cacheton bleu, mais c’est tellement plus romantique.

Mona, ma petite reine, allez donc acheter des œufs, du sucre, cannelle et une bouteile de Madère…. Et que çà saute, allez, allez !!

J’ai testé pour vous

steakJe ne sais pas chez vous, mais ici, le printemps a été pourri. La pluie, la grsteack-peintêle m’ont empêchée de profiter d’un bon repas barbecue. Si comme moi, vous êtes frustrés, ou bien si vous n’avez pas de barbecue et si, qui plus est, vous vivez en appartement, ce qui rend difficile ou délicat de se faire une viande grillée au charbon de bois, vous pourrez adopter cette solution de secours…
Le concept nous vient, encore une fois, des Etats Unis avec « THE » produit que nous attendions tous : LE BEEFSTEAK précuit en boîte. Ah, enfin…
Et ce produit miracle existe en deux versions : la « normale » et la « avec marques de grill » ; cette dernière étant, bien entendu, plus chère. Pour éviter de mâcher, je vous suggère de choisir la formule hachée.

Pour faire des économies, en ces temps de crise, je vous conseille vivement d’acheter la « normale » et de peindre vous-mêmes les rayures de brûlé indispensables à la parfaite présentation du produit dans les assiettes. Et, en plus, je suis certaine que çà doit même pas changer le goût…  Evitez de vous servir de votre vernis à ongle, c’est trop long à étaler et çà sent. Mais utilisez donc une peinture à l’eau, çà va plus vite… et c’est sûrement meilleur pour votre santé !!

Amis Epicuriens, c’était ma minute cuisine vite fait, mal fait. Bon c’est pas tout çà, avec mon chef, on va boire une petite « p(e)inte » à votre santé.

Votre Mona saisonnée

Asperge moi de térébenthine

asparagi

Nous sommes en pleine saison des asperges. Je les aime beaucoup. Aussi, bien que deux articles lui aient été consacrés lors des derniers jours (le 4 et le 5 mai), je ne résiste pas au plaisir de vous relater quelques anecdotes savoureuses à son sujet.

Grimod de La Reynière, parle de ses propriétés aphrodisiaques : « Ce légume ne convient qu’aux riches parce qu’il n’est pas substantiel et légèrement aphrodisiaque. C’est un manger délicat ».

Si dans les guides de savoir vivre, il est permis de la manger à la main, on lit dans le « Manuel de civilité pour les petites filles », paru dans les années 1930 : « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire ».

Le fameux pot de chambre

Marcel Proust, dans « A la recherche du temps perdu », parle à plusieurs reprises de l’asperge. Il souligne notamment le parfum que prennent les urines après un plat d’asperges :

« Mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,-encore souillé pourtant du sol de leur plant,-par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »

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Le marquis de Cussy, préfet du palais de l’empereur Napoléon 1er, avait invité sa jeune maîtresse à une partie de campagne. Elle s’excusa en disant qu’elle devait se rendre à une fête familiale. Gourmand, le marquis alla aux Halles en vue de faire un bon déjeuner. Il vit deux bottes d’asperges, les seules arrivées du jour asperges-achatdans la capitale. Il voulut les acheter, mais il fut devancé par quelqu’un. Décidément, ce n’était pas son jour…
Le soir, sa maîtresse était de retour. Elle raconta avec moult détail sa journée. Au moment de l’étreinte, la jeune femme se soulagea d’un besoin naturel. C’est alors que le marquis s’énerva :
Julie ! Julie ! Tu me trompes !
– Mais enfin Louis, comment pouvez-vous penser cela ?
– Où as-tu déjeuné ?
– Chez ma mère… je vous l’ai dit.
– Ne me mens pas ! Tu as mangé chez l’ambassadeur d’Espagne.
– Mais…
– Oh, arrête, je sais que dans tout Paris, il n’y avait que deux bottes d’asperges. Et c’est son maître d’hôtel qui les a achetées devant moi ce matin. Or, le parfum de tes urines indique avec certitude que tu as mangé des asperges il y a peu de temps.

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Que ce soit Marcel ou Julie, ils auraient dû lire le « Nouveau Dictionnaire de Médecine » qu’avait publié au début du XIX° siècle, le Docteur Béclard, qui fut membre de l’Académie Royale de Paris. Il écrit :
« L’asperge communique à l’urine une mauvaise odeur qu’on change en celle de la violette par l’addition de quelques gouttes de térébenthine.« 

Donc Marcel, vous eussiez connu le truc, point d’odeurs désagréables dans votre chambre. Quant à vous, Julie, vous eussiez pu jouer des castagnettes  et croquer l’asperge espagnole sans risque de vous faire pincer…..

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Finissons (temporairement ?) notre balade au pays de l’asperge avec Charles Ephrussi. C’est un riche collectionneur d’art qui fréquente les ateliers de Degas, Manet, Monet, Renoir… et leur achète régulièrement des toiles.

En 1880, il commande à Manet un tableau représentant une botte d’asperges. Ephrussi est si content du tableau qu’au lieu de verser les 800 francs convenus, il envoie 1.000 francs à l’artiste. Ce dernier, en remerciement, lui adresse un second tableau, représentant une seule asperge. Manet lui aurait dit que pour ce prix là, il devait manquer une asperge dans la botte.

apserge-manet2-1880
Les deux tableaux de Manet (1880)

En attendant, régalez vous de blanche, de verte et de violette…

Votre Mona se perge

Asperges à la Pompadour

pompadourEt c’est quoi des asperges à la Pompadour ? Le patron, homme de culture (d’asperges ?) oublie que nous n’avons pas tous la chance de tout savoir comme lui. Heureusement, vous avez votre petite Mona…

C’est dans le Grand Dictionnaire de la Cuisine d’ Alexandre Dumas que je vous ai trouvé la recette originale :

Monsieur de Jarente, ministre d’Etat pendant la faveur de Mme de Pompadour, a laissé à notre célèbre gourmand Grimod de la Reynière, digne neveu de son oncle, la prescription suivante :

« Choisissez trois bottes des plus belles asperges du gros plant de Hollande, c’est-à-dire blanches avec le bout violet.
Faites parer, laver et cuire en les plongeant comme à l’ordinaire, c’est-à-dire dans de l’eau bouillante; tranchez-les ensuite en les coupant en biais du côté de la pointe, à la longueur du petit doigt. Ne vous occupez que des morceaux de choix, et laissez de côté le reste de leurs tiges.
Mettez cesdits morceaux dans une serviette chaude afin de les égoutter en les maintenant chaudement, pendant que vous confectionnerez leur sauce.

Videz un moyen pot de beurre de Vanvres ou de la Prévalais, en prenant le contenu par cuillerées et le mettant dans une casserole d’argent; joignez-y quelques grains de sel avec une forte pincée de macis en poudre, une forte cuillerée de fleur de farine d’épeautre, et de plus, deux jaunes d’œufs frais bien délayés avec quatre cuillerées de suc de verjus muscat.
Faites cuire ladite sauce au bain-marie, en évitant de l’alourdir en lui laissant prendre trop d’épaisseur; mettez vos morceaux d’asperges tranchés dans ladite sauce, et servez le tout ensemble, en casserole couverte et en extra, pour que cet excellent entremets ne languisse point sur la table et puisse être apprécié dans toute sa perfection. »

Mona sparagus

Asperge, je vous propose la botte…

Elle nous viendrait des Romains, peut-être même depuis la lointaine Egypte. Rabelais en fait consommer à Panurge et  la cuisine de la Renaissance la met en vedette.

La blanche est de production artisanale et ne doit jamais voir le soleil. La violette tient ses reflets mauves d’avoir vu le jour. La verte pousse à l’air libre et est colorée de haut en bas.
Sont-ce ses effets, sa forme qui ont incité Madame de Maintenon à dire d’elle : « C’est la première invitation à l’amour « .

Il faut dire que ce légume avait la réputation d’être si émoustillante qu’on la déconseillait formellement aux pucelles, comme en témoigne la confession timide d’une héroïne du Roman bourgeois de Furetière (1666) :

« Si quelqu’une de nous eût mangé des asperges, on l’aurait montrée du doigt ; mais aujourd’hui, les jeunes filles sont plus effrontées que des pages de Cour ! ».

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Nu de François Boucher

Quant à la Pompadour, souhaitant étonner son royal amant qui lui reprochait d’être « froide comme une macreuse », elle cherchait la recette idéale pour assouvir les besoins de Louis XV. On peut en juger en lisant cette lettre insolite adressée à sa belle-sœur, Madame de Baschi :
« Le marquis de R., comme vous le savez, n’est pas très délicat dans ses goûts ; il aurait, hier, passé la soirée avec une comédienne, et, sur la fin du souper, étant tous les deux pleins de… charmes, le marquis n’a trouvé rien de mieux que de faire déshabiller sa Vénus, et, ayant préparé une sauce pour asperges, l’aurait placée dans un endroit que je ne puis nommer, (…) et, là, se serait mis à manger des asperges trempées dans cet endroit. Il y a trouvé du plaisir. Qu’en dites-vous ? Je vous attends pour votre réponse. Je ne puis m’empêcher de rire de cet original plaisir. »
Cette lettre qui circula largement à la Cour, fit que l’on donna à une recette, le nom d' »asperges à la Pompadour« .

A l’huile, au beurre, en sauce mousseline, chaque français en consomme presque 1 kg par an. Goûteuse, pauvre en calories et riche en sels minéraux, elle a tout pour accompagner un petit régime de printemps. De plus, l’asperge participe efficacement aux fonctions d’élimination de l’organisme : ses fibres aident au bon fonctionnement intestinal et ses composés diurétiques facilitent le travail rénal. Ne soyons pas égoïstes : chats et chiens se délecteront des parties que nous aurons dédaignées.

Fontenelle 1657 - 1757
Fontenelle 1657 - 1757

On raconte que Fontenelle adorait les asperges à l’huile, alors que son invité du jour les préfère au beurre. Il donna l’ordre que l’on les prépara pour moitié des deux façons. Son hôte étant pris d’une attaque, malgré son grand âge il se précipita en cuisine en hurlant:  » Tout à l’huile maintenant, tout à l’huile ! « .

Cà refroidit, si j’ose dire!!
Il faut dire que Fontennelle avait la réputation de penser d’abord à son confort. Claudine Alexandrine Guérin de Tencin, baronne de Saint-Martin de l’Isle de Ré (et mère de d’Alembert) qui fut l’amie de Fontennelle, lui disait en pointant le doigt sur sa poitrine : « Ce n’est pas un cœur que vous avez là ; c’est de la cervelle, comme dans la tête« .

A condition d’éviter la vinaigrette, dégustez l’asperge avec un sancerre, un vin de pays de viognier, un Chenin du Val de Loire, une muscadelle du Sud-Ouest, et bien sûr, accord « parfait » avec un muscat sec d’Alsace ou du Languedoc.